Menacée par l’insécurité et une immigration massive, l’Allemagne change de cap
Par Bruno Mahieux
Soligen, un triste symbole
Le 23 août dernier, à Solingen, une attaque au couteau a causé la mort tragique de 3 victimes, et blessant 5 autres personnes lors d’un festival fêtant les 650 ans de la ville.
Solingen est une ville moyenne de l’Allemagne de l’Ouest, à une trentaine de kilomètres de Düsseldorf. Avec près de 160 000 habitants, elle est surtout renommée pour ses fabriques de lames et de couteaux : Le Solingen est à l’Allemagne ce que l’Opinel est à la France. Un symbole de qualité et du savoir-faire artisanal allemand. Triste symbole de voir cet acte criminel commis dans la ville dont le couteau est la fierté.
L’attaque a été commise par un Syrien de 26 ans, non connu des services de la police allemande, mais qui aurait dû être expulsé d’Allemagne l’année dernière, sa demande d’asile ayant été rejetée. Il s’agit d’un nouvel acte revendiqué par l’Etat Islamique après l’attaque au camion bélier sur le marché de Noël de Berlin en 2016, faisant à l’époque 13 victimes.
La liste des attentats ne cesse de s’allonger, créant de fortes tensions dans toute l’Allemagne :
- Le 25 janvier 2023, une attaque au couteau dans un train régional reliant Hambourg à Kiel, faisant 2 morts et sept blessés. L’auteur était d’origine palestinienne et apatride.
- Le 31 mai 2024, 5 personnes sont blessées par un homme de 25 ans d’origine afghane, lors d’un meeting politique anti-islam à Mannheim. Un policier décèdera de ses blessures.
- Le 27 août, un homme armé de deux couteaux ayant menacé et agressé plusieurs passants, est abattu à Moers.
- Le 30 août, une femme de 32 ans poignarde plusieurs personnes à Siegen, faisant 5 blessés.
- Le 5 septembre dernier, la police allemande tuait un homme d’origine autrichienne et connu pour ses sympathies islamistes, alors qu’il planifiait un attentat terroriste contre le consulat général d’Israël, à Munich.
- Plusieurs autres projets d’attentats au nom de l’Etat Islamique ont été déjoués, visant des édifices religieux, églises ou synagogues, dont la cathédrale de Cologne.
Une dégradation globale de la situation sécuritaire
Ces attentats à répétition sont un choc pour la population. L’Allemagne était jusqu’à présent l’un des pays les plus sûr du monde, selon le Global Peace Index[1]. Pourtant, selon les chiffres du ministère de l’intérieur [2], la situation se dégrade de façon spectaculaire : plus de 5,94 millions de délits de toute nature ont été répertoriés en Allemagne, soit une hausse de 5,5 % par rapport à 2022, qui avait déjà vu le nombre de délits augmenter significativement de 11,5 % par rapport à 2021 (5 628 584 délits répertoriés contre 5 047 860 en 2021).
Autre fait notable : les délits sont de plus en plus violents : ils ont cru de 8,5 % l’année dernière, pour atteindre un record depuis 2007, avec 214 099 cas répertoriés, après une année 2023 qui avait déjà vu augmenter le nombre de délits violents de 19,8 %.
Les raisons de cette augmentation de la criminalité sont multiples : La fin de la pandémie de COVID et des contrôles qui en ont découlé, ainsi que la crise économique et sociale liée au retour de l’inflation en 2022 ont certainement joué un rôle. Néanmoins, une analyse fine des chiffres du ministère de l’intérieur met clairement en évidence le lien entre immigration et insécurité :
En effet, parmi les 2,246 millions de personnes mises en cause dans ces délits, (soit une augmentation de 7,6 % par rapport à l’année précédente, respectivement 18,3 % par rapport à 2019), environ 923 000 personnes (41 % des personnes mises en cause) sont des étrangers. Si l’on excepte les personnes étrangères entrées illégalement en Allemagne, la proportion d’étrangers est de 34,4 %.
Enfin, alors qu’il n’y a eu pratiquement aucune évolution du nombre de personnes mises en cause parmi la population de nationalité allemande (+1%), on a constaté une augmentation globale significative de + 13,5% parmi les étrangers. La part de la population étrangère ayant également augmenté, l’impact de l’immigration sur cette hausse de l’insécurité est difficilement contestable.
Les partis de gouvernement qui ont pendant des années nié le lien entre l’immigration de masse et l’augmentation de la criminalité, l’ont désormais reconnu, à commencer par la ministre de l’Intérieur elle-même, Nancy Faeser, pourtant non suspecte de sympathies avec “l’extrême droite”.
