Maintien de l’ordre : une nouvelle impulsion s’impose

Maintien de l’ordre : une nouvelle impulsion s’impose
9 janvier 2025 Olivier Debeney

Maintien de l’ordre : une nouvelle impulsion s’impose

Par Christian Breit, ancien policier CRS et P.U., ancien formateur SPI et GTPI (police), formateur et consultant spécialisé, et Guillaume Feiss, consultant et formateur, militant des questions d’usage de la force par les FdO.


En ce mois de décembre 2024, les Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS)ont soufflé une nouvelle bougie : les voilà 80 ans après leur création en 1944, par décret du Gouvernement Provisoire de la République Française.

Avec leur « cousine », la Gendarmerie Mobile, créée pour sa part en 1921, elles constituent les unités de Force Mobile autonomes, permettant aux autorités républicaines de disposer de capacités opérationnelles à maintenir ou rétablir l’ordre public sur tout le territoire national.

Si la doctrine et l’organisation du Maintien de l’Ordre (« M.O . ») ont évolué au fil du temps et des gouvernants, elles n’en restent pas moins fondamentales pour assurer la capacité de l’Etat à garantir la sécurité publique, d’autant plus dans un contexte de durcissement des modes de délinquances, y compris lors de troubles massifs à l’ordre public.

Encore faut-il que ces unités disposent des moyens, directives et prérogatives à la hauteur des enjeux de sécurité publique actuels.

Un bref rappel historique tout d’abord

Les CRS et Escadrons de Gendarmerie Mobile, ainsi que d’autres unités spécialisées, constituent les unités permettant de concrétiser une stratégie de maintien de l’ordre « à la française », repensée pour l’essentiel :

  • D’abord dans les années 1920, avant lesquelles le maintien de l’ordre était assuré par l’Armée, dans une approche qui conduisait à des tirs létaux,
  • Puis vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la France libérée et alors administrée par un Gouvernement Provisoire devant s’assurer qu’un ordre public républicain puisse être garanti de nouveau partout sur le territoire, dans une période de libération encore troublée.

La doctrine du « MO à la française » ainsi pensée et étant encore aujourd’hui source d’inspiration de bon nombre d’unités de MO dans le monde, peut être résumée comme reposant sur deux axes essentiels :

  • Le principe du maintien à distance des manifestants, pour éviter contacts, dégradations et blessures graves.
  • Une intervention collective et sur ordre, permettant une coordination tactique et garantissant un emploi validé et mesuré de la force légitime.

Après la Gendarmerie Mobile, constituée comme subdivision de la Gendarmerie Nationale à partir de 1921 et les CRS créées en 1944, toutes deux forces nationales, mobiles et autonomes, d’autres unités spécialisées sont venues compléter le Schéma National du Maintien de l’Ordre au fil du temps, comme forces locales plus sédentaires :

  • Les Compagnies Départementales d’Intervention (CDI) voire les Compagnies de Sécurisation et d’Intervention (CSI), pour le territoire administré hors Préfecture de police de Paris (PP).
  • Depuis 1953 également les Compagnies d’Intervention (CI) pour la zone régie par la PP, rattachées à la DOPC (Direction de l’Ordre Public et de la Circulation), dont l’organisation a pas mal évolué les dernières années en Brigades de Répression de l’Action Violente (BRAV) déclinables sous différentes formes de mode opératoire (BRAV-M, BRAV-L, BRAV-P, BRAV-N).

Etat des lieux et organisation actuelle des forces dédiées au Maintien de l’Ordre

Les CRS : au dernier recensement par la Cour des Comptes [1] près de 11.200 fonctionnaires de police y sont affectés, pour l’essentiel (depuis 2024) dans 64 compagnies dites « de service général », dédiées au maintien de l’ordre, réparties sur le territoire national.

On y compte notamment la très médiatisée « CRS 8 » (Bièvres), réorganisée à l’été 2021 avec près de 200 fonctionnaires pour être projetée rapidement sur les théâtres de trouble à l’ordre public jugés les plus problématiques.

S’en sont suivies des créations analogues sur 2023/2024 avec les CRS 81,82, 83 à 84 (Marseille, St-Herblain, Lyon-Chassieu, Montauban)

(d’autres compagnies spécialisées existent, comme les 9 CRS dites autoroutières, les 6 CRS motocyclistes zonales affectées aux convois et escortes, 2 de secours en montagne ou une spécifiquement dédiée à la protection des personnalités).

