Le Pacte européen sur la migration et l’asile
En France, l’adoption de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, le 19 décembre 2023, a causé de nombreux rebondissements parlementaires, une focale médiatique appuyée et une déstabilisation du gouvernement. Par une coïncidence de calendrier, l’aboutissement des discussions autour du Pacte européen asile et migration a fait l’objet d’un compromis, le lendemain, entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE dans une relative indifférence.
Par Louis-Marie Mautin
Alors que la loi immigration était la 30ème sur le sujet depuis 1980, et que 32 de ses 86 articles ont été censurés par le Conseil Constitutionnel, on peut se questionner sur la capacité réelle d’action du pouvoir politique français, et particulièrement législatif, sur la situation migratoire.
Dans ce contexte, quels sont les effets du Pacte européen asile et migration sur l’évolution des choses et sur notre souveraineté d’action ?
Naissance d’un Pacte européen immigration
La politique commune en matière d’asile trouve son fondement juridique sur les articles 67, 78 et 80 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) tandis que l’immigration légale relève de la compétence de l’Union selon les articles 79 et 80 du même traité.
Depuis l’adoption du Traité de Lisbonne signé en décembre 2007 et entré en vigueur en décembre 2009, l’article 80 prévoit explicitement le principe de solidarité entre États membres inégalement concernés par les flux migratoires.
Le premier Pacte européen sur l’immigration et l’asile est présenté lors de la présidence française de l’Union en juillet 2008. C’est une initiative conjointe de Nicolas Sarkozy et de son ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du codéveloppement, Brice Hortefeux, visant à imposer une immigration choisie à leurs partenaires européens.
Ce pacte se structurait autour de cinq axes :
- Renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières,
- Organiser l’immigration légale,
- Lutter contre l’immigration irrégulière en favorisant les retours,
- Harmoniser les politiques de l’asile,
- Renforcer les partenariats avec les pays d’origine responsables des migrations et favoriser leur développement.
Au-delà de Schengen, ce pacte s’applique aux 27 États membres.
Pourquoi un Pacte selon l’UE ? “Ce procédé permet de faire avancer de manière cohérente différentes mesures ayant des répercussions les unes sur les autres.” [1]
La primauté du droit européen en matière migratoire
Par suite de ce premier Pacte sur l’immigration et l’asile, la souveraineté nationale en matière migratoire cède le pas au droit européen.
Par exemple, la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 dite “directive retour” a donné une base juridique à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en 2011, pour interdire les sanctions pénales à l’encontre des clandestins.
C’est cette jurisprudence qui a conduit, en 2012, le législateur à supprimer le délit de séjour irrégulier en droit français.
Plus proche de nous, dans un arrêt de septembre 2023, la CJUE interdit le refoulement systématique d’un étranger entré irrégulièrement sur le territoire français, contre l’avis du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, en vertu des “normes et procédures communes prévues par la directive retour”.
Contrairement à l’intuition de départ d’”immigration choisie”, nous sommes en réalité dans un système d’ “immigration subie”.
Origine et contenu du nouveau Pacte asile et migration
Durant l’année 2015, l’Union européenne enregistre des records d’immigration : 1,86 million de franchissements illégaux à ses frontières et 1,28 million de demandes d’asile, selon Eurostat [2].
La crise des réfugiés, qui se prolonge jusqu’en 2016, révèle l’inefficacité de la politique migratoire de l’Union, ce qui incite la Commission européenne à préparer un paquet de textes pour réformer sa politique en la matière. Fin septembre 2020, quelques jours après l’incendie d’un camp hébergeant 12 000 réfugiés sur l’île de Lesbos en Grèce, elle présente un Pacte sur la migration et l’asile.
Le pacte comprend 9 textes dont 5 règlements à portée législative, 3 recommandations et un document d’orientation.
Les règlements instaurent :
- Une procédure de filtrage aux frontières extérieures permettant la mise en centres fermés des étrangers dans l’attente du traitement de leur demande,
- Un mécanisme de “solidarité obligatoire” pour la répartition de 30 000 migrants par an entre États ou le versement d’une contribution de 20 000€ par migrants refusés,
- Des dérogations et mesures de protection en cas de crise majeure,
- Une extension de la base de données Eurodac avec le prélèvement d’empreintes digitales, photo, examen des documents d’identité dès l’âge de 6 ans et une plus grande conservation dans le temps,
- Une modification des procédures de retour à la frontière, de recours, et de demandes ultérieures.
Les trois recommandations portent sur la gestion des crises, les réinstallations, les voies légales d’entrée sur le territoire, les sauvetages en mer. Le texte d’orientation concerne les passeurs et la lutte contre le trafic de migrants.
Si un compromis a été trouvé fin 2023 en trilogue, le Parlement européen doit encore approuver ce Pacte asile et migration par un vote.
Analyse : opportunités, difficultés et perspectives
Ce pacte est censé apporter une meilleure maîtrise du phénomène migratoire par la coopération selon la Commission européenne.
