L’énergie et les armées

L’énergie et les armées
29 octobre 2024 Olivier Debeney

L’énergie et les armées

L’énergie constitue un enjeu central pour les armées françaises, à la fois sur le plan opérationnel et environnemental. La capacité à garantir un approvisionnement énergétique stable et sécurisé est indispensable pour mener à bien les missions militaires dans des contextes variés. Parallèlement, les armées s’inscrivent dans une démarche sociétale de transition énergétique. Cet équilibre périlleux entre exigences opérationnelles et responsabilité environnementale reflète les défis complexes auxquels sont confrontées les forces armées dans une Europe en mutation.

Par Paul Laurent


Le défi énergétique du ministère des Armées

En France, la consommation énergétique du ministère des Armées représente un enjeu majeur, en raison des caractéristiques particulières de cette institution. Les Armées françaises (2019) consomment 835.000 m³ de produits pétroliers par an, principalement pour l’aéronautique (50 %), la marine (25 %) et l’armée de terre (20 %), représentant près de 0,8 % de la consommation pétrolière nationale.

Dans le détail, deux secteurs ressortent :

  • La mobilité
    • 0,8% de la consommation pétrolière nationale
    • 73% de la consommation du ministère
  • Le bâtiment
    • 455.000 T d’équivalent CO2 (0,5% des émissions nationales)
    • 27% de la consommation d’énergie du ministère

Les efforts d’efficacité énergétique dans les infrastructures ont permis une réduction progressive des émissions de GES, notamment via la suppression des chaudières au fioul et l’intégration aux réseaux de chaleur urbains.

Une stratégie tridimensionnelle

Fruit d’un travail initié en 2007, et culminant avec la « Stratégie énergétique de Défense » (2022), la réflexion française repose sur 3 axes majeurs.

Consommer sûr

Les carburants fossiles, représentant une large majorité du mix énergétique militaire (généralisation du « carburéacteur » pour l’aviation et la mobilité terrestre). L’idée est de mettre l’accent sur l’optimisation des consommations à travers l’innovation technologique (bas carbone, hybridation, etc.) pour se défaire des dépendances internationales, notamment dans un contexte de tensions géopolitiques et de volatilité des marchés pétroliers.

Consommer moins

L’Armée met en place des stratégies d’amélioration basées sur la mesure précise des consommations et l’application de normes telles que l’ISO 50015 pour promouvoir l’efficacité énergétique. Cette démarche tente d’inclure l’adoption de pratiques plus frugales dans les opérations extérieures (exploitation de méthodes traditionnelles et lowtech), ainsi qu’une meilleure gestion des infrastructures et équipements, en prenant en compte l’empreinte environnementale (data centers, bâtiments).

Néanmoins, les exigences opérationnelles pesant sur les Armées françaises imposent de maintenir une consommation en hydrocarbures massive à moyen terme, au risque de perdre notre capacité de projection.

Consommer mieux

Les programmes d’armement intègrent des critères d’écoconception et d’efficacité énergétique. Le développement de nouvelles solutions énergétiques, telles que l’hybridation des motorisations, l’utilisation de biocarburants en aéronautique, et l’optimisation de l’énergie à bord des navires sont des axes clés de cette stratégie. La France a l’avantage immense de pouvoir s’appuyer sur l’énergie nucléaire (notamment pour la propulsion de certains navires de surface et sous-marins, mais aussi pour la consommation d’électricité). La réflexion se porte aujourd’hui sur l’utilisation de centrales nucléaires tactiques projetables. L’autoconsommation d’énergie est explorée, pour les bases militaires, via l’installation de microgrids.

L’utilisation des biocarburants de 1ère génération se heurte cependant à un contexte d’assèchement du pourtour méditerranéen – rendant nécessaire la recherche sur les biocarburants de 2ème et 3ème générations –, l’utilisation de l’hydrogène pose des questions de sécurité et n’est pas encore au point, l’énergie nucléaire est en perte de vitesse à cause d’atermoiements politiques.

Une approche mobilisant plusieurs types d’acteurs

Cette modification de l’approche de la consommation dans le secteur des Armées est propre aux pays occidentaux, pour des raisons de difficultés d’approvisionnement en hydrocarbures (dépendance structurelle de tous les Etats de l’UE) ou pour répondre aux enjeux sociétaux de transition écologique. Dans ce contexte, les partenariats avec les pays européens (Fonds européen de défense) et au sein de l’OTAN (Centre d’excellence pour la sécurité énergétique de Vilnius) sont renforcés pour garantir l’interopérabilité et partager les savoir-faire. Pour accompagner cette démarche, la BITD se doit de faire preuve d’innovation dans sa collaboration avec le ministère afin de répondre à la triple exigence opérationnelle, d’interopérabilité, et d’optimisation. Par ailleurs, même si le secteur des armées est exempté d’une partie des obligations européennes et nationales en matière d’environnement, l’existence de ces réglementations contraignantes pour le secteur civil menace de restreindre le nombre d’entreprises aptes à travailler avec le ministère des armées, ces dernières orientant leurs R&D sur des produits respectant les normes contraignantes en la matière. Enfin, l’Etat doit accompagner les acteurs du secteur de l’énergie, qu’il s’agisse de ceux qui opèrent dans les hydrocarbures, en premier lieu Total, pour assurer le plus longtemps possible l’indépendance nationale en matière de stockage, de transport, de distribution et de transformation pétrolière, de ceux qui opèrent dans le nucléaire, pour conserver une compétence de pointe dans ce fleuron national indispensable à toute stratégie de décarbonation, ou enfin de ceux qui opèrent dans les technologies de rupture.

Les armées françaises et la sûreté nucléaire

Le ministère des Armées, deuxième exploitant du nucléaire français (propulsion des sous-marins et du porte-avion, armes des forces nucléaires stratégiques), est tenu d’assurer la sécurité  des professionnels civils et militaires en appliquant des normes strictes. La sûreté repose le  tandem formation – veille des défaillances techniques et humaines, en collaboration avec  l’Autorité de Sûreté Nucléaire de Défense (ASND). La radioprotection nécessite des  classifications d’exposition (alignée sur les normes civiles) et des suivis spécifiques pour protéger  les travailleurs contre les risques ionisants. Le ministère organise également des exercices de  sécurité nucléaire réguliers, pour anticiper et gérer tout incident ou accident nucléaire potentiel.

 

Pour aller plus loin

Stratégie énergétique de Défense 2020 – rapport

Stratégie énergétique de Défense 2020

Résilience énergétique des forces armées 2024

Cour des Comptes Le ministère des Armées face aux défis du changement climatique 2024

Note Fondation pour la recherche stratégique 2020

IRIS Décarbonisation des Armées 2021

Building Military Power 2024

 


Paul Laurent est étudiant en Master de droit public à l’université Paris Cité. Il est aussi président de l’Institut Minerve et réserviste opérationnel au sein du 24ème Régiment d’Infanterie.