
La répartition des compétences entre Police et Gendarmerie Nationales
Le 13 janvier 2025, la Cour des comptes publiait le rapport « La répartition des zones de compétence entre la police et la gendarmerie nationales ». [1]
Constat sur l’organisation actuelle
La répartition des compétences entre la Gendarmerie nationale (GN) et la Police nationale (PN) repose sur un schéma qui n’a pas été modifié depuis 2014, maintenant ainsi une structure figée malgré l’évolution des dynamiques territoriales et criminologiques. Historiquement, la carte police/gendarmerie est le fruit de l’étatisation de la police en 1941, qui a transféré les missions de sécurité publique aux forces de police dans les communes de plus de 10 000 habitants. Cette répartition, fondée sur des critères anciens, ne tient pas suffisamment compte des évolutions démographiques et urbanistiques contemporaines.
Ainsi, certaines circonscriptions de police couvrent des populations inférieures à 20 000 habitants, tandis que deux niveaux des communes intégrées aux métropoles (hors Grand Paris) restent sous gendarmerie. Ce décalage engendre des incohérences, notamment en Lozère, où le ratio de policiers par habitant est plus élevé que dans le Rhône, malgré un taux de criminalité cinq fois plus important dans ce dernier département. De nombreuses zones périurbaines densément peuplées sont toujours sous la responsabilité de la gendarmerie, alors qu’elles connaissent une délinquance significative.
De plus, la répartition géographique des forces de l’ordre accentue certaines inefficacités. La police nationale couvre moins de 5 % du territoire, concentrée dans les grandes zones urbaines, tandis que la gendarmerie est responsable de l’essentiel du territoire, y comprenant des zones vastes et parfois difficiles à surveiller efficacement. Ce déséquilibre allonge les délais d’intervention et rend la gestion des effectifs plus complexe.
L’éclatement territorial des zones de police entraîne parfois des unités de petite taille, limitant leur efficacité opérationnelle, comme en témoigne la situation de Saint-Gaudens ou de la Nièvre. Par ailleurs, certaines infrastructures stratégiques (aéroports, hôpitaux, zones commerciales, transports en commun) relèvent d’une double compétence entre police et gendarmerie, ce qui complique leur sécurisation en l’absence de cadre juridique précis. Cette absence de cadre est également notable dans les communes où coexistent police municipale, nationale et gendarmerie, accentuant les risques de dispersion des efforts sécuritaires et de manque de coordination.
Enfin, le développement des politiques municipales modifie progressivement le paysage sécuritaire. Leur rôle croissant nécessite une articulation plus claire avec les forces nationales afin d’éviter une « balkanisation » du dispositif sécuritaire, c’est-à-dire un éclatement des responsabilités entre acteurs sans doctrine d’intervention commune.
Jeux budgétaires et organisationnels
La répartition des effectifs entre le GN et le PN ne reflète pas toujours les besoins réels du terrain. En 2024, 50,5 % de la population est sous la responsabilité de la gendarmerie, contre 46 % en 1998. Pour renforcer son maillage territorial, 239 nouvelles brigades de gendarmerie ont été créées dans le cadre du « Plan 200 brigades » sur 2023-2024.
En parallèle, 4 558 communes disposent d’une police municipale, comptant plus de 27 000 agents. Toutefois, certaines circonscriptions de police nationale restent vulnérables en raison d’un manque d’effectifs, 76 d’entre elles étant identifiées comme telles. À l’inverse, certaines zones de police subissent des sureffectifs (450 postes en excès), occasionnant un gaspillage de ressources humaines et financières.
Historiquement, les transferts de zones entre police et gendarmerie ont engendré des coûts substantiels. Entre 2003 et 2006, 1 200 emplois ont été créés pour accompagner ces transferts, pour un coût ponctuel de 40 millions d’euros (immobilier et équipement) et un surcoût annuel de fonctionnement de 12 millions d’euros. Entre 2011 et 2013, 3,4 millions d’euros ont été alloués aux infrastructures et 7 millions aux mutations de personnel. Toutefois, l’absence d’un suivi budgétaire rigoureux sur ces opérations rend difficile l’évaluation de leur rentabilité et de leur impact.
Recommandations pour une meilleure répartition des compétences
Afin de remédier aux déséquilibres actuels, plusieurs réformes peuvent être envisagées :
- Modifier l’article R.431-2 du Code de la Sécurité Intérieure afin d’autoriser la gendarmerie à exercer certaines missions en zone de police. Cela renforcerait la flexibilité des interventions et permettrait un meilleur ajustement des forces en fonction des réalités locales.
- Optimiser le découpage des zones de compétence :
- Transférer à la gendarmerie les petites circonscriptions de police jugées structurellement vulnérables.
- Confier à la police nationale les communes intégrées aux métropoles présentant une continuité criminologique avec la ville-centre.
- Placer sous compétence exclusive de la gendarmerie les départements ruraux et faiblement peuplés, y comprenant certains chefs-lieux.
- Clarifier les compétences dans les zones partagées :
- Donner une base juridique aux situations de double compétence entre police et gendarmerie, notamment dans des villes comme Narbonne, Arles et Millau.
- Développer une doctrine commune intégrant les polices municipales pour assurer une meilleure coordination des patrouilles et des interventions.
- Si une fusion ou une création de communes nouvelles intervient, désignez une seule force de sécurité compétente pour éviter la dispersion des responsabilités.
- Renforcer l’efficacité des transferts :
- Mettre en place un suivi budgétaire détaillé pour chaque transfert de compétence.
- Optimiser la gestion des mutations afin de limiter les sureffectifs.
- Solliciter l’avis des procureurs et magistrats avant toute décision de transfert, afin d’aligner les choix stratégiques sur les réalités judiciaires.
Enfin, pour favoriser une meilleure coordination des effectifs et une plus grande attractivité des détachements entre les deux forces, un travail de fond sur la mobilité des agents entre gendarmerie et police est nécessaire. L’objectif est de renforcer la cohérence du dispositif de sécurité intérieure et d’adapter les ressources aux besoins réels des territoires.
En repensant la répartition des compétences et en dotant les forces de l’ordre d’un cadre juridique et organisationnel plus adapté, il est possible d’optimiser leur efficacité et de mieux répondre aux enjeux contemporains de sécurité.