Risque majeur sur notre souveraineté et notre indépendance
En inscrivant dans la loi européenne l’obligation de ne construire que des voitures neuves “zéro émission” à partir de 2035, l’Union Européenne a imposé de fait la fin des voitures thermiques. Même si une clause de revoyure est prévue pour 2026, (à la demande de Thierry Breton), il y a désormais peu de chance que l’Union Européenne ne revienne sur sa décision : en effet, immédiatement après sa réélection à la présidence de la commission européenne, Ursula von der Leyen a confirmé qu’elle ne remettrait pas en cause cet objectif.
Une posture idéologique qui ressemble fort à une monnaie d’échange pour satisfaire les écologistes qui ont permis sa réélection à la tête de la commission européenne, au mépris de toute considération économique et sociale pour la filière automobile en Europe. A plus long terme, cette décision fait peser un risque majeur sur notre souveraineté et notre indépendance.
L’ industrie automobile européenne : un secteur en crise
L’interdiction des voitures thermiques pourrait marquer la chute d’un secteur essentiel de l’industrie européenne, avec des conséquences dramatiques pour notre économie et notre souveraineté industrielle.
L’industrie automobile est un employeur majeur de l’Union européenne, elle représente environ 13,8 millions d’emplois en Europe, soit 6,1% des emplois européens. C’est également un secteur d’innovation. Le poids du secteur automobile est de 8 % de l’industrie manufacturière européenne. Parmi les 10 premiers constructeurs automobiles mondiaux, 4 sont basés en Europe.
Les mesures prises dans le cadre de la loi européenne sur le climat ont un impact considérable sur la transformation du secteur automobile : Les entreprises étant forcées de réduire leurs émissions carbones, elles subissent une augmentation des coûts de fabrication des véhicules tout en devant investir dans le développement des véhicules électriques.
De nombreux pays membres ont favorisé l’adoption des véhicules électriques grâce à des mesures d’incitation (subvention à l’achat, baisse des taxes et investissements dans les infrastructures). L’engouement pour l’électrique a singulièrement ralenti avec la fin des subventions étatiques et des prix à la pompe revenus à des niveaux plus bas. En 2024, la part de marché du tout électrique ne dépasse pas les 13 % et ne compense pas la baisse du marché des voitures thermiques, les consommateurs se reportant sur le marché de l’occasion ou de l’hybride.
Les constructeurs automobiles revoient à la baisse leurs prévisions financières. La situation est particulièrement critique pour les constructeurs allemands (BMW, Mercedes, Volkswagen), qui voient leurs parts de marché en Chine décliner au bénéfice des constructeurs chinois.
Dans un environnement compétitif en constante évolution, avec l’émergence en particulier de la Chine, qui a su anticiper et développer sur son marché intérieur une chaîne de valeur complète de production de véhicules électriques, c’est près de 10 % de la production européenne qui pourrait disparaître dans les 5 années à venir.
2035 : Une échéance peu réaliste
L’objectif de 100 % de voitures neuves “zéro émission “ en 2035 fait grincer des dents au sein même de l’institution européenne. La cour des comptes européenne a pointé du doigt dans un rapport publié au printemps 2024 les difficultés pour atteindre l’objectif fixé. Ces difficultés multiples sont d’ailleurs reprises par Mario Draghi dans son rapport publié en septembre dernier sur la compétitivité : [1]
La production de batteries électriques
C’est le principal enjeu de cette transformation du secteur automobile : Dans ce domaine, l’Union européenne est à la traîne en comparaison avec la Chine : La production européenne de batteries représente moins de 10 % de la production mondiale quand la Chine en détient à elle seule 76 %.
Le problème des batteries est d’autant plus stratégique qu’il crée une dépendance extrême aux importations de ressources. La fabrication des batteries nécessite l’utilisation de matières premières dont l’Europe ne dispose pas en abondance sur son sol : l’Europe importait 87 % du lithium d’Australie, 80 % de manganèse d’Afrique du Sud et du Gabon, 68 % du cobalt et 40 % de son graphite de Chine.
