Le cas de la Nouvelle-Calédonie offre une illustration récente de la mise en œuvre de l’état d’urgence. Décrété le 15 mai 2024 en réponse à des violences meurtrières liées au référendum sur l’indépendance, il permet aux autorités de restreindre certaines libertés individuelles, d’effectuer des perquisitions sans autorisation judiciaire et d’assigner des individus à résidence.
Généralités
L’état d’urgence est un régime d’exception qui renforce les prérogatives des autorités administratives en cas de trouble grave à l’ordre public ou de catastrophe. Le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent alors prendre des mesures restreignant les libertés fondamentales.
Créé en 1955 pour faire face aux événements liés à la guerre d’Algérie, l’état d’urgence a été appliqué cinq fois entre 1955 et aujourd’hui :
- Lors de la guerre d’Algérie (en 1956 sur le territoire algérien – puis application à toute la métropole en 1957),
- En Nouvelle-Calédonie en 1984,
- Lors des émeutes de 2005,
- Entre le 14 novembre 2015 et le 1er novembre 2017 à la suite des attentats islamistes de 2015,
- Et le 15 mai 2024 en Nouvelle-Calédonie.
Les autres cadres juridiques
L’état d’urgence sanitaire En mars 2020, l’état d’urgence prend une nouvelle forme : l’état d’urgence sanitaire, donnant un cadre légal aux mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.
L’état de siège Si le gouvernement estime que l’État d’urgence n’est plus pertinent pour garantir l’ordre public, l’État de siège peut alors être décrété en conseil des ministres (article 36 de la Constitution) : différence notoire avec l’État d’urgence, les pouvoirs de police sont transférés aux autorités militaires.
Les pouvoirs exceptionnels du Président de la République En dernier lieu, le président peut grâce à l’article 16 de la Constitution être doté de pouvoirs exceptionnels et exercer les pouvoirs exécutifs et législatifs.
Application
Définit par la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence a été modifié à plusieurs reprises depuis. Décrété en conseil des ministres pour une durée initiale de 12 jours, il peut être prolongé si une loi est votée par le Parlement. Cette dernière encadre son application pour une durée donnée.
Le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent alors décider par des arrêtés :
- des assignations à résidence de personne représentant un danger pour l’ordre public dans une durée limitée à 3 mois ;
- des interdictions de séjour : interdire la circulation et restreindre l’accès à tout ou à une partie d’un département à des personnes spécifiques ;
- des réquisitions de personnes ou moyens privés ; la remise d’armes et de munitions (catégories A à C) ;
- l’interdiction des manifestations et rassemblements de personnes sur la voie publique ;
- la mise en place de périmètres de protection pour assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement ;
- l’interdiction de certaines réunions publiques ou la fermeture de lieux publics et de lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos appelant à la haine, la violence ou faisant l’apologie du terrorisme ;
- des perquisitions administratives. Ces dernières sont interdites entre 21h et 6h du matin, “sauf motivation spéciale” ainsi que “dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes”, auquel cas le procureur de la République doit en être informé ;
- le blocage de sites internet prônant des actes terroristes ou faisant l’apologie.
Contrôle parlementaire
Les autorités administratives ont l’obligation d’informer le Parlement des mesures prises dans le cadre de la loi d’état d’urgence, afin qu’il puisse les contrôler et les évaluer.
En raison de la multiplication des attentats terroristes depuis les années 1980, la France a, en parallèle de l’état d’urgence, considérablement renforcé sa législation : la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement, la loi du 3 juin 2016 relative au terrorisme et au crime organisé, la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme et enfin la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Cette prolifération législative fait dire à certains juristes et observateurs que l’État d’urgence s’est banalisé et pérennisé en faisant son entrée dans le droit commun. Dans son rapport de 2021, le Conseil d’État a formulé des recommandations visant à clarifier l’application de l’état d’urgence et mieux le distinguer de la gestion de crise. L’étude préconise une définition plus précise en limitant son déclenchement aux crises de “haute intensité” et encourageant une approche proactive pour anticiper les actions gouvernementales.
Pour une meilleure gestion des crises, l’étude propose de faire du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) l’administration interministérielle en charge la direction des opérations en période d’état d’urgence.
Enfin, les rapporteurs invitent à définir des schémas d’intervention pour chaque type de crise, et de renforcer les contrôles parlementaires et juridictionnels en inscrivant des règles procédurales dans la Constitution et d’activer un comité de liaison entre le Conseil d’État et la Cour de cassation dès le déclenchement de l’état d’urgence.
Un régime sollicité
L’état d’urgence est souvent réclamé par les politiques de l’opposition comme en juin 2023 lors des émeutes et violences urbaines liées à la mort de Nahel les présidents des partis LR et R! ont tous les deux réclamé que cette mesure soit prise par le gouvernement.
L’état d’urgence a également été demandé par les présidents des LR et du RN en février 2024 pour le département de Mayotte. En effet, l’archipel mahorais est en proie à de nombreux troubles de l’ordre public et subit l’arrivée massive de migrants depuis de nombreuses années.
Notre article sur Mayotte ici.
Le 24 mars 2024, à la suite des attentats du 22 mars 2024 à Moscou, un Conseil de Défense et de Sécurité nationale a été réuni par le Président Emmanuel Macron. Le gouvernement français a décidé de relever le plan Vigipirate au niveau “urgence attentat”, le plus élevé. La France avait réduit son niveau d’alerte depuis le 15 janvier (ce dernier avait été renforcé au moment de l’attentat terroriste qui avait coûté la vie de Dominique Bernard à Arras).
Quelques contestations
Ces mesures ont fait l’objet de critiques de certaines oppositions et du Défenseur des droits dès 2017. Elles sont dénoncées comme attentatoires aux droits et aux libertés des citoyens car elles renforcent considérablement les pouvoirs de l’exécutif (notamment en matière de police administrative).
Conclusion
Destinés à un «péril imminent», les états d’urgence récents ont permis de tirer différents enseignements sur ce régime d’exception, de cerner ses limites, ses avantages et ses risques.
Depuis 2015, la France a été durant la moitié de la période (jusqu’à aujourd’hui) en état d’urgence : antiterroriste ou sanitaire. Il est très probable que de futures crises conduisent à la mise en œuvre de nouveaux états d’urgence. La mise en place de ce régime est perfectible et résulte d’un affaiblissement structurel de l’État.
L’état d’urgence décrété en Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024 a autorisé la mise en place de restrictions telles que des couvre-feux, l’interdiction de manifester, des assignations à résidence et des contrôles d’identité renforcés. Les autorités ont également pu procéder à des perquisitions sans autorisation judiciaire. Elles ont aussi pu fermer des établissements recevant du public et restreindre l’accès aux réseaux sociaux.