Chaque compagnie de service général est composée :

  • D’une Section de Commandement et de Soutien (SCS), abritant en moyenne entre 15 et 20 fonctionnaires propres à la section.
  • 2 Sections Appui et Manœuvre (SAM)
  • 2 Sections Protection et Intervention (SPI), dont des « SPI4G » constituant aussi des effectifs du niveau d’intervention intermédiaire dans le Schéma National d’Intervention repensé en 2016 pour faire face aux commissions d’actes terroristes.

Chacune de ces sections est censée compter une quinzaine de fonctionnaires, réparties en groupes tactiques (siglés A, B et C)

Les Gendarmes Mobiles : près 12.500 personnels de la gendarmerie y sont affectés. Répartis en 109 escadrons de marche (EGM), ainsi que quelques unités spécialisées.

Chaque escadron (EGM) étant composé de près de 110 militaires, répartis en 5 pelotons :

  • 4 dits « de marche », dont un Peloton d’Intervention (PI).
  • 1 dit « hors rang », pour le commandement, l’administration et la logistique).

Ces 111 escadrons sont répartis en 18 groupements, sur tout le territoire national, placés sous le commandement des généraux commandant les 7 Régions de la Gendarmerie Nationale.

Chaque escadron déploie usuellement un groupe de commandement et trois voire quatre pelotons de seize gendarmes chacun, peloton pouvant s’articuler en deux groupes.

Parmi ces pelotons, on trouve les « PI » (Pelotons d’Intervention »), successeurs des « ELI », dédiés, lors de manifestations, à des fonctions d’interpellation d’individus violents, à la protection des biens et personnes ou à la pénétration de lieux barricadés.

Par ailleurs, comme les SPI en CRS, ces PI contribuent au Schéma National d’Intervention pour le niveau d’intervention dit Intermédiaire, face notamment aux actes terroristes types tueries de masse ou prise d’otages.

Un appui aux gendarmeries départementales (interpellations à domicile, escortes, milieux périlleux) fait également partie des prérogatives de ces PI.

Les CDI / CSI : Ces compagnies sont rattachées à des Directions Départementales de Police Nationale (DDPN / ex DDSP), agissant en appui de services départementaux ou régionaux (SD, GIR…) voire des CSP (circonscriptions de sécurité publique) du territoire auquel elles sont affectées.

Si elles sont mobilisables pour des missions de maintien de l’ordre, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’unités d’appui dans les missions de sécurité publique et de police judiciaire, renforçant des effectifs de voie publique comme les BAC (locales comme départementales) ou assistant des services de police judiciaire, notamment pour de l’interpellation à domicile puis de la sécurisation pour perquisition.

En ce qui concerne le maintien de l’ordre, les fonctionnaires composant les CDI/CSI sont mobilisables pour des opérations sur leur département de compétence, dès lors qu’elles ne nécessitent pas d’intervention plus spécialisée qui est celle des CRS ou EGM.

(leurs effectifs peuvent aussi être intégrés à des schémas de CRS ou EGM pour des besoins opérationnels justifiés par les circonstances).

Les CI : (pour la Préfecture de police de Paris / PP) : rattachées à la DOPC, elles sont au nombre de 7, comptant chacune en moyenne environ 110 fonctionnaires de police (une 8ème étant dédiée aux interventions de nuit).

Depuis 2019 (et la crise dite des Gilets Jaunes qui a conduit à de nombreuses et massives manifestations notamment sur Paris intramuros), pour le maintien de l’ordre, ces unités s’articulent en « Brigades de Répression de l’Action Violente » (BRAV), brigades créées sous l’autorité du Préfet de Police alors en fonction, M. Lallement. Brigades aux modalités d’interventions différenciées et adaptables, la plus médiatisée étant la BRAV dite « M » (pour Motorisée), composée d’une unité spécialisée de motocyclistes flanqués chacun d’un opérateur de la CI, permettant des projections rapides d’un noyau de manifestants à un autre ou encore de canaliser ou disperser des manifestants lorsque l’ordre en est donné.

(il s’agit en réalité d’une quasi réplique opérationnelle des « pelotons « voltigeurs motoportés » créés en 1969 puis dissouts en 1986).

