Thibault de Montbrial : « Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’armes de guerre en circulation »

Thibault de Montbrial : « Je ne pensais pas qu’il y avait autant d’armes de guerre en circulation »
23 avril 2025 Olivier Debeney

Sécurité en Martinique : le président du CRSI face aux défis du narcotrafic et des influences étrangères

Thibault de Montbrial était en visite pour la première fois en Martinique et dans un territoire ultramarin. Au cours de son séjour, il a pu rencontrer des membres de la société civile, des élus et des responsables de différents services de l’État en charge de la sécurité.

Le Président du CRSI a accordé une interview au journal France-Antilles dont les propos ont été recueillis par Jean-Marc Atsé.


« Au niveau de la France entière, le trafic de stupéfiants représente entre 3 et 6 milliards d’euros. Dans le même temps, le budget de fonctionnement des tribunaux représente, lui, 4 milliards et demi d’euros. On a donc affaire à des trafiquants qui ont des moyens hallucinants », souligne Thibault de Montbrial

10,5 tonnes de cocaïne ont été saisies en août 2024 au large de la Martinique, soit la deuxième plus grosse saisie de tous les temps aux Antilles. L’exportation de cocaïne transitant par notre territoire, la Martinique a-t-elle les moyens d’échapper à ce phénomène ?

C’est un phénomène mondial qui dépasse très largement la Martinique. La cocaïne est essentiellement produite en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Un tiers de cette production part vers l’Europe et un tiers vers l’Amérique du Nord. Quand on regarde une carte, on se rend compte que tout ce qui part d’Amérique centrale ou d’Amérique du Sud vers l’ouest du monde ne peut que franchir l’arc caraïbe. La Martinique se trouve être à peu près au centre de cette route. Par ailleurs, la zone maritime française est la plus grande : aussi des cargaisons qui ne sont pas forcément destinées à la France et qui ne sont pas dans les eaux territoriales françaises, au sens étroit, peuvent être interceptées par la marine française. Par conséquent, stratégiquement, la France a mécaniquement un rôle à jouer. Ce qui est d’ailleurs un peu ingrat puisque que cela coûte de l’argent. Mais, pour répondre à votre question, on ne peut pas échapper à un phénomène planétaire, surtout quand on n’est pas loin des zones de départ du trafic de stupéfiants. Cependant, le rôle d’un État est de protéger sa population. Il peut se montrer efficace et faire en sorte que les trafiquants ne prennent pas le risque de se faire attraper par des moyens français.

Mais les moyens des narcotrafiquants ne sont-ils pas aussi puissants que les moyens étatiques ?

Au niveau de la France entière, le trafic de stupéfiants représente entre 3 et 6 milliards d’euros. Dans le même temps, le budget de fonctionnement des tribunaux représente, lui, 4 milliards et demi d’euros. On a donc affaire à des trafiquants qui ont des moyens hallucinants, qui utilisent des sous-marins à plus d’un million d’euros pour une course et qui, après, les coulent. Cela signifie qu’ils considèrent qu’un objet à un million d’euros est un produit consommable.

Les moyens de surveillance des côtes martiniquaises sont-ils suffisamment modernes ?

J’ai appris qu’un premier radar était en cours d’installation pour couvrir le sud de l’île et qu’un deuxième sera installé dans les mois qui viennent, pour couvrir le nord de l’île. Un drone a également été acquis. Ce sont des moyens qui vont permettre une amélioration considérable de la surveillance, des côtes notamment. Cependant, on se retrouve face cette explosion du risque ” narco ” pour la France, pour l’Europe et donc par définition pour les Antilles, au plus mauvais moment, puisqu’on est confronté à un mur budgétaire. Le narcotrafic et l’islamisme constituent les deux grandes tendances organisationnelles qui peuvent saper un pays fracturé comme la France. Les récentes attaques coordonnées de prisons sont un exemple d’une vraie démonstration de force et cela ne va pas s’arrêter.

Le trafic de drogue est étroitement lié au trafic d’armes avec des conséquences sur la délinquance et l’augmentation de la violence…

C’est un phénomène qui m’inquiète depuis longtemps au niveau national. En revanche, je ne pensais pas qu’il y avait autant d’armes de guerre en circulation en Martinique et en Guadeloupe. Pour l’instant, ces armes ne sont pas utilisées contre les services de l’État, contre les forces de l’ordre. La question est de savoir si, à l’occasion de nouvelles émeutes, ces armes de guerre sortiront ou pas. Est- ce qu’à un moment donné une partie de ces armes sera utilisée dans une logique plus politique ? C’est un sujet capital, une problématique majeure.

Les rivalités internationales existent et certaines puissances étrangères entendent-elles, selon vous, menacer la présence française dans la région ?

Je suis quand même très étonné de l’importance de l’action hybride et notamment du lien qui existe entre certains députés et certains délinquants et le groupe de Bakou. C’est un vrai problème, qui devrait être traité judiciairement. Un député qui effectue un déplacement dans un pays étranger dans le but de réfléchir sur une action séparatiste, cela s’appelle de la trahison, c’est de l’intelligence avec une puissance étrangère. Pourquoi le député martiniquais et le député guyanais, qui sont allés à Bakou en juillet 2024 n’ont-ils pas été poursuivis pour intelligence avec une puissance étrangère ? Je suis par ailleurs étonné de voir M. Petitot sur des vidéos azéries. L’insécurité dans un pays peut résulter de facteurs extérieurs et intérieurs criminogènes, elle peut aussi résulter de la volonté de déstabilisation d’une puissance étrangère qui utilise les faiblesses locales pour affaiblir le pays. Or, c’est exactement ce qui se passe avec le groupe de Bakou, derrière lequel on retrouve, sans grande suspense, les Russes. Je ne comprends pas que l’État n’ait pas utilisé les moyens de droit qui sont à sa disposition pour contrer les personnes qui se sont mises dans cette situation sur le territoire martiniquais.

« Quand on regarde une carte, on se rend compte que tout ce qui part d’Amérique centrale ou d’Amérique du Sud vers l’ouest du monde ne peut que franchir l’arc caraïbe », constate le président du CRSI.

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