Tribune publiée par Thibault de Montbrial dans Le Figaro
La France est confrontée à une situation politique inédite depuis la séquence ouverte avec les élections européennes puis la dissolution de l’Assemblée nationale et enfin les résultats des élections législatives. Aucune des forces en présence ne peut de bonne foi prétendre à la capacité de gouverner sur la base d’un programme propre. Pour autant, une majorité de français attend des politiques qu’ils agissent dès maintenant. En particulier sur les sujets régaliens que sont la police et la justice, ainsi que sur la politique d’immigration. Ils espèrent pour les mois qui viennent une politique de grande fermeté (voir Ipsos, 23 août 2024), et réclament une intransigeance absolue contre l’islamisme et l’antisémitisme.
Face à ces attentes, que faire dans la situation actuelle ? La vie continue, et le pays doit évidemment être gouverné. Faute de l’émergence d’une force légitime, la réponse à cette question se trouve hors des schémas habituels.
De fait, tant les élus du groupe LR dirigé par Laurent Wauquiez que ceux du groupe Ensemble sous la houlette de Gabriel Attal ont proposé chacun un pacte législatif ou d’action, autour de quelques mesures essentielles qui permettraient de traverser cette période particulière sans que le pays n’y laisse de plumes supplémentaires. Les deux propositions sont compatibles. C’est autour de ces objectifs communs qu’il faut chercher un équilibre gouvernemental susceptible d’éviter la censure.
Gouvernement de sensibilités différentes
Ne pas l’entendre, c’est s’exposer à un procès en contradiction profonde ; le RN et ses alliés ne pourront pas s’opposer à l’adoption de mesures de fermeté régalienne attendues par leurs dix millions d’électeurs. La droitisation de la société sur les sujets de sécurité est là.
On m’objectera qu’un tel gouvernement sera nécessairement constitué de sensibilités différentes, et qu’il est improbable qu’il conduise une politique à la hauteur de ce que la gravité de la situation sécuritaire et migratoire nécessite, et en particulier du « choc d’autorité » que j’appelle de mes vœux depuis des années.
Mais c’est là qu’intervient le principe de responsabilité politique, à double titre. D’abord, quiconque revendique des convictions sincères ne peut que préférer des petits pas dans la bonne direction plutôt que de contribuer à un pourrissement mortifère pour le pays. C’est pourquoi j’ai par exemple soutenu la loi immigration de Gérald Darmanin en décembre 2023 : un texte loin d’être suffisant, mais porteur de réelles avancées techniques dont l’adoption a permis d’expulser depuis des étrangers qui n’auraient pu l’être avant. Pas assez ? Évidemment ! Mais toujours plus que si ce texte n’existait pas.
«Politique raisonnable» autour du régalien
Mais responsabilité aussi, parce que faute d’entente autour des propositions évoquées, le risque est réel de voir émerger une alliance de gauche qui, même sans les extrémistes de LFI, entraînera le pays vers des rivages toujours plus dangereux.
Il est possible de nommer un premier ministre dont la mission consisterait à mener une politique raisonnable notamment autour de la question régalienne
Voilà pourquoi je pense qu’il est possible de nommer un premier ministre dont la mission consisterait à mener une politique raisonnable notamment autour de cette question régalienne cruciale, avec des ministres de l’Intérieur et de la Justice en capacité de prendre des mesures réglementaires de fermeté et capables de faire voter quelques textes pour renforcer de la sécurité des Français. Il ne faudra pas non plus oublier nos armées, dont le budget me paraît tout aussi prioritaire que ceux de Beauvau et de Vendôme compte tenu du contexte international.
Voilà pourquoi je considère que, dans cette perspective, les Français ne comprendraient pas que quiconque se trouve sur cette ligne la soutienne de l’extérieur, mais sans aller jusqu’à participer à l’équipe gouvernementale chargée de la mettre en œuvre.
À charge pour le RN (et désormais ses alliés) de continuer à afficher l’esprit de responsabilité dont il se réclame depuis 2022 pour ne pas voter les motions de censure que LFI ne manquera pas de déposer régulièrement.
Protéger les Français est un impératif absolu et immédiat. C’est le préalable à la mise en œuvre apaisée de mesures de bon sens nécessaires pour développer la compétitivité de notre industrie et de notre agriculture, préserver nos services publics (notamment en luttant contre la fraude sociale) et renforcer l’Éducation nationale. Et lorsque viendra le temps du retour aux urnes, chacun reprendra sa liberté, y compris bien sûr parmi ceux qui auront, en responsabilité, fait un bout de chemin ensemble dans l’intérêt de la France.