Chaque CI comprend aussi une unité spécialisée, dite « d’Intervention et de Réaction Rapide » (ULI2R) qui, au-delà des prérogatives classiques d’une CI, va également concourir au schéma national d’intervention, au même titre et de la même manière que les SPI4G de CRS et les PI de Gendarmerie Mobile.

Distinction opérationnelle : si les CRS et GM peuvent être distingués par des casques de protection rayés de deux bandes horizontales jaunes, les effectifs de CDI/CSI sont identifiables par des bandes horizontales bleu-roi et ceux des CI par des bandes bleues surplombées par l’insigne de la PP.

Une évolution des manifestants lors de rassemblements susceptibles de troubler l’ordre public

Depuis la fin de la 2nde guerre mondiale, l’essentiel des événements conduisant à des mobilisations nécessitant du maintien de l’ordre étaient des manifestations du mouvement social, avec des organisations puissantes (les syndicats) et staffées pour cadrer les manifestations en amont de toute « confrontation » avec les forces de l’ordre mobilisées : non seulement ces organisateurs connaissaient parfaitement les pratiques des professionnels CRS et gendarmes mobiles, mais de surcroît leurs propres services d’ordre évacuaient parfois de leur propre initiative des fauteurs de trouble hors des cortèges de manifestants.

Les événements ou manifestations troublant l’ordre public ces dernières années ne se sont clairement plus déroulés dans ce contexte, pour deux raisons :

  1. la perte de main mise des principales centrales de syndicats de salariés et de fonctionnaires sur les mouvements dits « sociaux », désorganisant et déstructurant les cortèges de manifestants et laissant la porte ouverte à davantage de perturbateurs / casseurs; un rapport du Défenseur des Droits en décembre 2017 [2]  décrivait alors ce nouveau phénomène de manifestants en reprenant des propos de responsables de la PP, qualifiant ces nouveaux manifestants de :

‘’ « nébuleuse » dans laquelle se retrouvent les « traditionnels casseurs » ou des « opportunistes », des « étudiants, collégiens, zadistes, retraités, fonctionnaires… » qui peuvent graviter autour d’un noyau dur identifié depuis quelques années sous l’appellation de « Black Blocs ». Evalués entre quelques dizaines et plusieurs centaines d’individus, ils constituent au sein des manifestations « des groupes éphémères, dont l’objectif est de commettre des actions illégales, en formant une foule anonyme non identifiable ». Ces individus, en général cagoulés et vêtus de noir, sont formés et entrainés suivant des stratégies paramilitaires et prônent l’action violente dans un but de déstabilisation des institutions. Ces groupes dégradent prioritairement les biens qui présentent une valeur symbolique pour leurs revendications, tels que des agences bancaires ou des enseignes de luxe ou de grande consommation. Comme l’avait précisé le Préfet de police de Paris, leur stratégie est d’utiliser les cortèges des manifestations comme des « vecteurs » pour leurs actions. Ces individus se positionnent désormais parfois en tête des cortèges et recherchent l’affrontement direct avec les forces de l’ordre. ‘’

2. l’évolution de la délinquance urbaine et péri-urbaine, qui a accentué le phénomène d’ « émeutes de quartiers », regroupements de délinquants ayant pour seuls objectifs apparents de procéder à des dégradations et à des violences contre les forces de l’ordre, sans aucune revendication sociale ou idéologique exprimée clairement. Profils de délinquants que l’on a vus se joindre sur Paris-75 aux casseurs des grandes manifestations (Gilets Jaunes, réforme des retraites, marche contre l’islamophobie…) cités au point 1).

Quatre évolutions nécessaires pour répondre aux défis de la situation sécuritaire actuelle

Face à cette évolution des profils de manifestants et casseurs, dans un contexte de violence généralisée au niveau sociétale, quatre évolutions s’imposent à qui voudrait dignement rétablir des conditions d’un maintien de l’ordre et de paix publique.

1. Considérer les effectifs de Police / Gendarmerie au Maintien de l’Ordre comme des effectifs d’impérative nécessité et spécialisés

Si plus de 22.000 policiers et gendarmes semblent affectés à des unités constituées concernées, de près comme de loin, aux fonctions de maintien de l’ordre, la réalité opérationnelle est autre.

Sur l’évolution des effectifs et des unités, tout d’abord.