Cependant, cela se fait dans la contrainte de certains États membres puisque le vote à l’unanimité n’a pas été de mise au Conseil de l’UE. Le vote à la majorité qualifiée lui a été préféré dans le but de faire aboutir les discussions avant les élections de juin 2024. C’est le texte sur la répartition des migrants qui a nourri la plus vive controverse. Après que l’Italie se soit rangée à l’avis majoritaire, la Bulgarie, la Slovaquie, la Tchéquie et Malte se sont abstenues sur ce texte. La Hongrie et la Pologne ont voté contre. En plus d’être une dépossession de souveraineté, cela remet en cause la cohérence de ces nouvelles mesures au niveau européen. Les propos du ministre hongrois des Affaires étrangères qui déclare : “Nous ne laisserons entrer personne contre notre volonté” [3] laissent à comprendre que tous ne seront pas solidaire de la “solidarité obligatoire”.
A ce stade, il paraît tout à fait probable que le refus des quotas de migrants soit une double peine pour les États : devoir payer la contribution financière et supporter l’éventuelle venue des réfugiés qui sont ensuite libres d’entrer sur son territoire depuis les pays voisins. A fortiori quand ce voisin est surchargé en supportant les quotas des autres. Même si, payer la contribution de 20 000€ par migrants pourrait paraître intéressant dans certains cas, étant donné qu’un mineur non accompagné coûte entre 30 000 et 70 000€ annuellement selon l’Assemblée des Départements de France.
Par ailleurs, la fin du règlement Dublin qui consistait à responsabiliser les pays d’entrée des demandeurs d’asile, cède la place à un système de mutualisation centralisée des migrants. Comme tout recul de subsidiarité, il équivaut à un recul de responsabilité et, par effet levier, de contrôle démocratique et d’efficacité.
Le Pacte européen asile et migration se contente d’une gestion de l’immigration sans stopper les causes qui la nourrissent.
D’abord, parce qu’il y a un refus de stopper cette immigration dont certains pays, dont la population vieillit et qui manque de main d’œuvre, ont besoin. Ensuite, il y a une grande difficulté à mener une politique étrangère commune à tous les États membres pour contribuer à la stabilité et au développement des pays de départ, puisqu’il ne s’agit pas d’une compétence européenne.
De plus, la solidité de ce Pacte repose sur le bon fonctionnement de Frontex. Or, jusqu’ici, elle fonctionne plutôt comme une “agence humanitaire” comme l’a qualifiée son ancien dirigeant français, Fabrice Leggeri, qui a démissionné en avril 2022 pour ne pas avoir pu assurer sa mission de “force de police des frontières” [4] en raison des réticences internes des institutions européennes (propos tenus en juin 2022 en audition au Sénat).
Pour finir, le Pacte européen émet de nombreuses contraintes sur les États à l’intérieur de l’Union, en cherchant à se renforcer à l’extérieur. Cependant, il ne produit pas d’effet rétroactif. Ce qui ne permet pas de résoudre la situation interne actuelle des États, comme la faible exécution des éloignements et expulsions en France. Au contraire, le Pacte européen, pour compenser ses mesures coercitives, attribue de multiples nouvelles « protections » aux individus étrangers, qui restreignent les marges de manœuvres des États.
De son côté, le premier ministre britannique, Rishi Sunak, en pleine possession de ses capacités souveraines, a pour objectif d’externaliser les procédures d’asile au Rwanda, comme politique dissuasive. Adoptée à la Chambre des communes, la ratification de ce traité nécessite encore des modifications juridiques pour être acceptée par la Chambre des Lords, mais la mesure remporte une forte adhésion de la population. S’il y parvient, la France, qui est une nouvelle frontière extérieure de l’UE dans la Manche, risque de voir sa situation migratoire s’empirer.
Au sein de l’UE, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, appelle à un nouveau partenariat avec l’Afrique, particulièrement en Tunisie et en Libye : en envoyant une aide aux États africains contre leur contrôle des migrations irrégulières. Cette solution semble être une perspective intéressante pour tarir le problème plus en amont. Elle a même réussi à convaincre Ursula Von der Leyen de signer un accord de coopération avec la Tunisie en juillet 2023.
Chiffres et réalité 2022 – immigration dans l’UE en hausse
- Régulière : Près de 3,4 millions de premiers titres de séjour ont été délivrés. 3 millions en 2019, avant la pandémie.
- Irrégulière : 330 000 entrées irrégulières. Record depuis 2015.
- Asile : 958 800 demandes d’asile, dont 877 800 premières demandes, ont été introduites, soit une augmentation de 52 % par rapport à 2021.
- Retour : 422 400 décisions de retour émises. 17% exécutées. Nationalités les plus représentées, Algériens (33 535), Marocains (30 510), Pakistanais (25 280). [5]
Chiffres et réalité – janvier-septembre 2023
Plus de 2 500 migrants ont péri ou disparu en Méditerranée de janvier à septembre 2023, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), soit près de 30 000 migrants portés disparus depuis 2014 dans la traversée, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Irréguliers : 281 872 franchissements des frontières. Augmentation de 18 % par rapport à la même période de 2022 (source Frontex).
La majeure partie des arrivées se fait par la route des Balkans et la Turquie. [6]