Chers Lecteurs,
Puisque l’innovation est dans un certain sens une tromperie contre l’ennui, je pense avoir trouvé une nouvelle personnalité qui devrait trancher avec les parcours précédents. Après le chemin des hémicycles, je vous propose d’aller voir du côté de la balance de la Justice avec le nouveau portrait sur #LaLettreR.
Una parola è poca e due sono troppe.
Vous allez vite comprendre à la lecture de ce nouveau portrait que la présentation habituelle que je vous fais ne peux se faire complétement ici du fait de la diversité des cartes que compose le jeu qu’est dans les mains du parcours de notre nouvel interrogé.
Je peux vous assurez que vous ne serez pas déçu de voir la diversité et la complémentarité d’un parcours qui mêle les valeurs qui sont celle de la France. La sécurité, la défense, la justice et la démocratie en sont totalement les maitres-mots.
Je vous laisse partir à la découverte de Maître Thibault de Montbrial, avocat au Barreau de Paris.
La rencontre et l’entretien avec Me de Montbrial a eu lieu au sein du Cabinet Montbrial Avocats le 21 septembre 2022.
Bonne lecture !
Biographie Express de Me Thibault de Montbrial :
*1968 : naissance à Paris.
*1986-1990 : Licence de Droit à Paris II – Assas.
*1990-1991 : service militaire au 6ème Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine (Mont-de-Marsan) comme Chef de groupe de combat.
*1991-1992 : Maitrise de Droit International et Européen à Paris II – Assas.
*1992-1993 : DESS droit européen des affaires à Paris V – René Descartes.
*1991-1995 : instructeur de réserve en préparation militaire parachutiste.
*1994 : Obtention du CAPA et formation à l’EFB.
*6 janv. 1995 : prestation de Serment d’avocat au Barreau de Paris.
*janv.1995-sept.1998 : avocat collaborateur puis associé de la SCP Mignard – Teitgen – Grisoni & Associés.
*oct.1998 : création du Cabinet Montbrial Avocats.
*2007 : co-auteur de l’ouvrage Liberté, Égalité, Sécurité – publié aux éditions Présages.
*2014 : Certification à la « négociation raisonnée de Harvard » validée par l’École Centrale de Paris.
*2015 : -création et présidence du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure.
-auteur de Le Sursaut ou Le Chaos publié aux éditions Plon.
*depuis 2019 : Lieutenant-Colonel de la réserve opérationnelle de la gendarmerie (spécialiste droit de l’usage des armes).
*2020 : participe à l’élaboration du Livre Blanc de la Sécurité Intérieure.
*oct.2020 : auteur de Osons l’autorité, publié aux Éditions de l’Observatoire.
*2022 : conseiller sécurité de Mme Pécresse lors de la campagne présidentielle.
*juin 2022 : candidat apparenté LR dans la 6ème circonscription des Yvelines (3ème position avec 17,73% des voix).
-Chargé de cours au DU Sécurité Intérieure à l’Université de Nancy.
-Enseigne le droit de l’usage de l’arme à l’École Nationale Supérieure de Police.
***
À quoi rêvait le petit Thibault lorsqu’il était enfant ?
« J’ai eu une enfance très heureuse avec à la fois beaucoup d’affection et la chance d’être dans une famille où l’on discutait énormément. Ce qui m’a donné le goût du débat et une grande curiosité sur des sujets très vastes.
« Mon père est président de l’Institut Français des Relations Internationales. C’est un intellectuel. On parlait beaucoup (et nous parlons toujours !) d’Histoire et de géopolitique. Ma mère était productrice de cinéma. C’est une femme très pragmatique. Ces deux univers parentaux complétement différents m’ont apporté des regards très complémentaires sur la vie, dans une ambiance bienveillante et stimulante.
