Le défi de la sécurisation des convois pénitentiaires

Le défi de la sécurisation des convois pénitentiaires
12 août 2024 Olivier Debeney

Après l’attaque du péage d’Incarville, plusieurs questions se posent concernant la sécurisation des convois pénitentiaires.

Le mardi 14 mai 2024, un convoi pénitentiaire composé de deux fourgons est attaqué au péage d’Incarville (A13 dans l’Eure) par un commando composé de plusieurs individus lourdement armés. Mohamed Amra, détenu qui effectuait un transfert entre Rouen et Évreux, réussit à s’échapper dans cette attaque au lourd bilan : deux agents pénitentiaires tués et trois blessés grièvement.

 

Les questionnements

Alors que plus de 130 000 extractions judiciaires ont eu lieu en France en 2023, trois grandes questions autour des convois pénitentiaires se posent à la suite de cet événement d’une rare gravité :

  • Comment sont sécurisés les convois pénitentiaires, notamment concernant les détenus dangereux ?
  • Comment les assaillants se procurent-ils des armes de guerre comme celles utilisées lors de l’attaque ?
  • Comment les services de renseignements anticipent-ils de tels phénomènes ?

La sécurisation des convois pénitentiaires

La sécurisation des convois pénitentiaires repose sur des procédures adaptées au niveau de dangerosité des détenus, classés de 1 à 4 par l’Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires (ARPEJ) et le centre de détention concerné. Pour une escorte de niveau 1, moins risquée, deux à trois agents suffisent. À partir du niveau 2, d’autres forces de sécurité comme la police ou la gendarmerie nationales peuvent être présentes. Mohamed Amra, condamné à plusieurs reprises et qui avait déjà tenté de s’évader, nécessitait par exemple une escorte de niveau 3. Concernant leur équipement, les agents pénitentiaires sont dotés de pistolets, mais ce matériel est jugé insuffisant face à des attaques avec des armes de guerre comme utilisées à Incarville.

L’approvisionnement en armes de guerre

Les armes de guerre sont de plus en plus nombreuses à circuler en France, où 105 fusillades avec ce type d’armement ont été dénombrées en 2023. Les filières d’approvisionnement sont variées. À l’échelle nationale, les vols d’armes constituent la principale source d’approvisionnement. Il existe également de nombreuses filières de contrebande à l’échelle communautaire, notamment parmi les armes « neutralisées » et celles récupérées en ex-Tchécoslovaquie. Enfin, à l’échelle internationale, la région des Balkans de l’Ouest constitue la principale zone d’approvisionnement en armes de guerre, héritage du conflit lié à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Selon le commandant divisionnaire de police Philippe Nobles, les criminels relevant de la bande organisée disposent en général d’un armement lourd car ils s’attaquent à des cibles sécurisées. Ils maîtrisent les réseaux d’approvisionnement et utilisent la plupart du temps du matériel provenant de l’étranger.

Le rôle du renseignement

Créé en 2017 par Jean-Jacques Urvoas, le Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) est le service de renseignement du ministère de la Justice. Il vise à recueillir et exploiter du renseignement dans trois domaines : la lutte antiterroriste, la lutte contre la criminalité organisée et le renforcement de la sécurité pénitentiaire, notamment en prévenant les évasions. Ce service se professionnalise avec des moyens décuplés et une organisation plus claire. Hasard troublant, il souligne deux heures avant l’assaut du fourgon le risque accru d’évasion préméditée, notamment en lien avec des organisations criminelles. Toutefois, Mohamed Amra n’était pas répertorié comme particulièrement signalé malgré sa dangerosité. Plus globalement, le manque de coopération entre renseignement pénitentiaire et surveillants de prison concernant les extractions judiciaires est régulièrement pointé du doigt.

 

Les propositions du syndicat des directeurs des services pénitentiaires pour mieux sécuriser les extractions pénitentiaires

Dans sa lettre d’information de juin 2024, le syndicat des directeurs des services pénitentiaires FO-Direction a exprimé des propositions visant à mieux sécuriser les extractions pénitentiaires.

Améliorer la coordination du pilotage des missions de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP)

Le syndicat souhaite d’abord améliorer la coordination du pilotage des missions de la DAP. Pour ce faire, il propose notamment de créer un poste de directeur de projet extractions judiciaires qui permettrait de mieux prendre en compte les sujets pénitentiaires au ministère de la Justice, mais aussi d’anticiper les problématiques et de solliciter les arbitrages nécessaires.

Renforcer les conditions de sécurité des convois pénitentiaires

Cette mise en cohérence nécessite d’augmenter de manière globale les conditions de sécurité. Le syndicat FO-Direction propose ainsi :

  • Une refonte de la formation initiale et continue des surveillants pour faire face à de telles situations (révision du socle de formation, régionalisation, mutualisation avec les forces de sécurité intérieure),
  • La finalisation du déploiement des équipes de sécurité pénitentiaire (pour lesquelles la carence d’agents est estimée à au moins 300 personnels),
  • La refonte de la nomenclature des escortes,
  • L’optimisation du profilage des détenus grâce à un partage d’information renforcé entre les différents services (renseignement pénitentiaire, police, gendarmerie),
  • Une modularité des équipements et une plus grande marge de manœuvre opérationnelle au niveau territorial.

Construire des alternatives aux extractions

Enfin, pour FO-Direction, éviter les extractions est le meilleur moyen de les sécuriser. Deux grands axes sont dégagés :

  • Une meilleure gestion des extractions médicales : améliorer la prise en charge médicale à l’intérieur des établissements, autoriser plus facilement les sorties sans escorte pour les détenus en fin de peine et ayant déjà bénéficié d’une permission de sortir sans incident
  • Une meilleure gestion des extractions judiciaires : maintenir le maximum de co-accusés dans un même établissement pénitentiaire, construire des salles d’audience sur les domaines pénitentiaires, développer la visioconférence.

 

Le 21 mai 2024, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a signé un relevé de décisions avec les organisations syndicales représentatives de l’administration pénitentiaire. Un protocole d’accord a été signé le 13 juin. Celui-ci comporte une trentaine de mesures, qui reprennent en partie les propositions de l’intersyndicale, comme le développement du recours à la visioconférence, une meilleure dotation en armes automatiques pour les agents ou encore l’utilisation de véhicules banalisés pour les extractions pénitentiaires.

 

Sources :