Du Levant à nos banlieues islamisées et nos prisons, la menace du terrorisme jihadiste reste la priorité numéro un des services de renseignements. Depuis 2017, ils ciblent en particulier les profils « endogènes », ces « convertis » susceptibles de basculer.
Quatre policiers tués à l’arme blanche et deux autres blessés, dont un très grave. Vingt-quatre heures après le terrible geste commis par un policier à l’encontre de ses collègues dans le saint des saints, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (PP), le Parquet national antiterroriste s’est saisi de l’affaire. L’hypothèse du coup de folie passe au second plan pour retenir celle du terrorisme islamiste. Le mode opératoire avait déjà fait pencher les experts : le couteau indétectable introduit subrepticement à la « PP », le nombre de victimes, le profil de l’auteur, un « converti ». Des indices recueillis après le drame ont fait basculer l’enquête. Le meurtrier a échangé des SMS suspects avec sa femme, désormais considérée comme complice, ses liens avec la mouvance salafiste de sa ville de Gonesse, dans le Val-d’Oise…
Un attentat « réussi » est toujours un échec pour les professionnels de la lutte antiterroriste. Mais cette fois, le coup est terrible. L’homme qui a semé la mort est un policier. Qui plus est, il était employé par le service chargé, en particulier, de surveiller les profils radicalisés à Paris…
« Beaucoup de prudence »
Cette nouvelle affaire illustre le type de menaces que craignent aujourd’hui les services de renseignement, dont la priorité numéro un demeure la lutte antiterroriste. Ses responsables le confirmaient quelques jours avant le drame de jeudi, au colloque de rentrée du Centre de recherche sur la sécurité intérieure (CSRI), à Paris. Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme à l’Élysée, Pierre de Bousquet de Florian expliquait : « Les services n’ont jamais dit que la menace disparaîtrait avec la défaite de Daesh ou qu’il y aurait moins d’attentats. Ils font preuve d’une extrême modestie et de beaucoup de prudence. L’année 2019 n’est pas terminée ». Il ajoutait : « Le phénomène nouveau depuis 2017, c’est le grand nombre de convertis qui apparaissent dans nos radars, et parmi eux, l’extraordinaire proportion de femmes ».
Désormais, chaque attentat ou tentative déjouée fait l’objet d’un « retex » (retour d’expérience) entre les acteurs. L’objectif est de comprendre et détecter le moment où s’est joué le passage à l’acte, d’analyser les signaux de cette bascule. Souvent, chez ce type de profil, tout s’emmêle : le déséquilibre psychologique ou la fragilité physique, un choc sentimental, la perte d’un emploi, de mauvaises fréquentations à la mosquée ou sur internet. Un véritable challenge, l’une des clés de la lutte contre le terrorisme jihadiste « endogène ».
11 000 personnes surveillées très activement
Sur le territoire national, « les facteurs de risque perdurent », confirmait de son côté le préfet Pascal Bolot, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Quelque 20 000 individus sont inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) qui cible la radicalisation religieuse. Plus de la moitié, 11 000, fait l’objet d’une surveillance très active. Les plus dangereux sont les « frustrés du jihadisme ». Les autorités ont contrecarré près de 800 projets de départ depuis 2014. D’autre part, nos prisons recèlent un demi-millier de détenus pour des affaires de terrorisme et un millier de « droits communs » radicalisés ou en passe de l’être… Une proportion est libérable ou va l’être dans les prochains mois. Heureusement, ces derniers ne pourront plus disparaître dans la nature comme c’était le cas il y a peu de temps encore. L’administration judiciaire prévient désormais systématiquement les services. « Nous avons beaucoup progressé en matière de fluidité de l’information et nous avons des moyens supplémentaires », souligne Pierre de Bousquet de Florian.
Au Levant, enfin, Daesh est affaibli mais poursuit sa propagande par écrans interposés. Ses combattants ne sont pas tous neutralisés. Quelques dizaines ont rejoint des cellules en Asie du Sud-Est, en Afghanistan et au Sahel – un motif d’inquiétude supplémentaire pour nos soldats de l’opération Barkhane. La majorité des survivants se cache toujours dans la zone, dont 700 ressortissants français considérés comme dangereux. Le gros des retours vers l’Hexagone a eu lieu en 2014 et 2015. En 2017, une vingtaine a été repérée et traitée. Mais le flux pourrait reprendre.