« Très tôt, j’ai adoré le Football. Lorsque j’étais enfant, j’écoutais les matches à la radio, il n’y en avait pas beaucoup à la télévision, et comme elle était dans la chambre des parents… Cette passion m’est venue par l’école, il n’y avait pas de culture foot dans ma famille. Le foot a bercé mon enfance (j’y jouais aussi, bien sûr).
« À l’adolescence, je me suis, déjà, intéressé aux questions de sécurité par le prisme de l’Histoire, notamment avec la Seconde Guerre Mondiale, qui s’était terminée 4 décennies plus tôt. L’actualité, c’était la Guerre Froide, avec l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS puis la question des euromissiles avec la fameuse phrase de Mitterrand : « le pacifisme est à l’Ouest, les missiles sont à l’Est » qui m’avait beaucoup marqué. Je suis devenu très tôt profondément anticommuniste. À cette époque est né par ailleurs un romantisme militaire qui m’avait interrogé sur une éventuelle carrière militaire et m’a déterminé par la suite à aller au 6e RPIMa.
« Mon adolescence a été marquée par un accident grave au dos. J’ai passé quasiment 3 ans immobilisé (plâtre puis corset), entre mes 12 ans ½ et mes 16 ans. Cette épreuve m’a transformé en profondeur. Pour un ado en plein épanouissement, se retrouver soudain immobilisé, le corps contraint, ça forge le caractère. La pratique sportive (j’étais un gardien de but plutôt correct, en tout cas enthousiaste !) s’est évidemment arrêtée net. Cela a exacerbé ma passion pour le sport regardé. Je passais ma vie en particulier devant le foot, et au cinéma. Quand cette épreuve s’est terminée, à 16 ans, j’ai eu un phénomène assez classique de compensation. Je me suis mis à faire énormément de sport, et ça a duré jusqu’à 45 ans. Depuis, je me suis calmé car je suis un peu cassé de partout, ayant joué 15 ans au foot (arrière gauche ou défenseur central) et pratiqué les sports de combat pendant 30 ans. Aujourd’hui, la marche et la gymnastique ont sagement pris le relais. »
Comment est née votre rencontre avec le droit ?
« Je n’ai pas eu de vocation pour le droit. Je suis même rentré en à la fac de droit à défaut d’une vocation particulière. Déjà, parce qu’entre les Lettres et les Sciences, le choix était vite fait puisque j’étais absolument nul en Sciences et que j’avais des facilités évidentes en Lettres. Va donc pour le droit, en me disant que je verrais bien et que cela me donnerait une base solide, qui me serait utile quoi que je fasse.
« Le droit est en effet un régulateur social. C’est une évidence que connaître le droit ouvre un tas de portes. Je n’excluais pas de devenir policier. Puis j’ai interrompu mes études pour partir à l’armée.
« Ensuite, il y a eu une phase douloureuse. A la fin de mon service, j’étais Chef de groupe (sergent) et mon Chef de section (lieutenant) m’a demandé de le suivre pour un séjour de 4 mois en Afrique. J’ai longuement hésité. C’était évidemment l’attrait de l’aventure, mais qui aurait impliqué de perdre une année universitaire de plus. Finalement, je suis resté raisonnable et j’ai repris mes études, ce qui a été difficile en soi car le passage d’une section de combat parachutiste à un amphithéâtre de fac est un peu rude. »
Quelle expérience retenez-vous de votre service militaire ?
« J’ai choisi d’aller au 6e RPIMa non pas comme officier mais comme simple soldat et d’ensuite en faire les stages internes pour monter en grade. Je voulais connaître la réalité de l’un des régiments les plus prestigieux de l’Armée Française. J’ai interrompu mes études pour partir à l’armée.
« Au vu de mes antécédents au dos, j’ai caché mon dossier médical sinon j’aurais tout de suite été réformé. Le médecin qui m’avait (très bien) soigné m’avait dit que je pourrais aller dans un régiment d’élite mais que je ne devais pas y rester trop longtemps parce que mon dos ne supporterait pas la répétition des ports de charge pendant plus de 2 ou 3 ans maximum. La manœuvre la plus éprouvante à laquelle j’ai participé, c’est parachutage puis 120 kilomètres avec plus de 20 kilos d’équipement, avec embuscade au milieu.