Sur 10 ans, les effectifs sont restés quasi stables (un peu plus de 11.000 CRS et un peu plus de 12.000 gendarmes mobiles).

Les Unités de Forces Mobiles paient encore aujourd’hui la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) conduite au début des années 2010 (-1500 ETP de CRS sur 7 ans, – 2300 ETP de gendarmes sur 8 ans, toujours selon le dernier rapport de la Cour des Comptes en la matière [3].

Or, le nombre de compagnies de CRS est resté stable (60 compagnies jusque fin 2023 / +4 en 2024) et le nombre d’escadrons de GM a été carrément réduit de 15 sur 16 ans.

Cette équation effectifs à peine stabilisés + non réduction du nombre de compagnies voire réduction du total d’escadrons n’est pas sans conséquences sur la capacité opérationnelle de nos concitoyens engagés dans les forces du maintien de l’ordre : si l’effectif requis d’une compagnie de CRS est estimé à 132 agents pour efficacité optimale, de nombreuses compagnies n’atteignent pas cet effectif, réduisant le nombre de sections ou pelotons opérationnels (dits « de marche ») à trois au lieu de quatre par compagnie / escadron, réduisant les capacités d’action simultanée sur le théâtre d’opérations de maintien de l’ordre.

Selon le rapport de la Cour des Comptes cité plus haut, 42 unités des compagnies générales de CRS sont frappées par cette problématique. Un EGM réduit à trois pelotons au lieu de quatre, c’est l’impossibilité de se scinder en deux groupes homogènes, nécessitant le renfort à ses côtés d’un autre EGM.

Et ce ne sont pas seulement les Retex des personnels concernés qui l’illustrent, mais bien la Cour des Comptes qui en atteste dans ses observations. Inefficace et coûteux !

Sans compter que les créations de compagnies encore plus spécialisées, faites à grands coups de communication politique, comme la CRS 8 et ses quatre « répliques » constituées sur 2024, ont été effectuées pour la très majeure partie par des transferts d’effectifs de compagnies existantes… !

Parallèlement, les effectifs des CDI / CSI (à l’échelon national, hors Préfecture de police de Paris)) ont certes nettement augmenté : entre 2014 à 2023, de 1800 à près de 2300 [4].

Côté Préfecture de Police (Paris), les effectifs des CI ont plus que doublé entre 2007 et 2023 [4].

Ces personnels, sans remettre en cause leur engagement, formation et parcours, restent tout de même davantage des spécialistes initiaux de l’interpellation et de l’intervention, plus que du maintien de l’ordre public, a contrario des CRS et EGM qui abritent de vrais spécialistes et permanents de la matière « MO ».

Côté Police, on peut donc en conclure que les hausses d’effectifs ont clairement été constituées côté effectifs spécialisés départementaux DDPN (CDI/CSI) bien plus que côté unités ultra-spécialisées (CRS).

Sur l’affectation des effectifs pourtant dédiés au Maintien de l’Ordre.

Au-delà de la question des effectifs spécialisés et de leur répartition sur un nombre croissant d’unités, se pose la question suivante (encore plus absurde) : ces effectifs sont-ils bien affectés à des missions de maintien ou rétablissement de l’ordre est public ?

Bien qu’une instruction fin 2015 était très claire sur cette priorité (objectif « MOSOVO »), là aussi, les conclusions de la Cour des Comptes sont sans appel : entre 2017 et début 2023, seules 30% des unités de force mobile (CRS / EGM) ont été employées pour des missions de maintien de l’ordre !

Entre 70 et 80 unités sont en effet quotidiennement détournées pour d’autres missions, dites « permanentes » :

  • 14 unités affectées à la protection des frontières espagnole, italienne ou britannique
  • 15 unités à la disposition de la Préfecture de Police de Paris pour les gardes statiques des grands palais, ambassades ou encore lieux de culte jugés sensible
  • 3 unités affectées à la sécurisation des départements corses, 21 à celles des territoires ultra-marins
  • 19 unités au renforcement des effectifs de police / gendarmerie dans des départements particulièrement exposés à la délinquance et aux violences dites urbaines

(une des conséquences du plan dit « National de Sécurité Renforcée » / PNSR de 2012).

