Protect EU : l’Europe de la sécurité et les États-membres

Protect EU : l’Europe de la sécurité et les États-membres
7 avril 2025 Olivier Debeney

Une stratégie européenne ambitieuse dépendante des États-membres

Annoncée à Strasbourg le 30 mars dernier, la nouvelle stratégie interne de la Commission européenne (dénommée « ProtectEU ») vise à remédier à une situation conscientisée depuis des années : le partage limité des informations relatives à la sécurité nationale et au renseignement intérieur. Assumant d’avoir un scope très large, ProtectEU vise à implémenter de nombreux changements, tant en matière de migration que de narcotrafic ou de protection des publics les plus vulnérables. Cependant, malgré une densité certaine d’annonces qui marquent un changement de mentalité substantiel au sein des institutions européennes quoique dans la continuité de ce qui s’observe depuis déjà quelques années cette nouvelle stratégie n’en est pour le moment qu’au stade du vœu pieux, et dépendra avant tout du bon vouloir des Etats-membres.

Par Aurélien Jean


Le contexte socio-politique est favorable à des propositions ambitieuses en matière de sécurité intérieure, afin de renforcer le rôle joué par l’UE dans ce domaine

ProtectEU vise ainsi à remédier à un état de fait dans lequel les Etats-membres (EM) ont des réticences à partager les informations et renseignements en leur possession avec leurs voisins. Cette situation est connue depuis des années et s’est trouvée dramatiquement exposée avec les attentats terroristes de la décennie 2010. Cependant, il ne faudrait pas réduire cette stratégie interne à ce seul motif. Elle se place en réalité dans un ensemble plus large de mesures visant à renforcer la coopération entre les EM vie des initiatives pilotées directement par les institutions (et notamment par la direction générale adéquate, la DG HOME, chargée des frontières, des migrations, des affaires intérieures, de l’espace Schengen, etc.). Notons que l’annonce officielle avait été précédée d’une conférence de presse fin mars 2025 dans laquelle la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, avait déjà révélé son intention de mettre en place des briefings réguliers avec l’intégralité du Collège des Commissaires notamment dans le but de les tenir informés des derniers développements en matière de sécurité, défense et menaces hybrides. Si l’effet pratique et opérationnel est quasi-nul, il reste révélateur d’un mouvement de conscientisation très clair.

A titre d’illustration, citons le dernier rapport de l’agence EUROPOL (chargée précisément de la coopération policière entre les EM). Révélé le 18 mars, il met en exergue les menaces auxquelles l’Europe a à faire face en matière de trafic de drogue, de crime organisé ou encore de cyberattaques. Plus encore, il avertit sur l’impact de l’IA dans la structuration et les capacités d’action des réseaux criminels ; leur permettant d’atteindre une puissance déstabilisatrice avec des moyens limités. L’agence prophétise d’ailleurs « l’émergence d’une IA totalement autonome [qui] pourrait ouvrir la voie à des réseaux criminels entièrement contrôlés par l’IA, marquant ainsi une nouvelle ère pour le crime organisé ».

Si toutes ces grandes tendances sont perceptibles depuis quelques années déjà, la publication de ce rapport et, deux semaines après, de ProtectEU est un signal clair des intentions de Bruxelles. Cela est encore plus net lorsque l’on considère les domaines les plus critiques identifiés par Europol : infrastructures, « rançongiciels », fraudes en ligne, pédopornographie, trafics de drogue, d’armes ou de migrants, criminalité environnementale. Tout cela nous introduit à une approche multidimensionnelle des menaces pour la sécurité intérieure, approche qui se retrouve quasi-dupliquée dans ProtectEU.

En outre, ProtectEU a ceci de particulier qu’elle n’est pas qu’une déclinaison sectorielle et « en silo » d’un problème identifié. Elle assume de mentionner un panel de menaces variées et de vouloir préparer le continent à la survenance de plusieurs d’entre-elles dans un laps de temps restreint voire en interconnexion. Il est à ce titre révélateur d’observer l’évolution nette des discours et des textes législatifs en discussion sur les sujets visés par cette stratégie. Ainsi en est-il du thème migratoire. Depuis les incidents à la frontière Pologne-Biélorussie, l’UE sait que l’immigration est une arme de guerre hybride ; et tente se faisant de développer des moyens de réponse. Les propositions du nouveau commissaire aux affaires intérieures, l’autrichien Markus Brunner (PPE, droite/centre-droit) illustrent cette tendance, notamment par le soutien pouvant être adopté aux centres de retours situés en pays tiers, à l’image de ce que tente de mettre en place le gouvernement italien.

