Un attentat planifié contre deux églises de Villejuif a été déjoué ce dimanche. Thibault de Montbrial, spécialiste des questions de terrorisme examine la forme nouvelle de guerre qui se développe sur notre territoire.
FIGAROVOX
Un attentat contre deux églises de Villejuif a été déjoué ce dimanche. Interrogé à ce sujet, Stéphane Le Foll a indiqué que «La lutte contre le terrorisme c’est tout le temps». Que pensez-vous de cette déclaration ?
Thibault de Montbrial.
Notre société est confrontée depuis deux ans à la montée d’un islam radical qui s’inscrit dans le cadre global, d’une part de la radicalisation de certains musulmans en France, et d’autre part du djihad en Syrie puis en Irak. Ceci aboutit au passage à l’acte sur notre territoire de Français ou d’étrangers vivant en France.
Parmi ces attaques, il y a eu les attentats marquants de grande ampleur en janvier, mais il en a eu de moins spectaculaires comme l’attaque de Joué-lès-Tours contre un commissariat en décembre 2014 ou encore celle envers une patrouille Vigipirate à Nice en février 2015. Sans compter tous les autres attentats qui ont été déjoués. À tout moment et partout, dans les grandes comme dans les petites villes, il peut effectivement y avoir une attaque contre un lieu de culte, un lieu symbolique ou des personnes représentant la République.
Serions-nous donc arrivés à une situation de guerre perpétuelle ?
Aujourd’hui la France est confrontée à une situation de guerre de «basse intensité», y compris sur son territoire: elle combat Daech au Moyen-Orient par sa participation à la coalition aérienne internationale, lutte contre l’islamisme au Mali mais est également confrontée à des attaques sur son sol, comme d’autres pays européens. Les islamistes radicaux appellent ainsi très régulièrement sur internet à des actions sur le «territoire des croisés», c’est-à-dire chez nous. Il arrive, et il arrivera encore en France les agressions qui se produisent également ailleurs (Danemark, Belgique, Tunisie…).
Il ne s’agit donc pas d’une guerre comme notre pays a pu le connaître au siècle dernier, avec des armées en uniforme, des déplacements de populations et de grandes batailles, mais de la présence d’une forme d’insécurité permanente dans un pays où chacun continue à vivre à peu près normalement, mais où des attaques ponctuelles peuvent survenir à tout endroit et à tout moment.
À cet égard, le fait que ce soit une église, un dimanche matin à l’heure de la messe, qui ait été choisie pour cible dans l’attentat qui vient d’être déjoué est révélateur de cette évolution du conflit au sein même de notre pays.
Cette évolution est-elle un phénomène nouveau?
La France est confrontée à l’islam radical et à la présence d’islamistes extrémistes depuis plusieurs décennies. En revanche, l’ampleur du phénomène et son intégration dans une guerre internationale de conquête menée au nom de l’islam est une nouveauté qui remonte à environ trois ans. Le fait que des individus décident désormais -soit à l’instigation d’une organisation internationale, soit de leur propre initiative mais à l’appel de personnes influentes de leur entourage ou encore de vidéos de propagande- d’aller attaquer avec des fusils d’assaut des lieux symboliques de notre civilisation sur notre propre territoire est une des facettes inédites de ce phénomène, qui rend le travail des services de sécurité extrêmement compliqué.
Les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher sont la première traduction concrète de cette évolution, même si la toute première attaque reste celle de Joué-lès-Tours en décembre. Il est ainsi certain que ces attentats marquent le début d’un état de guerre latente. Le patron de la DGSE a d’ailleurs indiqué ce mardi qu’il y avait eu six importants attentats déjoués depuis le mois de janvier… Dans le même temps, le gouvernement a procédé dès janvier à de très nombreuses interpellations préventives. Si l’on considère le fait que ces personnes vont sortir de prison un jour ou l’autre, que de nombreux combattants partis faire le djihad reviennent et que d’autres se radicalisent sans partir, cela signifie que le nombre d’individus -français ou résidant en France- susceptibles de nous attaquer augmente continuellement.
L’importance du nombre de djihadistes français ainsi concernés -au minimum évalués à plusieurs milliers, qu’ils aient ou non quitté le territoire-, et la poussée d’un islam radical politique qui est dans une logique de conquête, conduit à conclure cette situation va nécessairement durer plusieurs années.
Les conséquences seront complexes à gérer pour notre cohésion sociale déjà fragilisée par un communautarisme beaucoup plus profond que beaucoup ne le pensent, ou n’osent l’admettre. Les suites des attentats de janvier (manifestations dans les écoles ou sur le réseaux sociaux) ont ainsi souligné la présence d’un certain nombre de personnes qui, en France, éprouvent à minima une sympathie réelle envers les islamistes radicaux.
La capacité de résilience de chacun sera essentielle si, comme il est permis de le craindre, notre pays est frappé par des attentats majeurs dans les mois qui viennent.
Quelles mesures envisager pour lutter contre ce terrorisme?
À mon sens, il y a plusieurs axes de réflexion à développer pour s’opposer à cette menace:
Il est tout d’abord impératif de changer notre état d’esprit sur les questions de sécurité, et de s’adapter avec pragmatisme à la réalité de ces attaques. Nos forces de l’ordre primo intervenantes sur les scènes d’attentat doivent être mieux armées et entraînées à ces situations spécifiques. De plus, il va falloir réfléchir à dégager des moyens humains supplémentaires car les services de police et de gendarmerie et l’armée ne sont pas extensibles à l’infini et sont usées par le plan Vigipirate. Il va donc falloir se pencher sur le tabou de la sécurité privée armée et, d’une façon générale, repenser la question du nombre et de la qualité des personnes légalement habilités à porter une arme dans nos rues. L’ensemble des citoyens doit comprendre que des attaques peuvent se produire toutes les jours et en tout lieu.
Plus politiquement ensuite, il est crucial de restaurer l’autorité et les valeurs millénaires de notre civilisation occidentale judéo-chrétienne, afin de redonner du sens à la jeunesse de notre pays. La meilleure manière d’y parvenir est d’être fiers de nos valeurs, de la démocratie que nos anciens ont construit, d’être prêts à la défendre, et de l’assumer.
Enfin, il est indispensable que les théologiens musulmans français sortent clairement de la grande ambiguïté qui est celle de la religion musulmane. Celle-ci tient au fait que l’islam est la seule grande religion qui n’ait jamais coupé le lien entre temporel et spirituel. Elle reste donc une religion politique, fondée sur l’interprétation de ses textes sacrés. Or il est urgent qu’une interprétation moderne et totalement compatible avec notre mode de vie et notre laïcité soit affirmée clairement car tant que ce ne sera pas le cas, il demeurera une ambigüité dans laquelle s’engouffrent les islamistes radicaux.