Parallèlement, l’emplois d’entités de la FIPN comme le RAID lors des émeutes de 2023, consécutives à l’affaire dites Naël en dit long sur l’utilisation de ressources … Sans douter un instant de l’excellence opérationnelle des éléments de la FIPN notamment en termes d’interpellation, vu la sollicitation croissante qui en est déjà faite en matière d’affaires anti-terrorisme, d’anti-stupéfiants ou d’autres missions notamment d’appui aux unités judiciaires, les sur-solliciter encore sur des missions de troubles (certes graves) à l’ordre public illustre une certaine anomalie en la matière…

Compte tenu des enjeux actuels de maintien de l’ordre, face à des mouvements de casseurs ou des émeutiers « urbains » sans limites, les priorités doivent désormais être claires :

  • Un schéma de recrutement qui entérine enfin le renforcement prioritaire des compagnies et escadrons sous-dotés, en stoppant l’éclatement sur de nouvelles unités créées.
  • Une priorité à l’emploi des Unités de Force Mobile (CRS et EGM) pour les questions du maintien de l’ordre, en tant qu’effectifs ultra-spécialisés, plutôt qu’un recours accru à des services départementaux ou de PP déjà fortement sollicités par des missions d’appui aux effectifs de sécurité publique et de police judiciaire.

2. Face à des casseurs et des émeutiers-délinquants à la violence croissante, re-légitimer l’usage légal de la force prévu par les textes, en finir avec l’absurde confusion avec la légitime défense

En matière de dispersion de contrevenants lors de manifestations provoquant des attroupements (« rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public », comme en dispose clairement le Code Pénal), la Loi française est très claire : ce « rassemblement » peut être dispersé par la Force publique, selon des conditions de forme, notamment double sommation préalable, dictées par le législateur via notamment l’article L 211-9 du Code de la Sécurité Intérieure.

Article qui semble faire consensus dans la classe politique depuis une dizaine d’années (à tout du moins pour la partie qui a jusque-là gouverné…) car non révisé depuis le 1er mai 2012, malgré la ribambelle de gouvernements qui se sont depuis succédé !

Si les modalités pratiques telles que vécues par les opérationnels (vitesse de circulation des ordres dans la chaîne de commandement, limitation pratique des profils habilités à effectuer les sommations, alourdissement des sommations à prononcer…) peuvent être clairement débattues, le fond des textes semble sans appel.

Et pourtant : procédures administratives voire judiciaires se sont multipliées ces dernières années face aux personnels des « forces de l’ordre » employées en mission de MO, sans compter les saisines du Défenseur des Droits, sur des sujets notamment d’emploi de moyens de force intermédiaires (MFI), avec la très médiatisée question de l’emploi du Lanceur de Balle de Défense (LBD) type « 40*46 ».

Les arguments de non proportionnalité ou de non immédiateté de l’usage de la force ou de MFI n’étant pas sans rappeler … ceux liés aux conditions de la légitime défense telles que posées par l’article L 122-5 du Code Pénal.

Or, si certes chaque opérateur reste tenu par des obligations réglementaires de discernement (fixées entre autres par le R 434-10 du Code de Sécurité Intérieure) ou déontologiques de maîtrise de soi, ainsi que par un emploi proportionné de la force pour disperser uniquement le temps nécessaire  à la dispersion (R 211-13 du Code de Sécurité Intérieure), il ne s’agit ici, dans le cadre précis de la dispersion d’attroupement, en rien d’acte de défense contre une atteinte injustifiée envers soi ou autrui, mais bel et bien de l’emploi de la force pour poursuivre un but légalement prévu : disperser un attroupement qui refuse d’obtempérer à l’ordre de dispersion.

Du plus haut niveau des instances, lors d’attroupements constitués de contrevenants armés et/ou aux visages dissimulés arborant des comportements ou propos menaçants, ou commençant des dégradations, la consigne centrale donnée aux relais de commandement opérationnels sur le terrain doit redevenir la suivante : l’usage de la force pour dispersion, en pleine conformité avec la loi, pour faire cesser le problème dès détérioration de la situation.

Là aussi, s’agissant de techniques particulières nécessitant un emploi adapté de la force, évidemment non létal et avec des moyens intermédiaires adaptés, elles doivent être pratiquées en premier lieu par les plus spécialistes et les plus entraînés à leur usage : CRS et Gendarmes Mobiles, afin aussi d’éviter des emplois inappropriés (faute d’entraînements ou d’habitudes suffisants de personnels moins spécialisés) et donc susceptibles d’être frappés de procédures de saisine qui finissent par faire douter les forces de l’ordre dans leur ensemble. Doute dont profitent déjà beaucoup trop les contrevenants.  

