Le nucléaire c’est l’europe, le nucléaire c’est la paix !
La construction de la communauté européenne des nations souveraines est intimement liée au nucléaire civil. Nous l’avons oublié, nos élus l’ont oublié, nos gouvernants l’ont oublié, mais la construction européenne telle que nous la connaissons a été basée initialement sur le développement de l’industrie de l’énergie atomique dans un souci de coopération économique, de sécurité et d’indépendance énergétique.
Par Fabien Bouglé
Le 26 juillet 1956, le nouveau chef d’État égyptien, Gamal Abdel Nasser, annonce la nationalisation du canal de Suez, lieu de passage stratégique qui relie la mer Rouge à la Méditerranée pour les transports de matière énergétique comme le pétrole venant du Moyen-Orient. Cette décision politique crée un choc mondial au point qu’une coalition menée par Israël, la France et le Royaume-Uni commence, à partir du 26 octobre 1956, à envahir l’Égypte, avec pour objectif de renverser Nasser en raison de l’enjeu majeur du contrôle de ce canal pour la sécurité d’approvisionnement énergétique des pays européens. Gagnée militairement, la guerre se solde in fine par un échec diplomatique sous la pression des États-Unis et de l’Union soviétique. Nasser garde le pouvoir en Égypte et contrôle désormais une voie de passage stratégique pour l’économie européenne.
Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères français. En pleine guerre froide et six ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France – dans un souci de pacification avec l’Allemagne – voyait dans cette coopération énergétique et industrielle avec son ancien ennemi une manière de construire une paix durable sur le long terme en contribuant à la sécurité énergétique de l’Europe. Cette première tentative de construction européenne n’eut pas le succès escompté.
Besoin urgent d’indépendance
De ce fait, la nationalisation du canal de Suez en 1956 rebat les cartes de la géographie internationale de l’énergie, accélérant le besoin urgent d’une coopération européenne dans le domaine afin d’assurer une meilleure indépendance des pays qui ont un besoin vital de ce qui constitue le sang de leurs économies. Les pays qui avaient initié la CECA envisagent alors une coopération européenne non plus fondée sur le charbon et l’acier mais cette fois sur l’énergie nucléaire. La France victorieuse du général de Gaulle avait, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, contribué à un développement sans précédent du nucléaire civil et militaire avec la création en 1945 du Commissariat à l’énergie atomique, accélérant les recherches et innovations scientifiques majeures dans ce secteur hautement stratégique.
Après les événements de 1956 en Égypte, les pays qui avaient initié la Ceca décident alors la signature d’un nouveau traité d’alliance, basé cette fois sur le développement industriel de l’atome.
Le président du Conseil des ministres français, Guy Mollet, devait s’exprimer à ce sujet le 11 septembre 1956 lors d’un discours prononcé en Normandie, repris par le Monde:
« Pour une grande partie de notre ravitaillement en pétrole nous sommes, vous le savez, dans la dépendance du Moyen-Orient. La crise de Suez montre brutalement la nécessité de disposer en France même et dans les territoires de la République de nouvelles sources d’énergie pour assurer notre indépendance en ce domaine. L’énergie atomique peut fournir le relais nécessaire. C’est dire l’importance du programme atomique français pour l’avenir du pays. C’est dire aussi l’importance de l’organisation atomique européenne (Euratom), qui permettra un développement plus rapide de l’équipement de la France et de ses voisins en centrales nucléaires. »
Les pays initiateurs de l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui devaient signer à Rome le 25 mars 1957 les deux grands traités fondateurs de la communauté européenne: la Communauté européenne: la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA), autrement appelée Euratom, et son pendant économique, la Communauté économique européenne (CEE), qui constitueront les deux piliers fondateurs de la construction européenne, plus connus sous le vocable des traités de Rome. L’Union européenne est donc de ce fait intimement liée à l’énergie nucléaire. L’Europe c’est le nucléaire, le nucléaire c’est l’Europe. Vouloir nier et remettre en cause le nucléaire c’est vouloir nier l’Europe elle-même, et combattre le nucléaire en Europe c’est agir contre la paix en Europe.
Progressivement et probablement en raison du confort énergétique retrouvé après le choc pétrolier de 1973 par le développement du plan nucléaire Messmer de 1974 en France, qui aura permis un retour à une meilleure indépendance énergétique en particulier vis-à-vis des énergies fossiles, les Français et les Européens ont progressivement oublié les racines fondatrices de la communauté des pays d’Europe.
