Dans le prolongement du déclenchement de l’état d’urgence décrété en 2015 et maintenu pendant deux ans sur le territoire national, la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (dite loi SILT) a introduit dans le droit commun de nouveaux instruments de lutte contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Prévus par le code de la sécurité intérieure, ils visent :
- À étendre les périmètres de protection définis par l’autorité préfectorale à l’occasion d’évènements particuliers,
- À faciliter la fermeture des lieux de cultes suspectés de radicalisation islamiste notamment,
- À recourir aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) pour prévenir les atteintes à l’ordre public en lien avec une menace terroriste,
- À permettre des visites domiciliaires et saisies à des fins anti-terroristes.
Sur ces quatre mesures de police administrative, trois relèvent de la compétence des préfets et seules les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance sont de la compétence du ministre de l’Intérieur. Elles viennent compléter le dispositif déjà existant en matière de prévention du terrorisme : interdictions de sortie du territoire, gels des avoirs, expulsions ou interdictions administratives du territoire français.
Ces mesures font l’objet d’un contrôle parlementaire établi sur la base du rapport fourni chaque année par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) de la place Beauvau, en lien avec l’UCLAT.
Les périmètres de protection
Le dispositif est prévu par l’article L. 226-1 du CSI) et donne au préfet, lorsqu’un lieu ou un événement est exposé à un risque d’acte de terrorisme, la possibilité d’instaurer par arrêté un périmètre de protection et de sécurisation pour limiter la circulation et contrôler les flux de personnes et de biens qui s’y trouveraient. Ces pouvoirs sont confiés aux policiers et aux gendarmes et, sous leur contrôle et uniquement pour filtrer l’accès au périmètre protégé, à des agents de police municipale ou, le cas échéant, à des agents privés de sécurité. La mesure est jugée constitutionnelle dès lors qu’elle est parfaitement bornée par l’arrêté et qu’aucune mesure discriminatoire des personnes n’est imposée.
La fermeture des lieux de culte
Prévu à l’article 227-1 CSI, ce dispositif permet prévenir les actes de terrorisme : elle ne vise donc pas tous les lieux de culte dont le fonctionnement porterait atteinte à l’ordre public, comme pendant l’état d’urgence, mais uniquement ceux qui, “en raison des propos qui y sont tenus, des idées ou théories qui y sont diffusées ou des activités qui s’y déroulent, incitent à la discrimination, à la haine, à la violence, à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, ou font l’apologie de tels agissements ou de tels actes”.
Ces éléments peuvent concerner les messages véhiculés par le lieu de culte de manière active, les fréquentations de ses membres, les activités organisées en son sein (enseignement coranique exaltant les valeurs du djihad, activités sportives constituant des lieux d’endoctrinement ou d’entraînement au djihad). La décision est motivée et fait l’objet d’une procédure contradictoire préalable, conformément au code des relations entre le public et l’administration et doit être notifiée dans un délai qui ne peut être inférieur à 48 heures avant son entrée en application pour permettre un éventuel recours en référé devant le juge administratif, dans les conditions prévues à l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Ce recours, suspensif, permet de trancher la question de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale avant la mise à exécution de la fermeture, sans préjudice d’un éventuel recours en annulation. En revanche, passé le délai de 48 heures, à défaut de saisine du juge ou en cas de rejet de la requête par le tribunal administratif, la mesure peut être exécutée d’office. La mesure doit être nécessaire et proportionnée (prise en compte notamment de la possibilité pour les fidèles d’être accueillis dans d’autres lieux de culte existants) et sa durée ne peut excéder six mois. Toute violation de la mesure de six ans d’emprisonnement et 7 500 € d’amende.
Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS)
Prévues aux articles L. 228-1 à 7 du CSI, elles visent toute personne susceptible dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui entre de manière habituelle en relation avec des personnes ou organisations liées au terrorisme ou en faisant l’apologie. Les critères des MICAS sont plus encadrés et plus précis que ceux applicables en état d’urgence pour assigner une personne à résidence (article 6 de la loi du 3 avril 1955).