Parallèlement à cette consigne émanant de la place Beauvau, une autre s’imposera du côté de la place Vendôme, et il faudra l’assumer : la nécessité de circulaire générale sur la non qualification de principe, sauf exception le justifiant, par les parquets, de telles pratiques comme étant a priori des violences commises par personnes dépositaires de l’autorité publique, dès lors que l’emploi de la force a été commis dans le cadre légal du 211-9 du Code de la S.I..

Car là aussi, comme sur tous les sujets de Sécurité Publique, Intérieur et Justice doivent marcher dans la même direction et d’un même pas décidé.

3. Instaurer une culture de cessation des attroupements et des dégradations/violences, plutôt que s’obstiner à vouloir judiciariser (trop souvent en vain…) après commission des faits

Le « tournant » de la manifestation des Gilets Jaunes, au fur et à mesure que le mouvement s’est durci et a perduré, notamment sur Paris (avec un paroxysme de violence en mars 2019), a consisté en un recours accru aux éléments d’intervention en charge de procéder à des interpellations lors de la commission de flagrants délits, autrement dit : commencement de dégradations et de violences, notamment avec armes par destination et contre les forces de l’ordre.

Si l’on peut saluer l’intention louable, procéder à des interpellations massives dans le contexte de fonctionnement actuel de l’appareil judiciaire s’est avéré illusoire. Quand on sait les difficultés systémiques que connaissent déjà parquets et tribunaux, provoquer un afflux de procédures sur des flagrants délits en tentant d’obtenir des comparutions immédiates massives relève d’une mission quasi impossible, en dépit de circulaires illusoirement volontaristes de la Place Vendôme… (comme on a pu en entendre lors de jugements postérieurs aux émeutes de 2023). De plus, le prononcé des peines et leur application en découlant (excepté un petit frémissement constaté dans les délibérés post émeutes de 2023) est encore bien trop souvent loin des peines pourtant encourues : selon le Garde des Sceaux alors en fonction [5], sur 1056 personnes interpellées dans le cadre des « émeutes Nahel » de 2023, 742 ont été condamnés à de la prison ferme pour une durée moyenne de 8,2 mois… et 600 ont réellement fait l’objet d’un mandat de dépôt avec une incarcération à la clé, soit à peine plus de 1 personne jugée sur 2.

Sans compter que parmi les mis en causes déférés, 502 étaient mineurs dont 196 alors âgés de moins de 16 ans [6]… donc relevant des juridictions pour enfants et concernés par un champ de prononcé des peines bien moindre, ainsi que par l’atténuation d’office pour moitié des peines potentiellement encourues…

Quel signal envoyé aux délinquants présents dans les manifestations (quels qu’en soient le contexte ou la genèse) ? On laisse faire, on laisse dégrader ou commettre des voies de fait (donc les préjudices notamment matériels sont déjà là), on interpelle et juge… avec seulement 56% des mis en cause jugés qui sont réellement frappés d’une peine privative de liberté dissuasive.

Or, des retours de terrain, la plupart de ces contrevenants formaient des attroupements au sens du Code Pénal préalablement à la commission d’infractions pour lesquels ils ont été interpellés…

Donc si leur dispersion par la force légitime avait été rendue possible notamment plus tôt, il est évident que moins d’infractions auraient été commises derrière, grâce à la dispersion par la force, éclatant donc les noyaux de délinquants et dissuadant la commission d’infractions grâce à la pression terrain maintenue après dispersion.

Osons le dire : dans un contexte de surcharge générale du système judiciaire et d’une délinquance absolument pas apeurée par la répression pénale à laquelle elle s’expose, laisser commettre les infractions pour chercher un flagrant délit et judiciariser derrière est illusoire et inefficace lors d’événements relevant du maintien de l’ordre.

Sans compter l’immense défiance des victimes des dégradations de biens (dégradations qu’on a « laissées faire ») et le scepticisme compréhensible de forces de l’ordre victimes de voies de fait.

