Autorités Administratives Indépendantes (AAI) et Autorités Publiques Indépendantes (API)
Depuis la création de la CNIL en 1978, la France a vu proliférer de nombreuses institutions désignées sous le nom d’Autorités Administratives Indépendantes (AAI) ou d’Autorités Publiques Indépendantes (API) depuis 2003, avec la création de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Au cours des quarante dernières années, l’exécutif s’est déchargé de nombreux pouvoirs au profit de ces institutions, dans des domaines stratégiques divers allant de l’énergie à l’audiovisuel en passant par les télécommunications, la finance et la santé. Quel que soit le résultat des élections, le futur gouvernement devra composer avec ces institutions, sous peine d’être sanctionné par le Conseil constitutionnel ou par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE).
Les Autorités Administratives / Publiques Indépendantes
Les AAI et API sont des institutions de l’État, créées ou reconnues par la loi, en charge de la régulation d’un secteur d’activité. Elles peuvent aussi être chargées de protéger les droits des citoyens.
Les AAI et API peuvent, selon leur fonction, détenir :
- Un pouvoir de recommandation (conseiller sur une pratique, par exemple) ;
- Un pouvoir de décision individuelle (nommer à des postes, par exemple);
- Un pouvoir de réglementation et de sanction.
La loi de 2017 liste 17 autorités administratives indépendantes (AAI) :
- Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) ;
- Autorité de la concurrence ;
- Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) ;
- Autorité nationale des jeux ;
- Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ;
- Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ;
- Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ;
- Commission de régulation de l’énergie (CRE) ;
- Commission du secret de la défense nationale (CSDN) ;
- Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ;
- Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL);
- Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ;
- Commission nationale du débat public (CNDP) ;
- Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ;
- Défenseur des droits ;
- Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) ;
- Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Bien qu’indépendantes, les AAI sont liées budgétairement à un ministère. Ce n’est pas le cas des autorités publiques indépendantes qui disposent de la personnalité morale, leur octroyant ainsi le bénéfice d’une autonomie financière.
Il existe sept autorités publiques indépendantes :
- Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ;
- Autorité des marchés financiers (AMF) ;
- Autorité de régulation des transports (anciennement Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières – ARAFER);
- Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) qui a succédé au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) ;
- Haute Autorité de santé (HAS) ;
- Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C) ;
- Médiateur national de l’énergie.
Chiffres clés
La loi du 20 janvier 2017 a restreint le nombre d’autorités indépendantes à 24 au lieu d’une quarantaine auparavant.
L’importance des services des AAI ou API est très hétérogène. Certains sont peu développés (comme le Haut Conseil du commissariat aux comptes), d’autres plus nombreux : ceux de l’Autorité des Marchés Financiers ou de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, anciennement CSA), notamment disposent d’une force au travail pouvant atteindre plusieurs centaines d’agents.
Les budgets de ces autorités sont en constante augmentation : Selon les derniers rapports annuels de 2023 disponibles, ces institutions représenteraient au minimum environ 3500 agents pour un budget de fonctionnement supérieur à 430 millions d’euros. (Le budget des AAI/API était de 367,8 millions d’Euros en 2016)
Les personnels peuvent relever du droit privé et être recrutés par contrat mais, dans de nombreux cas, il s’agit de fonctionnaires détachés ou mis à disposition.
Autorités administratives indépendantes ?
Une indépendance en question
Le nom même de ces institutions, qui relève de l’oxymore, interroge sur leur mission au sein de l’appareil d’état : une institution peut-elle être une autorité “administrative”, et donc relevant de l’exécutif de l’état, et en même temps être une autorité “indépendante”, donc soustraite au principe rappelé par l’article 20 de la Constitution selon lequel le gouvernement, responsable devant le parlement, détermine et conduit la politique de la nation et dispose pour ce faire de l’administration” ?
Dans les faits, ces institutions sont devenues le bras armé des institutions européennes, bien plus que de l’état Français, leur existence même étant souvent exigée par le droit européen.
C’est le cas dans de nombreux secteurs, parmi lesquels les secteurs de l’audiovisuel, des télécommunications, de l’énergie ou des transports, pour lesquels l’Union Européenne impose aux états membres, au travers de directives, de créer des autorités indépendantes afin d’assurer des missions de régulations au sein du secteur concerné.
A titre d’exemple, l’article 51 du Règlement Général de Protection des données (RGPD) de l’UE énonce que “chaque état membre prévoit qu’une ou plusieurs autorités publiques indépendantes sont chargées de surveiller l’application du présent règlement “. En France, cette autorité est la CNIL.
Ce type d’institutions n’est donc pas un phénomène limité à la France, qui aura joué un rôle de précurseur en la matière. Il s’est considérablement développé dans l’ensemble des pays membres de l’UE, sous des formes juridiques et des dénominations diverses selon les particularités propres à chaque pays.
L’arsenal des moyens dont disposent les Autorités Indépendantes alimente les interrogations sur la compatibilité de ces institutions avec le pouvoir et l’ordre démocratique.
Si le pouvoir politique souhaite reprendre la main sur son administration, voire remettre en cause l’existence même de ces institutions, cela nécessiterait à minima une remise en cause du droit de l’Union Européenne.
Par Bruno Mahieux