« Mais la chose à dire sur cet épisode militaire, c’est qu’il a profondément marqué l’homme que je suis aujourd’hui aussi bien dans sa composante intime que dans ses engagements publics. En effet, j’ai été formé physiquement, techniquement mais surtout mentalement pour aller effectivement faire la guerre, en l’occurrence celle du Golfe (1990/91).
« Mon régiment était composé exclusivement de volontaires, nous appartenions à la force d’action rapide. Or j’ai été incorporé juste au moment du début de la Guerre du Golfe. J’ai donc été réellement formé pour y aller. C’est-à-dire que j’ai fait 5 mois de formation, en rentrant 2 fois chez moi. C’était aussi dur que possible, avec un rappel constant des cadres de ce que nous serions à la guerre, la vraie, dans les semaines suivantes. En décembre 90, une première vague de nos camarades est partie. De ce que j’ai compris, il était prévu que nous soyons la relève de l’opération Daguet. La division était à 12.000 hommes, avec une anticipation de quasiment ¼ de perte. On nous a dit que nous en serions la relève. Je n’ai jamais su si c’était vrai ou de l’intox pour nous maintenir au taquet. En tout cas cette projection dans l’hypothèse de la guerre m’a profondément marqué.
« Cette expérience m’a également montré que l’on pouvait vraiment repousser ses limites physiques et mentales assez loin.
« Nous faisions régulièrement des simulations d’opérations avec un parachutage, puis des kilomètres de pénétration vers un objectif, puis un assaut et une exfiltration tout aussi longue, le tout lourdement chargés. On se découvre une capacité à résister physiquement à des efforts longs, durs et sans dormir. Cette expérience m’a beaucoup servie, notamment au début de ma carrière d’avocat. Là, pour le coup, j’ai énormément travaillé, avec des nuits blanches etc. Quand j’avais des coups de fatigues, je me motivais tout seul en me disant qu’au moins je n’étais pas sous la pluie à me les geler avec 20 kilos sur le dos. »
Que retenez-vous de vos années d’étudiant à Paris II – Assas ?
« Je n’ai pas du tout aimé la Fac.
« Je ne suis quasiment jamais allé en cours. J’allais aux travaux dirigés où j’avais plutôt des bonnes notes, car j’ai très vite compris que j’avais des facilités pour travailler vite. J’ai consacré beaucoup de mon énergie à faire le sport dont j’avais été privé à l’adolescence.
« En même temps, je comprenais que le droit était quelque chose de fluide en moi. J’avais compris les mécanismes. J’ai toujours eu la moyenne aux oraux. Cela dit, la 1ère année je l’ai tout de même redoublée. Il est vrai que cette année-là, je n’avais vraiment rien foutu. »
Que retenez-vous de vos études en droit européen à Paris – Descartes ?
« J’en retiens l’importance du droit européen dans le corpus juridique contemporain. Pour le meilleur et pour le pire. J’ai par ailleurs effectué un stage à la Commission européenne à Bruxelles tout à fait éclairant sur le fonctionnement de cette Institution, même si elle n’avait pas à l’époque une autonomie aussi néfaste qu’aujourd’hui. »
Comment s’est passée votre formation à l’EFB ?
« J’ai trouvé cela intéressant. En réalité, l’intérêt ne tenait pas tant au fond des matières enseignées qu’aux rencontres avec les professionnels. Comme toujours, dans ces cas-là, les professionnels vous parlent de leurs expériences. On approchait enfin de la vraie vie. C’est une forme de sas. J’en ai un très bon souvenir.
« D’autant que l’ambiance était bonne. J’étais une « série » d’une vingtaine d’étudiants. Encore aujourd’hui, si l’on se croise dans un dossier ou au Palais, il y a toujours un échange sympathique.