Une immigration massive au cours de la dernière décennie
Jusqu’à la première crise du pétrole en 1973, l’immigration allemande était pour l’essentiel une immigration de travail, issue des pays européens du sud de l’Europe (Espagne, Italie, Yougoslavie) et de la Turquie.
L’immigration s’est progressivement intensifiée dans les années 70, avec l’autorisation du regroupement familial. On estime à un million le nombre d’enfants turcs nés sur le sol allemand grâce à cette loi. L’impact sur la population était cependant relativement limité, le code de la nationalité allemande étant régi par le droit du sang. C’est en 2000 que celui-ci sera remplacé par le droit du sol, sous certaines conditions.
Suite à la réunification en 1991, consécutive à la chute du mur de Berlin, l’ouverture du marché du travail aux pays membres de l’UE provoque une immigration massive, majoritairement en provenance des pays de l‘Est et du sud de l’Europe.
C’est à partir de 2015 que le poids de l’immigration en provenance de pays islamistes s’est considérablement renforcé : L’Europe est confrontée à une crise migratoire sans précédent en raison de la guerre civile en Syrie. Sous l’impulsion de sa chancelière Angela Merkel, l’Allemagne a accueilli, entre 2015 et 2016, 2,5 millions de réfugiés sur son territoire.
Malgré une accalmie de la crise migratoire les années suivantes, l’arrivée de migrants est restée assez élevée en comparaison avec ses voisins européens, le gouvernement allemand facilitant une immigration ciblée pour palier au vieillissement de la population et au déficit démographique qui en résulte. En 2022, plus de 2 millions migrants se sont installés en Allemagne.
Cette immigration massive a pour conséquence une forte augmentation du nombre de naturalisations : en effet, la plupart des immigrés arrivés au cours de la crise migratoire remplissent aujourd’hui les critères de naturalisation, (maîtrise de la langue, présence dans le pays depuis un certain nombre d’années), et entreprennent les démarches pour obtenir la nationalité allemande. En 2023, ce sont près de 200 100 étrangers qui ont obtenu un passeport allemand outre-Rhin, selon un rapport publié le 28 mai dernier par l’office fédéral de la statistique. Prés de 50 % sont d’origine syrienne, irakienne, afghane ou turque.
Après des années de forte immigration, l’Allemagne est à la limite de l’intégration. Le nombre de demandes d’asile a augmenté de 51% l’an dernier (329 000), créant des difficultés d’hébergement dans les communes.
Des répercutions politiques notables
Ces derniers mois marquent un tournant majeur dans le débat sur l’immigration. Alors que l’immigration était absente de la campagne électorale de 2021 qui a amené la coalition actuelle au pouvoir, le sujet de l’immigration s’est imposé au centre des débats politiques.
Le sujet est particulièrement sensible dans l’ex Allemagne de l’Est, alors que les Länders est-allemand étaient historiquement peu concernés par l’immigration, en comparaison avec l’ex Allemagne de l’Ouest. Le 1er septembre dernier, le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) a réalisé une percée historique lors d’élections régionales en Thuringe et en Saxe, (2 Länders issus de l’ex Allemagne de l’Est), devenant la première force politique de la Thuringe et talonnant les Chrétiens Démocrates en Saxe. D’autres élections prévues dans le Brandebourg le 22 septembre prochain devrait confirmer cette tendance selon les derniers sondages.
L’irruption de l’AfD comme deuxième force politique en Allemagne est considéré par beaucoup comme le fruit d’une immigration incontrôlée.
Face à cette montée de la violence, la coalition au pouvoir en Allemagne n’hésite pas à employer les grands moyens, quitte à se mettre en infraction avec les règles européennes et les accords de Schengen.
Suite aux actes criminels de l’été, de nombreuses décisions ont été prises rapidement, pour tenter d’inverser la tendance, preuve d’un relatif consensus au sein de la coalition face à l’urgence de la situation.
Parmi les mesures les plus marquantes prises dans le courant de l’été – renforcement des lois sur le port d’armes, suppression des aides pour les demandeurs d’asile entrés dans un autre pays de l’UE avant l’Allemagne, renvoi de 28 afghans condamnés pour crimes dans leur pays d’origine – celle annoncée par le chancelier Scholz le 9 septembre dernier, décrétant que l’Allemagne allait rétablir les contrôles à ses frontières à partir du 16 septembre, ne manquera pas de relancer la question de la politique migratoire de l’Union Européenne.
Au regard de la gravité des problèmes de sécurité constatés en France, le prochain gouvernement français serait bien intentionné de s’inspirer du pragmatisme de son voisin allemand et de ce qui est mis en place au Danemark, aux Pays-Bas, en Suède ou encore en Italie.