La lettre de M. de Rastignac

La lettre de M. de Rastignac
30 janvier 2025 Olivier Debeney

Le courage de Thibault de Montbrial

Chaque semaine dans Valeurs actuelles, M. de Rastignac raconte dans sa lettre les coulisses de la vie politique parisienne depuis sa fenêtre sur le XIXe siècle.

Par M. de Rastignac


Il est de la race de ces avocats qui ne défendent pas des clients mais des causes. Ainsi va la vie d’Amédée de Montbazire. Je connais cet homme depuis bien longtemps, mon cousin, et en relisant mes brouillons, il me semble bien ne m’être jamais entretenu de lui avec vous.

Vous pourrez le croiser, la robe noire sur les épaules, au palais de justice de Paris ou dans un tribunal de province. S’il enfile souvent une redingote afin de porter la bonne parole des mauvaises nouvelles et de peindre notre société d’un réalisme cruel, il paraît évident que la tenue qui sied le mieux à M. de Montbazire est celle de la bataille.

Il lui arrive même de revêtir l’uniforme quand il s’entraîne avec des soldats de ses amis. Il n’est pas le seul, mais dans le club des hommes de loi qui manient à la fois la plume et l’épée, Amédée de Montbazire occupe une place de choix.

Le crime qui inonde partout le faubourg et nos cités n’a pour lui aucun secret. Il ne s’agit pas chez lui d’une curiosité déplacée, mais d’une savante expertise. Pour faire rendre gorge à la pègre qui, toujours plus, met au supplice les honnêtes gens, Me de Montbazire a imaginé des remèdes de cheval. En somme, quand le pouvoir rechigne à envoyer la garde, Amédée de Montbazire nous somme de ne pas la baisser.

Pour lui, il faut changer la loi et pourquoi pas interroger la position des juges. À la guerre comme à la guerre, nous devons, estime-t-il, établir des sièges autour des poches de malfaisance, être prêts à ôter la vie des plus grands malfrats. Pourquoi seuls les brigands, dans ce pays, font-ils usage de leurs armes ?

Ne craignez pas que cette position soit enviable, mais si l’on mesure le courage d’un homme au nombre et à la dangerosité de ses ennemis, alors M. de Montbazire fait montre d’une intrépidité sans bornes. Les mahométans les plus résolus abhorrent particulièrement ce tribun qui ne craint ni les fanatiques violents ni les prêcheurs les plus retors. À tout moment, il risque de tomber sur un fou de Dieu ou un hors-la-loi.

Et pourtant, il ne se tait pas. Que ce soit dans les gazettes ou devant des amphithéâtres, Amédée de Montbazire répète son texte à tel point que l’envie d’action publique finit par rattraper la seule science des mots. Il se définit comme un légitimiste, il ne s’en cache pas.

La trajectoire de l’actuel ministre de toutes les polices l’interroge. Dans son cabinet de l’ancien siège de la Lanterne éclairée, l’avocat se demande comment participer à l’assaut. Faut-il jouer les chevaux de Troie ou endosser le dolman des hussards ? Quitter les prétoires pour les estrades ? Accepter que l’on vous accole la formule magique et terrible à la fois d’homme politique ? Je suis partagé, mon cher cousin, j’ai fait part de cette perplexité à Amédée de Montbazire.

Notre avocat a créé un métier qui n’existe pas, à mi-chemin entre l’éveil de la conscience et la sommation à agir. Je ne sais que trop combien la politique, sa grammaire et ses circonvolutions nuisent à ceux qui s’y plongent. On croit y déceler le pouvoir et c’est en réalité son simple miroir que l’on y trouve. En revanche, le jour de la grande bascule, il faudra bien des hommes de main. Capables d’instruction précise. Hermétiques aux compromis. Et ce jour, c’est demain.

Lire l’article sur VA