« C’est une période où j’ai fait également beaucoup de sport. Il faut bien dire que le rythme étudiant n’était pas épuisant. Je faisais 12 heures de sport par semaine. De la réserve militaire. Bref, j’étais en pleine forme.
« En résumé, l’EFB restera associé à un moment insouciant et agréable. »
Comment avez-vous vécu votre prestation de Serment d’avocat ?
« C’était vraiment émouvant. C’est un vrai passage, solennel. On sent que l’on intègre une institution avec ses règles, ses codes, la confraternité, la déontologie, qui en constituent la colonne vertébrale.
« Je le dis aujourd’hui, au bout de 28 ans, avec gravité. On peut avoir des désaccords profonds avec les uns ou les autres. Il peut y avoir des sentiments très forts, positifs ou négatifs, envers d’autres avocats. Mais ce qui nous unit, c’est le respect de règles qui nous dépassent et dans lesquelles il faut d’autant plus s’inscrire, que le combat est rude. C’est essentiel, et profondément ancré en moi. Les quelques avocats qui ne respectent pas ces règles sont, pour moi, méprisables. Heureusement, je n’en n’ai vraiment pas rencontré beaucoup, même si j’ai été marqué que l’un d’eux ait été membre du Conseil de l’Ordre mais c’est une autre histoire…
« Ces règles constituent vraiment le ciment de notre profession.
« Pour la petite histoire personnelle, ma fille aînée a failli naître le soir même de ma prestation de serment. Nous sommes allés à la maternité avec sa maman, mais elle est finalement née 14 jours après. Ce bonheur personnel rajoute à la force du souvenir. »
Comment percevez-vous votre rôle d’avocat ?
« D’abord, l’avocat dans une démocratie c’est celui qui a une liberté absolue pour défendre, au sens le plus large. Pas forcément une défense pénale, mais notamment une défense pénale. L’avocat y est donc un contrepouvoir absolu d’une très grande importance.
« Cela dit, il y a une confusion majeure chez les jeunes avocats, qui confondent le fait que chacun doit pouvoir être défendu (ce qui est une évidence) avec le fait que eux personnellement pourraient défendre tout le monde et tous les actes commis, ce qui est impossible. Nous avons tous nos limites, même s’il faut une vraie lucidité sur soi-même et sans doute un peu d’expérience de vie pour s’en rendre compte.
« Ensuite, être avocat implique de beaucoup travailler. Mais dès lors que vous travaillez, c’est un métier qui vous offre l’immense opportunité de pouvoir faire ce que vous voulez. Vous aimez le sport ? Vous devenez avocat en droit du sport. Vous aimez le cinéma ? Vous devenez avocat en droit de l’audiovisuel, en propriété intellectuelle. Vous êtes intéressé par les questions de sécurité, comme moi ? Vous travaillez avec la Police, avec la Gendarmerie etc. On peut vraiment s’orienter vers l’univers de son choix. La condition de base, je le répète, étant le travail.
« Par ailleurs, c’est une profession libérale. L’inconvénient c’est que l’on ne vit bien que si l’on travaille beaucoup. L’énorme chance, c’est que dès que le Cabinet commence à tourner, on peut littéralement s’organiser comme l’on veut. Évidemment, sous réserve d’agenda judiciaire, ce qui est une vraie réserve, vous pouvez organiser votre vie comme vous le souhaitez. Cette liberté est formidable. »
Vous êtes Lieutenant-Colonel de la réserve opérationnelle de la gendarmerie. Qu’en retenez-vous ?
« Après mon service, j’ai effectué 4 ans de réserve dans l’armée de terre, où je suis devenu officier.
« En 2018, le directeur-général de la Gendarmerie de l’époque, Richard Lizurey, m’a dit qu’il souhaitait que je rejoigne ce que l’on appelle le corps des spécialistes de la réserve opérationnelle.