De manière encore plus large, un leitmotiv constant de la Commission « Von der Leyen II », entrée en fonctions en décembre 2024 et penchant nettement à droite, est de projeter l’image d’un exécutif européen conscient de la gravité des enjeux actuels et qui tente d’y apporter des réponses à son échelle. C’est dans cette optique qu’il faut voir un continuum intéressant. En l’espace d’un mois, la Commission a révélé trois textes relatifs, d’une manière ou d’une autre, à la sécurité et à la défense. D’abord, le paquet à plusieurs centaines de milliards pour réarmer le continent (ReArm Europe, dont les modalités pratiques sont encore partiellement floues). Vient ensuite un plan d’action pour réagir aux crises (EU Preparedness Union Strategy) qui a surtout fait parler de lui pour la communication peu orthodoxe choisie pour le visibiliser. Enfin, ProtectEU, qui est la dernière pierre de la trilogie sécurité militaire / sécurité civile / sécurité intérieure.

ProtectEU condense des évolutions substantielles, tant matérielles que structurelles et joue la carte de la stratégie des moyens

Tout d’abord, une des annonces « choc » du plan concerne Frontex. Bien loin de la dissolution que réclame à cor et à cris une partie du spectre politique, celle qui est sans doute la plus médiatisée des agences européennes va connaître un triplement de ses effectifs. Actuellement, la cible est prévue à 10 000 agents d’ici 2027. La stratégie prévoit d’attendre les 30 000 personnels à un horizon temporel non précisé. A titre de comparaison, c’est peu ou prou le nombre total de personnes travaillant pour la Commission européenne aujourd’hui (Directions Générales et agences décentralisées). L’agence basée à Varsovie sera donc, à terme, l’entité administrative européenne disposant des ressources humaines les plus conséquentes, à même donc de pouvoir détacher des contingents significatifs à plusieurs endroits sensibles dans l’UE. En sus, les moyens technologiques et matériels à la disposition de l’Agence Européenne de Garde-Frontières et de Garde-Côtes de son nom complet, seront rehaussés afin de fournir un appui qualitatif aux forces nationales de protection des frontières. Il est évoqué notamment des systèmes de renseignement et de gestion intégrée basés sur l’IA, les données biométriques et les drones, le tout d’ici 2027.

En parallèle, il était déjà acté par la Commission que Frontex serait appelée à jouer un rôle plus important afin d’aider les EM dans l’application des « opérations de retour » (en clair, des expulsions). Si le texte est encore entre les mains des colégislateurs européens (Parlement et Conseil) l’idée d’augmenter les retours et les pouvoirs de l’agence fait l’objet d’un quasi-consensus et n’a qu’un faible risque d’être mise en échec.

Cependant, les transformations les plus spectaculaires concernent les agences Europol et Eurojust (cette dernière s’occupant de la coopération judiciaire pénale entre les EM). Toutes deux basées à La Haye, aux Pays-Bas, elles vont non seulement connaître une augmentation de leurs moyens mais aussi et surtout une redéfinition plus extensive de leur domaine d’action.

Europol est ainsi appelée à se transformer de manière spectaculaire pour devenir, dès 2026, « une réelle agence de police opérationnelle », apte à appuyer les requêtes des EM. Pour se faire, elle connaîtra une extension de ses domaines d’intervention aux menaces hybrides (type actes de sabotage) et un renforcement des moyens de détection en corrélation avec les progrès technologiques. En complément, l’agence sera autorisée à développer son réseau de coopération international, notamment via l’établissement de partenariats renforcés avec des pays tiers sûrs ainsi qu’avec le secteur privé. Ces intervenants extérieurs devront néanmoins prouver leur respect des règles européennes en matière de droits fondamentaux et de protection des données. Enfin, Europol verra ses effectifs doubler pour atteindre plus de 3500 personnes à terme.

Dans la lignée de l’amélioration des capacités d’Europol, l’agence Eurojust suivra elle aussi le mouvement, afin de pouvoir répondre judiciairement aux nouvelles activités d’Europol. Un texte en ce sens est attendu pour 2026. De leur côté, les EM sont appelés à étendre le plus rapidement possible des contrôles systématiques (et biométriques) aux frontières extérieures de l’Union.

Ainsi, et en filigrane, c’est le constat actuel d’une insuffisance de moyens et de lacunes dans la coopération qui est reconnu. Comme l’a signalé M. Brunner devant les journalistes à Strasbourg « Il n’est pas difficile pour les criminels de garder une longueur d’avance si les autorités chargées de l’application de la loi ne sont pas équipées ou ont les mains liées ». Sa collègue Henna Virkkunen a été encore plus franche en affirmant que de nombreux services de police sont « très en retard en ce qui concerne les outils numériques » et manquent de compétences pour faire face à a prolifération de la criminalité numérique.

