D’importantes violences urbaines se déroulent depuis lundi en Nouvelle-Calédonie, suite à la mobilisation des indépendantistes alors qu’un projet de loi constitutionnelle pour la modification du corps électoral est à l’étude depuis quelques jours.
Point de situation
Avant lundi 13 mai
Le projet de loi constitutionnelle pour l’ouverture du corps électoral de Nouvelle-Calédonie a entraîné la mobilisation des mouvements indépendantistes de cette collectivité d’outre-mer depuis plusieurs semaines. Des interpellations ont eu lieu la semaine dernière et les tensions se sont intensifiées jusqu’à l’examen du texte ce lundi à l’Assemblée. Les personnes interpellées ont été placées en garde à vue pour “participation armée à un attroupement, entrave à la circulation, complicité d’entrave à la circulation et dégradation” a précisé le parquet de Nouméa. Les personnes mises en cause “revendiquent avoir commis les faits à l’appel de la CCAT” (Cellule de coordination des actions de terrain), toujours selon le parquet de Nouméa.
La CCAT est la structure mise en place par l’Union calédonienne (UC), elle rassemble plusieurs partis et mouvements indépendantistes et organise la mobilisation toujours en cours.
Depuis lundi 13 mai
Depuis l’entrée en examen du texte de loi à l’Assemblée nationale hier, les tensions ont éclaté, donnant lieu à des affrontements et à violences importantes qui se sont poursuivies dans la nuit provoquant un bilan déjà lourd :
- 54 policiers et gendarmes blessés
en 48 heures; - Des tirs tendus avec des armes de gros calibre, des carabines de grande chasse, sur les gendarmes;
- 82 personnes interpellées;
- Près de 1500 appels
aux sapeurs-pompiers; - Des centaines de voitures brûlées;
- Plus d’une cinquantaine de commerces et entreprises incendiés;
- Des particuliers ont été contraints de quitter leur domicile avant qu’il ne soit incendié;
- Le père de Sonia Backès (79 ans), présidente de la province Sud de l’archipel et principale figure du camp non indépendantiste, a été évacué de sa maison en flammes par le GIGN.
Le ministère de l’Intérieur a envoyé des renforts de métropole qui sont en route : des éléments du GIGN et du RAID, quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8 (une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines). Un couvre-feu a été institué, l’aéroport international, les lycées et les collèges ont été fermés.
“Toute cause mérite d’être défendue politiquement, mais elle ne mérite pas de l’être en engageant des actions mortelles contre les gendarmes, contre les habitants, sur l’agglomération de Nouméa”, a ajouté le haut-commissaire. “Sur la ville de Nouméa, l’action est menée essentiellement sur les quartiers Nord avec des destructions de commerces, de pharmacies et de domiciles”, a poursuivi M. Le Franc. “Car on a malheureusement pu constater des exfiltrations d’habitants” avant que leurs “domiciles ne soient brûlés”.
Déclaration du haut-commissaire de la République
Contexte historique
Les années 1980 furent marquées par une escalade de tensions entre les partisans de l’indépendance et ceux en faveur du maintien du territoire dans la République française. Ces divisions profondes ont conduit à des affrontements d’une grande violence.
La prise d’otages d’Ouvéa qui s’est déroulée du 22 avril au 5 mai 1988 fut sans conteste l’événement le plus dramatique de cette période. Cette prise d’otages, menée par des indépendantistes kanak contre des gendarmes mobiles français, s’est soldée par un bilan humain extrêmement lourd. Au total, 26 personnes ont péri : 4 gendarmes, 2 militaires, 19 Kanaks et 1 civil. Cette tragédie poussa les parties vers la table des négociations.
Le 26 juin 1988, les accords de Matignon-Oudinot sont signés par l’État français, les indépendantistes du FLNKS et les loyalistes du RPCR et mettent fin au conflit. Ils instituent un statut transitoire pour la Nouvelle-Calédonie sur une période de dix ans. Cette période est consacrée à un développement économique, social, culturel et institutionnel visant à préparer le territoire à un référendum d’autodétermination en 1998.