« En effet, je connais très bien les questions du droit de l’usage des armes. Par mon parcours, j’ai une triple compétence : juridique, évidemment, mais aussi une connaissance technique puisque je suis tireur sportif depuis l’âge de 20 ans et que je connais donc le fonctionnement technique des armes. Enfin, comme cela fait des décennies que je fais des stages, aussi bien en France qu’à l’Étranger, avec des Unités civiles ou militaires, j’ai également acquis une véritable culture tactique. Je cumule donc la maîtrise juridique avec les compétences techniques et tactiques. A ma connaissance, nous ne sommes pas nombreux en France. C’est pourquoi le général Lizurey m’a sollicité pour aller proposer une formation dans les Écoles et dans les Unités. J’ai accepté cet honneur avec joie.
« C’est une formation que j’ai créée moi-même. Pour faire court, je mets les gens en situation et l’on fait ensuite un debriefing technique, tactique et juridique. Je propose également cette formation aux Écoles de Police.
« Par ailleurs, cela m’arrive aussi de faire des journées de terrain, dans le cadre de la réserve opérationnelle. Je participe à des patrouilles et des contrôles sur la voie publique. Les connaisseurs sont parfois surpris de voir un Lieutenant-Colonel au côté de 2 adjudants ! Cette expérience est précieuse. En effet, lorsque je suis en uniforme sur la voie publique, je suis un Gendarme dans les yeux du public. Or aucune lecture de procès-verbal ni recherche universitaire ne peut remplacer ce que l’on apprend sur le terrain, ni ce que l’on ressent en lisant tantôt la sympathie, l’indifférence ou la haine dans les yeux des gens.
« Cela m’apporte beaucoup comme avocat. Mais aussi dans le cadre de mon autre activité, celle de spécialiste des questions de sécurité. »
Vous créez le Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure en 2015. Pourquoi en êtes-vous arrivé à monter ce projet ?
« Les questions de sécurité intérieure m’ont toujours passionné.
« J’ai compris en 2013-2014 que le pays allait affronter une vague, liée à l’islamisme, extrêmement dure. J’ai beaucoup travaillé sur la question de l’islamisme. J’ai lu des théoriciens, des Frères Musulmans, des salafistes etc. Ils sont dans une logique de conquête, à la fois par la violence terroriste et l’influence idéologique. Les islamistes s’infiltrent dans les sociétés occidentales dont ils ont parfaitement analysé le fonctionnement et mesuré la part de naïveté, de faiblesse et parfois de lâcheté.
« Face à ce risque civilisationnel insupportable, j’ai alors décidé de m’engager dans le débat public, malgré les inéluctables conséquences de sécurité personnel – et de fait il y en a.
« J’ai dit et écrit dès 2014 que la France allait être frappée par des attaques terroristes islamistes extrêmement graves parce qu’il était évident, pour qui s’intéresse à ces questions, que les jeunes partis combattre avec Daesh allaient forcément revenir à un moment ou un autre, et que par ailleurs une partie significative de la jeunesse issue de l’immigration arabo-musulmane déteste notre pays. Nous n’étions à l’époque pour le moins pas nombreux à le dire.
« J’ai créé le Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure puisqu’il n’y avait pas de think-tank sur la sécurité intérieure. J’ai écrit 2 livres. D’une manière ou d’une autre, discrètement ou non, j’ai participé à la plupart des travaux gouvernementaux et/ou législatifs sur les questions de la sécurité intérieure. Je suis considéré aujourd’hui comme l’un des bons connaisseurs civils du sujet en France.