Alors que l’électrique était censé réduire notre dépendance aux énergies fossiles, la dépendance aux métaux rares sera encore plus risquée. L’électrique rendra l’Europe dépendante d’une poignée de pays pour l’extraction minière et particulièrement dépendante de la Chine sur le reste de la chaîne de valeur (extraction, raffinage, fabrication, assemblage et recyclage). [2]
En cas de pénurie des matériaux rares, il sera très compliqué de tenir les promesses de production de masse et de baisse des prix. Tous les constructeurs automobiles se souviennent de la crise d’approvisionnement des semi-conducteurs à la suite du Covid.
La re-qualification des travailleurs
Pour accompagner la transition vers le tout électrique, l’industrie automobile aura besoin de former des ouvriers aux nouvelles technologies de l’électrique et du digital tandis que la demande en travailleurs manuels et mécaniciens va décroître sensiblement avec la fin des moteurs thermiques. La plus grande attention devra être portée à la formation et à la reconversion des ouvriers pour éviter une casse sociale sans précédent.
Les infrastructures de recharge
L’absence d’infrastructure de recharge est un frein majeur à l’adoption d’un véhicule 100 % électrique pour les particuliers.
Celles-ci doivent être considérablement améliorées. Il est encore difficile de traverser l’UE en voiture électrique. Selon les données, environ 70% de toutes les stations de recharge sont concentrées dans seulement 3 des 27 pays de l’UE – la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. L’Europe de l’Est, en particulier, manque de points de recharge.
Par ailleurs, seul un point de charge sur sept permet une recharge rapide grâce à une capacité supérieure ou égale à 22 kW. Un chiffre qui reste très éloigné de l’objectif européen de 400 kW.
Les carburants de synthèse : une alternative peu crédible
Face à la fronde des constructeurs européen, Mme von der Leyen a laissé entendre que les moteurs thermiques pourront être vendus au-delà e 2035 à condition d’utiliser des carburants de synthèse (les e-fuels). Les e-fuels sont produits avec de l’électricité bas carbone, à partir de CO2 captés dans l’atmosphère ou récupéré sur un site industriel, les rendant neutres en termes d’émission.
Cette concession d’Ursula von der Leyen (afin de satisfaire les constructeurs automobiles allemands, particulièrement touchés par cette décision), ressemble pour le moment beaucoup plus à un leurre pour calmer les opposants à cette interdiction européenne qu’à une véritable solution. En effet, le coût de fabrication des carburants de synthèse est beaucoup plus élevé que celui des carburants fossiles, le rendant inaccessibles pour le consommateur final. [3]
Un risque majeur pour notre souveraineté
La politique européenne consistant à imposer la fin du moteur thermique sans une réflexion stratégique préalable est une parfaite illustration de l’expression “mettre la charrue avant les bœufs”.
La prise en compte de la chaîne de valeur de l’industrie des véhicules électriques dans son ensemble, en particulier la capacité à produire sur notre sol les composants essentiels tels que les batteries, est une condition “sine qua non” de la réussite de la transformation de l’industrie automobile vers le tout électrique. Les industriels le savent et l’ont parfaitement compris, d’où leur demande légitime d’adapter le calendrier européen.
Manquer de lucidité en maintenant la date butoir de 2035 pour imposer le “zéro émission” serait contribuer au pire : le refus de madame von der Leyen d’adapter le calendrier d’interdiction des ventes de véhicules thermiques pour complaire à ses alliés écologiques fait courir un risque majeur à l’industrie automobile européenne et à sa souveraineté.
Sources
[1] The future of european competitiveness – A competitiveness strategy for Europe Septembre 2024
[2] En 2030, les constructeurs chinois devraient accaparer 40 % de la demande mondiale de batteries au lithium.
[3] Ce qui avait fait dire à Patrick Pouyanné, PDG de Total Énergies, « les e-fuels coutent 10 fois plus chers que le carburant normal, si vous me trouvez des automobilistes prêts à en acheter, je vous en produis ! »