Le cas du narcotrafic est ainsi illustratif de ces difficultés et il n’est nul besoin de rappeler à quel point la situation est inquiétante en de nombreux endroits du continent. A ce titre, ProtectEU récupère l’initiative lancée en 2023 qui visait à créer une « Alliance des ports européens » regroupant les acteurs publics et privés des plateformes portuaires, principales porte d’entrée des marchandises illicites sur le continent. L’objectif est d’intensifier les échanges, pour parvenir à une stratégie commune sur la question objectif modeste s’il en est mais qui n’est pas du ressort initial de l’UE si l’on s’en tient aux traités.

Par ailleurs, il serait incomplet de ne pas mentionner les initiatives lancées ces dernières années sur les sujets de la criminalité organisée et du trafic de drogue : feuille de route énonçant les mesures prioritaires de la Commission (2023), stratégie contre la criminalité organisée (2021) ou bien la stratégie antidrogue de l’UE 2021-2025 (2020). On a donc a minima trois textes déjà existants, certes modernisés et mis à jour, qui sont intégrés dans ProtectEU. L’effort intellectuel est louable, mais il ne fait que reprendre dans de larges proportions des dynamiques institutionnelles déjà existantes et des constats déjà partagés depuis plus de cinq ans. Ceci montre bien les limites des documents déclaratifs et/ou concertatifs dans des sujets qui dépassent la simple capacité d’action de l’UE. Cela a néanmoins le mérite de laisser le sujet en bonne place sur la table, et de fait de garder l’attention des EM dessus.

En dehors de ce qui a déjà été mentionné ci-dessus, les 29 pages de ProtectEU brassent large, et impliquent d’autres mesures plus ou moins nettes et/ou abouties. Ci-après, un rapide aperçu des sept domaines d’action recensés :

  • Une nouvelle gouvernance européenne en matière de sécurité intérieure, qui n’a de réellement nouveau que l’appellation, en ce qu’elle prévoit ce qui existe déjà dans les grandes lignes: discuter avec les EM et le Parlement européen. Dans cette partie figure aussi un « bouclier démocratique européen pour renforcer la résilience», sans plus de précisions mais illustrant assez bien le concept de vision « à 360° » ;
  • Une anticipation des menaces à la sécurité grâce à de nouvelles façons de partager des renseignements, ce qui suppose une coopération pleine et entière de la part de tous les EM. L’anticipation viendra aussi de l’augmentation des moyens au sein du centre commun de recherche dépendant de la Commission. Celui-ci sera chargé de simplifier le cycle de recherche, de développement et de validation règlementaire des solutions innovantes dans les technologies avancées ;
  • Des outils plus efficaces pour les services répressifs et des agences plus fortes. Cela inclut une évaluation plus poussée de l’expansion des systèmes de reconnaissance automatiques de plaques d’immatriculation ainsi qu’une proposition législative pour un système européen de communication critiques (attendue en 2026) ;
  • Le renforcement de la résilience face aux menaces hybrides, avec une modernisation du Protocole de crise européen, une attention particulière portée aux câbles sous-marins et la volonté d’avancer sur le quantique ;
  • La lutte contre la grande criminalité organisée, passant entre autres par l’adoption de standards législatifs communs en matière de trafic d’armes ;
  • La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, avec notamment un nouveau système de suivi du financement du terrorisme et un nouvel « agenda européen » en la matière. Un focus tout particulier sera porté, dès cette année, sur les Balkans occidentaux ;
  • L’UE en tant qu’acteur mondial fort en matière de sécurité. Malgré la focale portée sur la sécurité intérieure de l’UE, il ne s’agit pas de délaisser les coopérations et les échanges de procédés avec les pays tiers. Cela part du constat justifié que la criminalité transnationale se combat avec des moyens eux aussi transnationaux. C’est à ce titre que le renforcement d’Europol et d’Eurojust prend tout son sens, dans la perspective de nouveaux accord avec les pays de la zone latino-américaine et caribéenne.

Fait intéressant, dans cette partie figure aussi une lecture plus « sécuritaire » de la délivrance de visas, notamment via une mise à jour de la stratégie européenne dédiée à ce type de documents.