En maintien de l’ordre, lors d’événements comprenant des individus menaçants ou violents, il faut récréer une culture de la dissuasion grâce au cadre légal permis par le Code de Sécurité Intérieure et refaire de la dispersion par la force de ces attroupements problématiques l’action de base, confortée, des personnels en charge du maintien de l’ordre.

Le signal envoyé sera bel et bien celui d’un rétablissement de l’ordre et d’un usage de la force par celles et ceux qui y sont légalement habilités, face aux contrevenants (qui ne sont plus des manifestants, par définition) qui usent illégitimement de leurs forces pour commettre leurs méfaits.

4. Tourner le dos à la technique de l’encerclement et revenir aux manœuvres fondamentales dans le schéma tactique

Parallèlement au recours intensifié ces dernières années aux sections ou pelotons dédiés à l’intervention pour interpeller, les éléments de manœuvre recouraient davantage à la technique de l’encerclement, dite « de la nasse » (ou « de kettling »), qui consistaient à maintenir dans un périmètre manifestants… et contrevenants, ensemble, parfois pendant plusieurs heures, sans issue possible y compris pour les manifestants non contrevenants.

Cette technique, qui était jugée en 2017 par le Défenseur des Droits comme étant sans base légale et hors enseignements en la matière, a également été contestée, dans son fondement comme dans ses conséquences, par le Conseil d’Etat [7].

L’emploi de cette technique par les forces de l’ordre lors d’une manifestation sur Lyon remontant à 2010 a même fait l’objet d’une condamnation de la France par la CEDH (8 février 2024).

Bien qu’objet de contestations juridiques de différents ordres et niveaux, créant donc un climat d’insécurité juridique dans son usage, le dernier Schéma National de Maintien de l’Ordre n’évoque pas clairement la technique en ces termes, se contentant d’évoquer un « maintien à distance » comme « option privilégiée ».

Pour le bon déroulement de manifestations, et la possibilité aux effectifs affectés de faire un tri d’identification rapide entre manifestants et contrevenants, il semble nécessaire que soit proscrite la technique de l’encerclement, surtout sur une durée longue (parfois elle était opérée pendant plusieurs heures), sauf en cas de circonstances que le commandement sur place estimerait telles que son recours pour isoler des éléments contrevenants regroupés et refusant dispersion serait nécessaire.

Il faut retrouver l’esprit de la possibilité systématique, pour tout manifestant, de « circuler » et d’ échappatoire sécurisé en cas de dispersion d’attroupements ou de ré-orientation de cortèges.

 

En conclusion : face à une évolution évidente des comportements et de la sociologie des acteurs participant à des manifestations, face à un durcissement d’une forme de délinquance recourant facilement à l’émeute violente, l’Etat républicain se doit de disposer d’effectifs suffisants pour garantir le bon ordre public, avec des personnels en confiance, assurés d’un cadre opérationnel et juridique permettant avec efficacité et sérénité l’exercice de la mission.

Le recours à la force légitime pour disperser les attroupements de contrevenants violents et menaçants doit redevenir le principe de base, remplaçant une culture du « laisser commettre » par une vraie culture de dissuasion.

Pour le Maintien de l’Ordre comme pour les autres domaines de la sécurité publique, ambition et détermination sont plus que jamais nécessaires.

 


Sources

[1] Observations Définitives : Les Forces Mobiles, exercices 2017 et suivants ; rendues par la Première Section de la Quatrième Chambre de la Cour des Comptes, délibéré du 12 février 2024

 

[2] Rapport du Défenseur des Droits : « le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », décembre 2017

 

[3] Observations Définitives : Les Forces Mobiles, exercices 2017 et suivants ; rendues par la Première Section de la Quatrième Chambre de la Cour des Comptes, délibéré du 12 février 2024

 

[4] Décompte dans les « Observations Définitives : Les Forces Mobiles, exercices 2017 et suivants ; rendues par la Première Section de la Quatrième Chambre de la Cour des Comptes, délibéré du 12 février 2024

 

[5] Allocution médiatique du Garde des Sceaux en fonction, le 19 juillet 2023

 

[6] Selon un rapport d’information au Sénat N°521, déposé le 09/04/2024 « Emeutes de juin 2023 : comprendre, évoluer, agir »

 

[7] Décision N°444849 des 10ème et 9ème chambres réunies du Conseil d’Etat, lecture du 10 juin 2021