« J’avais préconisé un Livre Blanc de la sécurité intérieure devant une Commission d’enquête sénatoriale puis dans un article dans Le Figaro en juin 2018. Les enjeux de sécurité auxquels notre pays est confronté sont désormais autant intérieurs qu’extérieurs. Or des Livres Blancs sont rédigés régulièrement pour la Défense nationale, alors que l’exercice n’avait jamais été effectué pour la sécurité intérieure. Il fallait absolument poser un constat global sur l’évaluation des menaces et des moyens à mettre en œuvre pour y faire face. J’ai contribué, avec le CRSI évidemment, aux travaux qui ont abouti au Livre Blanc en 2020. »
Vous avez publié plusieurs ouvrages portant sur la sécurité. Un témoignage de société ?
« En juin 2015, j’ai publié Le Sursaut ou le Chaos, un livre choc écrit le soir en quatre semaines après la séquence terroriste de janvier 2015 (Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher et de Montrouge). J’y évoque la réalité de l’islamisme dont je viens de vous parler. J’y livre des préconisations à la fois politiques et tactiques. Je constate que ces dernières ont toutes été adoptées par les gouvernements dans les années suivantes. Le durcissement des BAC et des PSIG (les équiper de protections balistiques lourdes, d’armes longues etc.), tout ceci était à l’époque totalement en dehors du chant de perception politique. J’analyse dans cet ouvrage la réalité et l’ampleur d’une menace de long terme dont aujourd’hui encore, en 2022, beaucoup ne mesurent pas la portée.
« En 2020, pendant le 1er confinement, j’ai écrit Osons l’autorité, qui est un vrai programme de sécurité intérieure. La plupart des essayistes se bornent aux constats. J’ai pris mes responsabilités et, après une première partie de constats, j’ai rédigé 150 pages de propositions politiques en matière de justice, d’immigration de renseignement, de maintien de l’ordre, de sécurité publique etc. »
Vous avez été le conseiller sécurité de Mme Pécresse pendant la présidentielle de 2022. Comment avez-vous vécu cet épisode ?
« Je rencontre nombre de fonctionnaires de tous grades et fonctions, depuis les gardiens de la paix jusqu’aux directeurs. Ces échanges me nourrissent et me permettent d’affiner ma réflexion juridique, technique, tactique et stratégique sur les différents thèmes.
« Depuis une dizaine d’années, je rencontre très régulièrement des responsables politiques de tous bords. Je n’ai jamais refusé une rencontre. J’ai eu des entretiens sur les questions de sécurité avec un arc qui va du Parti Socialiste jusqu’au Rassemblement National.
« De mon côté, j’ai des idées claires et engagées. Je ne suis pas quelqu’un de neutre. Ma spécialisation sur les questions de sécurité intérieure est la base d’un engagement, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, pour éviter ce que je considère comme une catastrophe pour notre pays.
« Ma sensibilité politique personnelle est à droite. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir la lucidité de dire et d’écrire que la droite française a multiplié les erreurs depuis 30 ans en matière de sécurité ou d’immigration. Les électeurs ne s’y sont d’ailleurs, hélas, pas trompés.
« J’ai donc franchi le pas. Je suis passé du conseil à l’action politique d’abord en acceptant la place symbolique de dernier de liste sur la liste de Valérie Pécresse à Paris aux régionales de 2021. Ensuite, en acceptant sa demande d’être conseiller régalien pendant la campagne présidentielle de 2022.
« Pour répondre plus directement à votre question, j’ai énormément appris. J’ai trouvé cela passionnant. C’était un gros mi-temps. Du début janvier jusqu’au 10 avril, j’y ai consacré un peu plus de la moitié de mon temps. Disons 60%. J’ai participé aussi bien à des réunions, que des réflexions ; nous avons rédigé un programme solide et réaliste que personne n’a lu mais dont je suis convaincu de l’efficacité. Enfin, je suis allé sur le terrain lors de réunions publiques dans toute la France.
« J’ai aussi découvert toute la violence du monde politique. Cela m’a incidemment confirmé qu’en politique, comme ailleurs, le courage n’était pas la vertu première. Je le regrette, car c’est une vertu cardinale et la situation de la France va en exiger de plus en plus. »
Vous avez été candidat aux législatives pour la 6ème circonscription des Yvelines en juin. Comment avez-vous vécu cette campagne ?