Ce dernier domaine d’action montre des similarités notables avec une approche ouvertement défendue par certains députés européens de droite concernant la gestion des migrations et des retours forcés. Il reste à voir dans quelle mesure les deux sujets seront finalement imbriqués (et, surtout, votés).

Preuve du caractère extensif des mesures proposées, plusieurs propositions concernent spécifiquement les mineurs, le cyberharcèlement et les victimes des violences. Dans ces trois cas, il s’agira principalement d’augmenter l’effectivité de leur protection et de mettre en place des stratégies et autres plans d’action. Les EM sont aussi instamment appelés à transposer les textes déjà adoptés et les colégislateurs, à accélérer leurs travaux sur le règlement relatif à la lutte contre l’exploitation et les abus sexuels sur les mineurs.

Et maintenant on fait quoi, comment et avec quels arbitrages ?

Un premier point critique concerne le nombre réel de textes nouveaux. Il est très faible mais cela ne doit pas surprendre, et ce pour une double raison. D’abord, la quantité de textes déjà existants est assez importante, et il n’est pas à démontrer l’efficacité de l’UE en matière de production d’actes législatifs. Secondement, la marge de manœuvre limitée de l’Union en matière de sécurité intérieure. Selon les aspects du sujet, on se situe au mieux dans une compétence partagée avec les EM. Sinon, il s’agit d’une compétence d’appui, c’est à dire un domaine où l’UE ne peut que rechercher une certaine harmonisation entre ses EM mais sans avoir de réelle prise sur l’évolution des choses. A l’inverse, la politique commerciale et concurrentielle est par nature une compétence exclusive, ce qui alloue une centralisation normative et une direction politique bien plus importantes et plus confortables pour gérer efficacement les affaires.

En corollaire immédiat, force est de constater que la majorité des initiatives devant faire l’objet d’un examen législatif concernent in fine des directives déjà existantes qu’il convient de « toiletter » plus que de réécrire entièrement. Mentionnons, en guise d’illustration, les textes relatifs aux substances pyrotechniques, au mandat d’arrêt européen ou encore au crime organisé.

Un deuxième point est de mentionner que ce plan est avant tout une vision d’ensemble des menaces auxquelles les européens doivent être prêts à faire face dans un futur proche. Si ProtectEU évoque parfois des déclinaisons opérationnelles précises, elle n’est en rien quelque chose de concret immédiatement applicable. C’est avec ces réserves qu’il faut interpréter les annonces de la Commission. Recruter 20 000 garde-frontières supplémentaires (sans même avoir encore atteint les 10 000 postes déjà prévus) est très ambitieux, et ce n’est sans doute pas un hasard si aucun horizon temporel n’a été communiqué.

Plus que le simple fait de recruter des agents de terrain, il s’agit aussi et surtout pour Frontex de trouver un corps d’encadrement et de direction à la hauteur d’un tel management. D’une part, les agents européens ne sont pas autonomes et ne font qu’appuyer les forces nationales. Ce sont donc ces dernières qui disposent de l’essentiel capacités et des ressources humaines « de terrain ». D’autre part, les forces nationales se renforcent elles aussi de leur côté (Pologne, pays Baltes) et ont besoin de leur propre corps d’encadrement et de leurs propres agents. Il est parfaitement envisageable de penser que les aspirants garde-frontières de tous grades seront davantage attirés par un poste au national : esprit patriotique, facilité de recrutement, pas d’exigence de multilinguisme (au contraire de l’UE) ou encore meilleure visibilité des campagnes d’information sur les carrières. La ressource humaine est donc précieuse, a fortiori lorsque l’on considère les récentes évolutions en matière de recrutement et de service militaire, les armées piochant dans le même vivier potentiel de candidats.

Un troisième point a trait au financement de ces mesures, qui vont coûter sans doute plusieurs milliards. Prudente, la Commission n’a pas fourni de chiffrage financier global de ProtectEU, mais la mise en œuvre d’un tel ensemble ne serait-ce que pour les nouvelles ressources humaines devra nécessairement s’accompagner de ressources crédibles afin d’être efficace. Il n’est nul besoin de rappeler que lesdites ressources seront en concurrence avec d’autres fonds européens alloués à des enjeux tout aussi sensibles et consommateurs de financements communautaires :

  • La défense, alors que l’on n’a sans doute pas tout vu en la matière (on rappellera utilement que la réelle prise de conscience date de l’investiture de Donald Trump, soit à peine trois mois…) ;
  • L’agriculture : qui oserait se mettre à dos la profession et revoir les tracteurs s’installer sur le rond-point Schuman ? La Politique agricole commune représente, avec les fonds de développement régionaux, le principal poste actuel de subventions européennes ;
  • Les fonds de cohésion, alors que les efforts réclamés pour financer le réarmement ont donné lieu à un intense effort de lobbying des élus locaux du continent pour garder leur enveloppe.