Elles permettent de maintenir la surveillance d’individus qui sont considérés comme présentant un danger pour la sécurité et l’ordre public et autorisent aussi la surveillance d’individus en attente d’éloignement (arrêté ministériel d’expulsion pris à leur encontre), ou sous contrôle judiciaire pour des faits en lien avec le terrorisme, ou condamnés pour ce type de faits et sortant de détention.
Ces mesures imposent différentes d’obligations : se présenter régulièrement aux forces de l’ordre, être astreint à une zone géographique, déclarer son lieu d’habitation, empêcher d’entrer en relation avec certaines personnes. Ces obligations sont sanctionnées par la Justice pénale en cas de non-respect.
Ces mesures sont initialement possibles pour une durée de 6 mois, renouvelables une fois de manière exceptionnelle. La plupart des MICAS prononcées concernant des sortants de prison sont susceptibles d’aménagement qui tiennent compte de la vie privée et professionnelle des personnes qui sont visées par ces mesures.
Il est impossible d’obtenir la suspension temporaire de la mesure de contrôle administratif et de surveillance pour se rendre à l’étranger même si la jurisprudence administrative a prévu une levée temporaire de l’interdiction de sortie du territoire prévue à l’article L. 224-1 du CSI, pour assister aux funérailles d’un proche dans le pays d’origine (cf. TA Paris, ordonnance n° 1605032 du 7 avril 2016).
En revanche, exception des sorties de territoire, une MICAS peut être temporairement assortie d’une levée des obligations par un sauf-conduit délivré par le ministre de l’Intérieur pour autoriser l’intéressé à quitter temporairement le périmètre géographique dans lequel il a l’obligation de résider ou à déroger à son obligation de présentation au service de police ou de gendarmerie.
Il n’existe pas d’obstacle de principe à ce qu’une personne placée sous contrôle judiciaire en attente de son procès pénal fasse également l’objet d’une mesure de contrôle administratif et de surveillance destinée à prévenir la commission de graves troubles à l’ordre public.
Les visites domiciliaires et les saisies
Prévues aux articles L. 229-1 à 7 du CSI, émanent d’une requête préfectorale adressée au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris et ne peuvent avoir lieu que sur son autorisation, à la différence des perquisitions administratives menées unilatéralement sur la seule décision du préfet en période d’état d’urgence.
Pour rappel, près de 4 500 perquisitions administratives avaient été conduites sous l’état d’urgence entre le 14 novembre 2015 et le 1er novembre 2017. La DLPAJ fournit aux préfets le modèle de requête idoine et les perquisitions peuvent donner lieu à la saisie de données et de supports de données que le JLD autorise à exploiter. Elles peuvent aussi donner lieu à l’ouverture de procédures judiciaires incidentes.
Focus sur la procédure des visites domiciliaires anti-terroristes
La requête à des fins de visite domiciliaire doit établir que sont réunis les mêmes critères cumulatifs que ceux exigés pour fonder les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (art. L. 228-1 CSI) : – le comportement de la personne visée doit constituer une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ; – elle doit par ailleurs entrer en relation de manière habituelle avec des personnes incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme et/ou soutenir, diffuser ou adhérer à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger ou faisant l’apologie de tels actes.
Avant toute transmission de la requête à un juge des libertés et de la détention (JLD) unique, celui près le tribunal de grande instance de Paris, toute requête préfectorale à des fins de visite domiciliaire doit préalablement être transmise au procureur de la République de Paris et au procureur territorialement compétent, pour éviter toute interférence avec une procédure judiciaire en cours.