Le confort d’une électricité abondante permis par le nucléaire a fait oublier l’enjeu fondamental du traité Euratom pour ne retenir que l’apport de la Communauté économique européenne. La CEEA devait alors être invisibilisée par la CEE, d’une part en raison de l’abondance de l’électricité permise par le nucléaire mais aussi par la propagande antinucléaire des quarante dernières années, déployée en Europe par les officines financées et pilotées par l’industrie du pétrole américain ou du gaz russe, main dans la main pour détruire l’image de marque d’un nucléaire émancipateur d’une Europe dépendante.
Le choc gazier de 2021, suivi de la guerre en Ukraine puis des sabotages des gazoducs Nord Stream 1 et 2 auront produit un véritable électrochoc, mettant en lumière l’incroyable guerre mondiale de l’énergie qui se déroulait sous nos yeux, ravivant ainsi l’angoisse de la pénurie énergétique en Europe et par là même l’inquiétude de la décroissance dans un contexte rude de bataille économique mondiale.
Sécurité d’approvisionnement
Le nucléaire délaissé, malmené avec succès par les opérateurs de guerre économique, oublié par les gouvernants aveuglés, devait, à partir de 2021 en France, renaître de ses cendres tel le phénix, tant les enjeux de souveraineté énergétique devenaient fondamentaux et particulièrement d’actualité en Europe. Les craintes pour notre sécurité d’approvisionnement ravi- vaient les enjeux historiques qui avaient été au cœur de la construction européenne, et le nucléaire apparaissait à nouveau comme un enjeu d’autant plus prioritaire qu’il cumule la puissance, la sécurité et la décarbonation. Bref, l’énergie nucléaire contribue à une abondance énergétique incontestable tout en limitant considérablement les conséquences environnementales que peuvent générer les centrales au charbon ou les éoliennes allemandes, particulièrement polluantes et intermittentes.
Ce retour en grâce salutaire devait conduire à une nouvelle fracture européenne, opposant cette fois les pays européens partisans de l’atome comme voie d’indépendance énergétique et les pays convaincus du rôle déterminant des énergies intermittentes. Deux alliances ont vu le jour: l’alliance du nucléaire, digne héritière de l’Europe historique de l’Euratom, portée par la France, face à l’alliance de l’Energiewende, pilotée par l’Allemagne, souhaitant une transition énergétique éloignée des valeurs fondatrices et historiques de l’Union européenne. Les centrales nucléaires en guerre contre les éoliennes couplées au gaz russe ou américain.
Plus de soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe renouait avec une nouvelle guerre, non pas militaire cette fois mais économique, opposant deux modèles énergétiques, deux visions de l’Europe. L’Allemagne revancharde, rancunière des sanctions énergétiques du traité de Versailles de juin 1919, empêtrée dans ses vieux démons de ses défaites successives de 1918 et de 1945, et ne supportant pas la prééminence économique que peut apporter le nucléaire à la France, fait une priorité stratégique de déstabiliser l’industrie nucléaire française, au point de mener à Bruxelles, à Berlin ou même à Paris des opérations d’ingérence visant à ralentir ou saboter son développement en France et en Europe. Tout est bon: officines antinucléaires, lobbys, infiltration de ministères en France, une véritable nébuleuse d’acteurs pilotés par l’Allemagne agit publiquement ou dans l’ombre, dans une véritable guerre technocratique et géopolitique, en instrumentalisant la Commission européenne et les institutions de l’Union européenne pour asseoir son modèle. Une Europe des nations souveraines que l’abondance d’énergie nucléaire favorise face à une Union européenne allemande, symbolisée par l’éolienne tripale, aspirant à étendre son emprise idéologique sur l’Europe tout entière.
Le gouvernement français se voit même refuser à plusieurs reprises l’accès aux travaux de l’alliance de l’Energiewende, que la France souhaitait intégrer sous couvert de “en même temps énergétique”. La réponse allemande est cinglante: être pour le nucléaire, c’est être contre les énergies qualifiées de renouvelables. La France naïve ou collaboratrice se laisse faire, n’hésitant pas à sacrifier sa ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher sur l’autel de la bonne entente du “couple franco- allemand”.