L’accord de Nouméa est signé le 5 mai 1998. Il réunit à nouveau l’État, les indépendantistes et les loyalistes et renforce l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie. Il prévoit un transfert progressif de compétences de l’État à la Nouvelle-Calédonie, dans l’attente d’un référendum d’autodétermination (reporté à 2018).
Conformément aux accords de Nouméa, trois référendums d’autodétermination ont été organisés en Nouvelle-Calédonie entre 2018 et 2021, tous ont été gagnés par les anti indépendantistes :
- 2018 : Le premier référendum, organisé le 4 novembre 2018, voit la victoire du “non” à l’indépendance avec 56,7% des suffrages exprimés.
- 2020 : Le second référendum, organisé le 4 octobre 2020, confirme la victoire du “non” avec 53,26% des suffrages exprimés.
- 2021 : Le troisième et dernier référendum, organisé le 12 décembre 2021 voit le “non” l’emporter avec 96,50% des voix, mais sur fond d’une abstention record de 56,13% (les indépendantistes ayant appelé au boycott).
La réforme en question
Situation actuelle
Le statut d’électeur pour les élections provinciales est lié à une condition : être inscrit sur les listes électorales spéciales de 1998, ou être descendant de ceux qui y étaient. L’accord de Nouméa permettait aux indépendantistes kanaks, inquiets de devenir minoritaire, d’être assurés de peser davantage sur le plan électoral.
Projet de loi actuel
Pour des raisons démocratiques, le gouvernement souhaite élargir le corps électoral à tous les natifs de l’île et aux personnes domiciliées sur le territoire depuis plus de dix ans.
Spécificités de la Nouvelle-Calédonie
Avant 1999, la Nouvelle-Calédonie était un territoire français d’outre-mer. Depuis, elle est devenue une collectivité territoriale à statut particulier. Cette collectivité est composée de trois provinces et de 33 communes.
L’archipel français est situé dans le Pacifique Sud et est doté d’un statut particulier lui conférant une certaine autonomie.
Capitale : Nouméa
Langue officielle : Français
Religion : Essentiellement chrétienne. L’Islam et le Bouddhisme sont également présents.
Peuples et ethnies : Kanaks (40%), Européens (29%), Wallisiens et Futuniens (9%), Asiatiques (4%), Tahitiens (2%)
Superficie : 18 575 km²
Monnaie locale : le Franc pacifique
1€ = 119,33 CFP
1000 CFP = 8,38€
Des institutions propres : un congrès, un gouvernement, un Sénat coutumier, un Conseil économique, social et environnemental, des conseils coutumiers
Trois provinces : Nord, Sud et îles Loyautés (chacune possède une assemblée délibérante et des représentants au Congrès).
Un représentant de l’État : un haut-commissaire de la République.
Le coût de la vie quotidienne est élevé alors que le pouvoir d’achat est plus faible qu’en métropole. La Nouvelle-Calédonie importe une grande partie de ses produits de consommation.
51 000 Calédoniens vivent sous le seuil de pauvreté (19,1 % de la population), c’est-à-dire avec moins de 87 950 francs par mois (737€).
La Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un statut particulier au sein de la République française, défini par le titre XIII de la Constitution et la loi organique du 19 mars 1999. Ce statut la qualifie de collectivité “sui generis”, c’est-à-dire qu’elle possède des caractéristiques uniques qui la distinguent des autres collectivités.
Deux articles de la Constitution lui sont consacrés, les 76 et 77. Ils permettent notamment un partage de la souveraineté et une autonomie partielle lui octroyant le droit de voter les “lois du pays”.
L’État reste compétent dans les domaines suivants :
- Le contrôle de l’immigration ;
- La monnaie ;
- Le Trésor ;
- La défense nationale ;
- La fonction publique de l’État ;
- Le maintien de l’ordre ;
- L’enseignement supérieur et la recherche.