En cas d’autorisation, l’ordonnance du juge est susceptible d’un recours non suspensif devant le premier président de la cour d’appel, qui se prononce dans les quarante-huit heures. Alors qu’une perquisition administrative peut en état d’urgence, être ordonnée pour visiter tout lieu « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics », les conditions de lieux visités dans le cadre de l’article L. 229-1 du CSI sont plus contraignantes : uniquement aux fins de prévenir des actes de terrorisme chez une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger ou faisant l’apologie de tels actes.
Une visite domiciliaire a permis de déjouer un attentat le 11 mai 2018, suite à la détection d’un compte actif dans la sphère djihadiste : une visite a été réalisée au domicile de l’intéressé et a permis de mettre à jour la présence de plusieurs tutoriels indiquant comment préparer un attentat kamikaze.
Les autres mesures de police administrative pour prévenir le terrorisme
- L’interdiction de sortie du territoire
Prononcée par le ministre de l’Intérieur pour une durée de six mois, renouvelable une fois, prise par décision expresse et motivée prenant effet dès sa signature, et non dès sa notification comme c’est le cas de manière habituelle pour une mesure administrative individuelle. Dispositif issu de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, elle entraîne immédiatement l’invalidation des titres de voyage de la personne (passeport et carte nationale d’identité) et son inscription au fichier des personnes recherchées, afin de bloquer sa sortie du territoire, en cas de contrôle à l’embarquement). Cette mesure empêche des ressortissants français de rejoindre des théâtres d’opérations extérieurs et des filières terroristes. Cette mesure ne vise que quelques dizaines d’individus.
- Le gel des fonds et des ressources économiques (art. L. 221-1 CSI)
Les personnes physiques ou morales, ou toute autre entité, qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent ainsi que les personnes morales ou autres entités détenues ou contrôlées par les premières ou agissant sciemment pour leur compte ou sur leurs instructions peuvent voir les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, gelés pour une durée de six mois renouvelable, par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de l’intérieur. Des mesures de gel des fonds et ressources économiques peuvent également être décidées, par arrêté du ministre chargé de l’économie, pour une durée de six mois renouvelable, dans le cadre de régimes de sanctions financières internationales décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou par l’Union européenne, en réaction à une violation du droit international ou dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (article L. 562-3 du code monétaire et financier). Une telle mesure vise à la fois les personnes détenant des ressources importantes mais également celles dont les ressources sont plus insignifiantes mais dont les comptes peuvent servir de réceptacles à des opérations de flux financiers à destination de groupes terroristes.
- Les dissolutions d’associations gérant des lieux de culte
L’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que, aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, peuvent faire l’objet d’une décision de fermeture les lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. Lorsque ces agissements sont également provoqués, entretenus ou cautionnés par la personne morale gérant le lieu de culte, celle-ci peut, le cas échéant, faire l’objet d’une dissolution administrative sur le fondement des 6° ou 7° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure
- Les assignations à résidence
Dans ce cas, la personne fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence, sur le fondement des articles L. 561-1 à L. 561-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile « jusqu’à ce qu’il existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation ». Cette assignation à résidence, qui prend alors le relais de la mesure de contrôle administratif et de surveillance, est plus contraignante pour la personne concernée et permet une surveillance accrue. L’autorité administrative peut en effet choisir le lieu de l’assignation et préciser le périmètre en dehors duquel l’étranger ne peut se déplacer sans autorisation préalable (sauf-conduit écrit), en assortissant le cas échéant cette obligation de présentations quotidiennes et d’une obligation de demeurer dans les locaux durant une plage horaire qui ne peut dépasser dix heures consécutives par période de vingt-quatre heures. Pour des raisons de sécurité et d’ordre publics, le lieu d’assignation peut être distinct du lieu de résidence habituelle. Enfin, en cas de comportement lié à des activités à caractère terroriste ou en cas de condamnation à une peine d’interdiction de territoire pour des activités à caractère terroriste, il peut être fait interdiction à l’étranger faisant l’objet de la mesure d’entrer en relation directe ou indirecte avec certaines personnes nommément désignées dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste (art. L. 563-1 du CESEDA).