« Voilà une expérience qui n’était pas du tout prévue.
« Pour la petite histoire, fin janvier-début février, au sein de la campagne de Valérie Pécresse, des personnes venaient déjà me demander à la machine à café quelle circonscription je souhaitais. Ce qui ne m’avait même pas effleuré constituait manifestement déjà une préoccupation majeure pour beaucoup – même si les volontaires se sont trouvés moins nombreux après le 10 avril.
« J’ai cette particularité, dans ce monde politique dans lequel j’évolue en partie aujourd’hui, d’avoir un vrai métier. Cela fait 28 ans que je suis avocat. J’ai un Cabinet qui tourne. Avec mon équipe, nous sommes considérés comme un bon Cabinet français en droit pénal, en droit pénal des affaires. Je ne joue pas ma vie professionnelle sur la politique.
« J’en reviens à la campagne présidentielle. Elle est bien partie. Puis assez vite on a senti que cela devenait difficile. C’est dans ce contexte que j’ai eu une discussion fondatrice avec le directeur de campagne, Patrick Stéfanini. C’est quelqu’un dont j’apprécie aussi bien l’intelligence que la finesse emplie d’humanité. Nous échangions beaucoup. Fin mars 2022, dans la bulle d’un retour tardif en TGV, il m’a dit qu’il fallait que j’aille au bout de ma logique, que j’étais devenu un politique, que j’avais à ses yeux un certain nombre de qualités pour m’y épanouir, que la droite avait besoin de sang neuf et que j’étais un très bon connaisseur des sujets de sécurité dont j’étais de surcroit un praticien. Bref, il m’a encouragé à aller au bout de la logique de cet engagement.
« J’ai réfléchi. J’en ai parlé avec ma femme, car ce ne peut pas être une décision solitaire. Et, avec son soutien, je me suis dit : « après tout, oui ! Pourquoi pas ?! » Autant essayer de peser depuis l’Assemblée. J’ai été envoyé dans la 6ème circonscription des Yvelines avec 5 semaines pour me faire connaître et pour faire campagne.
« J’y ai été remarquablement accueilli par les équipes de droite sur place, qui n’avaient pas un gros moral quand je suis arrivé. Je fonctionne à l’énergie et à l’enthousiasme ; le courant est passé tout de suite. Cela a créé une espèce de force. L’engagement des équipes de militants au service de ma candidature m’a énormément touché. J’ai passé 5 semaines à fond. J’ai adoré ça.
« L’impression que l’on a tous eue est celle d’une progression constante pendant 5 semaines. Finalement, j’ai réalisé l’un des meilleurs scores de la droite en Ile-de-France (17,73%).
« De cette expérience dense et formatrice, je retiens de nombreux enseignements. En voici 2 :
« Bien que conscient de l’importance du contexte national dans une telle élection, j’ai tout de même été sidéré par le score de la NUPES. Dans ma circonscription, on est pourtant loin des standards de base de l’électeur de Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, j’ai été battu dans l’accès au second tour par une étudiante trotskiste pour laquelle les enfants de bourgeois de la circonscription ont voté massivement.
« C’est un point qui m’échappe aujourd’hui encore. Je ne comprends pas comment des gens éduqués peuvent voter pour un programme non seulement aussi déconnecté de la réalité en matière d’économie ou de sécurité, mais surtout empreint d’une forme de haine envers notre société. Ces électeurs ont voté pour un candidat dont le programme visait à les priver de tout ce qu’ils sont et de tout ce qu’ils ont, bien au-delà des questions matérielles. C’est presque un vote masochiste.
« Rassurez-vous, j’ai bien compris qu’en réalité, l’argument écologiste avait tout emporté auprès de notre jeunesse. Là encore, il y a un vrai échec de la droite à ne pas avoir su porter ce sujet de préoccupation majeur pour nous tous.