Renouer avec une vision historique
Créatrice de l’Alliance des territoires du nucléaire, son action efficace sur le sujet commençait à fortement irriter l’Allemagne. Le remaniement gouvernemental début 2024 était une occasion en or pour installer à sa place un adepte germano-compatible des poncifs éoliens ou photovoltaïques. Et même la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique, créée en 2022 à l’initiative des Républicains, devait
minimiser la question fondamentale de la fracture énergétique entre la France et l’Allemagne dans un déni de réalité historique.
La réalité est que la guerre mondiale de l’énergie que nous connaissons aujourd’hui se traduit par une guerre intra-européenne entre deux modèles énergétiques, qui pourrait s’aggraver avec une traduction militaire. Récemment, le chancelier Olaf Scholz évoquait son ambition de mettre en place en Allemagne la plus grande armée d’Europe, regrettant à ce sujet que les stratèges allemands se soient trompés en considérant que leur pays était entouré de pays amis.
La France doit d’urgence renouer avec une vision historique de la communauté européenne, celle du nucléaire comme outil de souveraineté énergétique mais aussi de pacification des relations en Europe. Il est illusoire d’imaginer pouvoir continuer dans un “en même temps” énergétique, en mixant nucléaire et éoliennes intermittentes couplées au gaz ou au charbon.
Elles ont définitivement montré leurs limites: aléatoires et peu productives, elles nécessitent des back-up au gaz, leur déploiement alourdit la facture énergétique des Européens et nécessite des frais de nouvelles lignes à haute tension gigantesques, évalués à 200 milliards d’euros rien qu’en France. Elles ne font que ralentir le déploiement des centrales nucléaires en France et en Europe.
Dans ce conflit mondial de contrôle et d’asservissement énergétique, l’Europe est en grande position de faiblesse. Soumise à des importations de ressources énergétiques de 55% de sa consommation, elle est entièrement dépendante des États-Unis ou de la Russie, deux pays totalement autonomes énergétiquement. La France dépend pour sa consommation énergétique de seulement 45% en importations, là où l’Allemagne en dépend à 65% et certains pays, comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, à plus de 70%. La communauté des pays européens doit donc renouer avec ce qui a été au cœur de sa création: l’indépendance énergétique, et seul le nucléaire permet d’assurer une électricité souveraine, décarbonée et sécurisée, en par- ticulier avec les nouvelles technologies du nucléaire comme les surgénérateurs utilisant de l’uranium appauvri et du plutonium, en quantités très importantes sur le sol français, permettant plusieurs milliers d’années de production électrique et d’indépendance énergétique.
Il est urgent de renouveler le traité Euratom en intégrant tous les pays souhaitant participer à ce grand défi d’avenir de l’atome en Europe. Un plan nucléaire européen doit être proposé à l’initiative de la France pour restaurer l’esprit et la lettre des pères fondateurs de la communauté européenne construite en 1957.
Ce plan Messmer à l’échelle de l’Europe doit être piloté par la France, pays initiateur des institutions européennes. Cette nouvelle communauté européenne des nations, assurant la souveraineté énergétique de ses membres, doit se construire sur les cendres d’une Union européenne décadente, qui a totalement perdu ses valeurs fondamentales. C’est la seule solution pour renouer avec une Europe des nations, pour construire notre indépendance énergétique et pour préserver la paix sur le continent européen.
Fabien Bouglé est expert en politique énergétique. Après avoir publié deux livres qui ont eu un important retentissement : “Nucléaire, les vérités cachées“, (octobre 2021) et “Éoliennes – La face noire de la transition écologique“, (octobre 2019) et il a sorti en septembre 2023 son troisième opus “Guerre de l’Énergie au cœur du nouveau conflit mondial” toujours aux éditions du Rocher, qui a reçu la mention d’honneur du Prix Turgot 2024. Il y annonce que la troisième guerre mondiale a éclaté au grand jour avec le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 et que cette guerre des temps modernes est une guerre de l’énergie.
Auteur de nombreuses études et tribunes sur l’énergie, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables de l’Assemblée nationale organisée en 2019 et conseille sur le sujet de nombreuses personnalités de tous bords politiques. Juriste de formation, chef d’entreprise dans le secteur financier et culturel, Fabien Bouglé est ancien officier de réserve de gendarmerie. Ses publications sur l’énergie s’inscrivent dans la lignée de son engagement citoyen dans le domaine de la défense et de la souveraineté nationale.