Le tout, dans un contexte où le prochain cadre financier pluriannuel (MFF) de l’UE débute son parcours de négociations en 2025  et consistera à déterminer combien chaque Etat va devoir verser au budget commun et quelle sera la taille de celui-ci.

Un dernier point, qui se rapproche du premier, concerne la réelle implémentation du projet de la Commission. En effet, si les annonces semblent fracassantes, elles n’en requièrent pas moins la coopération des EM et elles reposent sur leur diligence à traduire en droit national les règles européennes. Plus encore, pour les domaines ne relevant pas de la compétence de l’UE, elles ne tiennent que par le seul bon-vouloir en matière de partage d’information et d’accord sur les priorités. Tel pays peut en effet, au regard de son histoire, de sa sociologie ou simplement de sa politique intérieure, avoir des priorités divergentes de celles de ses voisins, et ce faisant allouer des moyens de manière différenciée par rapport au constat commun établi à l’échelle du continent.

Corollaire de tout ce qui précède, un certain nombre de mesures identifiées dans la stratégie ne visent qu’à demander aux Etats de transposer ce qui existe déjà. Citons à ce titre, la directive 2023/977 sur les échanges d’informations, dont la mise en œuvre par les EM s’avère assez lente. Quant à la directive SRI 2 relative aux réseaux et systèmes d’informations 23 EM sur 27 ont reçu une mise en demeure de la Commission pour transposition incomplète ou inexistante. Encore plus frappant, des mesures qui sont reprises dans ProtectEU sont en réalité en discussion depuis des années mais bloquent faute de consensus. C’est ainsi le cas du projet de législation relatif à la lutte contre les contenus pédopornographiques, paralysé en raison du désaccord entre les EM sur la position à adopter quant aux messageries privées (type WhatsApp ou Signal) et à l’obligation de coopération avec les autorités.

Ce faisant, et de manière un brin pessimiste, la Commission compte sur le fait qu’il n’y ait pas de « passager clandestin » et que chacun prenne sa juste part au problème ce qui n’est pas en soi un mauvais raisonnement, tant l’actualité nous montre que les atteintes à la sécurité intérieure ne connaissent pas de frontières. Seulement, la réalité impose de considérer ProtectEU comme reposant, en partie sur du déclaratif voire sur du performatif, au moins jusqu’à ce que la Cour de Justice de l’Union Européenne ait enjoint aux réfractaires de rejoindre les rangs à la suite d’un jugement, ce qui peut prendre des années.

Au global, qu’en retenir ?

Le principal enseignement de ProtectEU est la démarche en elle-même. Sans aller jusqu’à affirmer que l’initiative relève de l’inédit, il s’agit cependant d’un mouvement notable dans la posture de institutions européennes.

Cela se remarque par le spectre extrêmement large des thématiques couvertes par la stratégie interne. Elle démontre une réelle volonté d’action sur un vaste panel de menaces clairement identifiées. En un sens, l’étape la plus difficile pour faire bouger les choses au niveau européen a déjà été réalisée : la conscientisation du problème. Portée par le contexte global, la droitisation du continent qui rend le PPE incontournable et la succession de menaces tant internes qu’externes, la Commission a trouvé ici un réel moyen d’influence et d’augmentation de son pouvoir, tant la coordination entre les EM est cruciale si l’ensemble des problèmes listés veut trouver une réponse satisfaisante. Ursula Von der Leyen, déjà connue pour son management très personnifié et sa tendance centralisatrice trouve ici un moyen de renforcer sa légitimité, bâtie au fil des crises qui ont secoué le continent depuis 2019.

L’étendue du pouvoir et de l’influence réelle qu’obtiendra la Commission seront en réalité facteurs de ce que les EM voudront bien lui confier. Un mouvement intéressant sera ainsi de voir dans quelle mesure les missions et les moyens des agences dédiées seront rehaussés. Dans une situation financière loin d’être optimale et avec d’autres priorités incontestables dans un monde changeant pour lequel l’UE découvre qu’elle n’est pas équipée, il peut y avoir un écart entre le déclaratoire et la matérialisation effective. Et ce, particulièrement en l’absence de ressources supplémentaires accessibles via la dette ou via l’ouverture de nouvelles ressources propres à même d’abonder le budget.


Sources

Lire le rapport
“The changing DNA of serious and organized crime” Europol, rapport 2025