« Le second enseignement, je l’avais déjà perçu avant même l’année électorale 2022, mais je l’ai touché du doigt pendant la présidentielle et les législatives, c’est le fait que la droite a complétement perdu sa boussole. Elle est écartelée.
« D’un côté, un centre-droit macroniste, dont les électeurs (pour l’instant) épargnés par la violence croissante, sont séduits par la « flat tax ». Mais ce centre-droit est lui-même plombé par le « en même temps ». C’est-à-dire que le macronisme ne pourra jamais engager de politique satisfaisante en matière de sécurité ou d’immigration parce qu’il repose sur un balancier qui ne peut pas s’appliquer à des sujets aussi cruciaux.
« De l’autre côté, la droite a laissé partir tout un pan de son électorat, globalement les fillonistes, vers Éric Zemmour. C’est l’incapacité de la droite à oser dire le réel, à comprendre le danger pour la France (et l’exaspération de son électorat) face à l’insécurité et aux conséquences de toutes natures de l’immigration non maîtrisée, qui a entraîné la scission au sein de son électorat.
« Sur le terrain, pendant les législatives, bien que non encarté et incarnant le renouveau, j’ai mesuré la difficulté de porter la couleur d’une droite à laquelle les électeurs ne croient plus en l’état. »
Vous qui êtes un spécialiste de la sécurité, quel rapport avez-vous avec les réseaux sociaux ?
« C’est une question intéressante, bien au-delà des questions de sécurité.
« L’une des difficultés aujourd’hui à laquelle se heurtent les gens qui gouvernent, j’y englobe aussi bien la gouvernance politique, administrative ou d’entreprise, c’est qu’ils sont placés dans une espèce de centrifugeuse où la vitesse de l’information et la difficulté à en contrôler la véracité crée un environnement extrêmement contraignant. Tous les dirigeants savent que les réseaux sociaux charrient des informations vraies, partiellement ou totalement dénaturées, ou fausses, et que ces informations fusent. Leur institution elle-même va avoir besoin de temps pour les vérifier. Le politique au sens large, celui qui dirige, est toujours en retard par rapport à la circulation de l’information. C’est très compliqué parce qu’il est tout le temps à courir après les vérifications etc.
« Par ailleurs, l’instantanéité implique que le temps de réflexion personnelle est plus restreint. On passe beaucoup moins de temps à se poser, à couper et à réfléchir. J’évoquais tout à l’heure la question des euromissiles avec Mitterrand. En 1983, il y avait 3 chaînes de télévision, pas de téléphone portable. Ne parlons même pas des réseaux sociaux. Je ne dis pas que c’était mieux, attention ! Mais les gouvernants avaient le temps de prendre le temps, d’évaluer, de prendre des décisions plus muries. L’expérience montre qu’elles n’étaient pas forcément meilleures mais au moins il y avait une forme de confort dans l’exercice du pouvoir, qui aujourd’hui est totalement absente.
« Si on ajoute à cela le fait que notre société est en train de s’effondrer, j’entends par là que les repères cèdent les uns après les autres, les gouvernants sont tétanisés à l’idée de prendre des mesures dont ils reconnaissent souvent la nécessité en privé mais que personne n’ose l’assumer publiquement. Cela n’augure rien de bon dans les mois ou les années qui viennent. Cette question des réseaux sociaux et, au-delà, de l’instantanéité et de la permanence d’une surinformation quasiment impossible à vérifier en temps réel, c’est un sujet de préoccupation majeur.
« Pour répondre plus personnellement à la question je communique beaucoup par Twitter. C’est mon réseau social de communication. Je n’utilise quasiment pas Facebook. LinkedIn, c’est un peu de communication institutionnelle, j’y mets mes articles et interviews. Par contre, sur Twitter, je peux écrire au fil de l’eau ce que je pense de tel ou tel évènement d’actualité. Je suis un peu incisif, parfois taquin. Et c’est moi qui rédige mes tweets ! »