Un sursaut d’autorité pour combattre l’ensauvagement ?
Le Premier ministre a raison : face à la montée de la violence des mineurs, nous ne pouvons plus nous bercer de mots ou nous contenter de demi-mesures. Mais il nous faut plus qu’un sursaut d’autorité. Il nous faut la réinventer. Et revoir de fond en comble plusieurs de nos politiques publiques. Est-il encore temps ?
Le mélange explosif formé par la violence juvénile, d’une part, la délinquance courante et les crimes communautaires et religieux, d’autre part, nous plonge dans un tel désarroi que nous sommes tentés, pour nous rassurer, d’attribuer la violence des mineurs à une cause unique (la drogue, les réseaux sociaux…) et d’en tirer une médication simple et expédiente. C’est la tentation de beaucoup de commentateurs et de personnalités politiques. Mais la réalité est autrement complexe. Le simplisme du diagnostic ne peut conduire qu’à l’insuffisance de la thérapeutique. Pour y voir plus clair et, si possible, entrer en voie de résilience, il faut au moins répondre aux questions suivantes.
Comment caractériser la violence des mineurs qui sévit actuellement à l’extérieur comme à l’intérieur de l’univers scolaire ?
Une partie de la violence des mineurs tient à l’environnement culturel contemporain, dans lequel baigne l’ensemble de la jeune génération. On en connaît les principaux traits : individualisme tout-puissant, indifférence à l’autre, hédonisme, consumérisme, dégradation du niveau scolaire, effondrement de la lecture remplacée par l’addiction aux écrans, enfermement narcissique dans les réseaux sociaux, exposition précoce aux contenus violents et pornographiques. Une autre composante de la violence des mineurs trouve sa source dans la déstructuration du tissu social, alliant pauvreté et monoparentalité, cas fréquent dans la population d’origine sahélienne.
Une forte proportion des mineurs interpellés lors des émeutes de l’été 2023 provenait de familles monoparentales pauvres.
Une autre encore est liée à la consommation ou au trafic de drogue, et à tout son halo de délinquance courante. Une quatrième forme de violence, communautaire et confessionnelle, est le produit d’un endoctrinement frériste et salafiste qui touche désormais un nombre malheureusement non négligeable de familles musulmanes.
Ces différentes composantes de la violence juvénile sont d’intensités différentes. Les réseaux sociaux par exemple sont loin de tout expliquer : ils peuvent être vecteurs et catalyseurs de violence, mais n’en sont pas la cause première. Ces composantes sont en outre de natures très différentes : l’anomie, au sein de la société globale, est un facteur de violence, mais l’excès de normes, au sein des communautés d’appartenance, en est un autre, non moins puissant. Ces composantes n’en sont pas moins inter-corrélées et elles sont toutes favorisées par la faiblesse des réponses que leur oppose le monde adulte. En s’interdisant d’être coercitive à l’égard des mineurs, la société – c’est-à-dire les parents, les maîtres et l’Etat – laisse libre cours à chacune de ces composantes de la violence juvénile.
Le lien entre carence de l’autorité (entendue comme une absence ou une insuffisance de coercition légale) et ensauvagement (pas seulement des mineurs) se manifeste dans d’autres domaines, tous plus ou moins liés à la crise de l’intégration. On pourrait parler de la justice des mineurs (le problème principal, à cet égard, étant non celui de l’excuse de minorité, mais celui de l’effectivité et de la célérité de la sanction, auquel le récent code pénal des mineurs apporte une réponse contre-productive), du faible nombre et de la gestion (aujourd’hui défectueuse) des centres éducatifs fermés, du maintien de l’ordre en général et du contrôle des manifestations sur la voie publique en particulier. Sans oublier le traitement des émeutes urbaines et la conduite à tenir par les forces de police et de gendarmerie en cas de refus d’obtempérer. Et l’ombre qui plane sur tout cela : la politique migratoire (ou plutôt son absence).
Une autre illustration de cette causalité entre défaut de coercition légale et ensauvagement du tissu social vient d’être mise en évidence par le préfet Michel Auboin dans son rapport sur les étrangers extra-communautaires et le logement social en France (Fondation pour l’innovation politique et Observatoire de l’immigration et de la démographie). Le bailleur public, et mieux encore le maire, “doit s’assurer que les locataires vivent en paix, ce qui suppose qu’il ait la capacité d’agir pour faire cesser les troubles graves à l’ordre public (agressions, trafic de drogue, rodéos…) qui naissent au sein de son patrimoine”. Il faut donc remettre en cause le dogme du maintien dans les lieux, notamment en instituant un bail à durée limitée permettant, indépendamment de mesures plus coercitives (expulsions locatives), de ne pas renouveler un bail en cas de mauvais comportement. La recherche de la mixité sociale impose en outre de confier aux maires plutôt qu’aux algorithmes préfectoraux l’attribution des logements sociaux. Remplaçons “bailleur social” par “proviseur” et “révocation du bail du locataire fauteur de troubles” par “renvoi de l’élève fauteur de troubles” : les solutions se valent mutatis mutandis. De même, ne plus s’obliger à recaser dans un établissement scolaire ordinaire un élève renvoyé en raison de son comportement agressif se justifie autant que ne plus attribuer de logement HLM à un locataire incivil.
Faut-il mettre en cause la responsabilité pénale des parents ?
Ce serait non seulement cruel, mais encore inopérant, lorsque les parents sont dépassés par les évènements, ce qui est le cas de ces mères célibataires travaillant loin de leur domicile pour subvenir aux besoins d’une nombreuse nichée abandonnée à elle-même la plupart du temps. Mais il y a des situations où, oui, la famille doit être déclarée responsable parce qu’elle est en effet complice, passive ou active, des agissements de ses enfants. Il en est ainsi lorsqu’elle laisse ses rejetons commettre certains actes tout en ayant conscience de leur caractère délictueux, notamment en matière de trafic de drogue. Il en est ainsi a fortiori lorsqu’elle les y incite par esprit de lucre. Ou lorsqu’elle endoctrine ses enfants en leur inspirant la haine de la France ou de telle ou telle catégorie de Français, voire en les mettant sur le chemin du djihad. En pareilles circonstances, il est à la fois juste et efficace de responsabiliser les parents sur le plan pénal et pas seulement du point de vue de leur responsabilité civile.
A la suite des émeutes urbaines de juin 2023, le garde des sceaux, avait pris une circulaire invitant les parents à exercer leur devoir de surveillance sur la conduite de leurs enfants et leur rappelant non seulement qu’ils peuvent être obligés à indemniser les victimes, mais aussi les risques pénaux qu’ils encourent (selon la circulaire) en application de l’article 227-17 du code pénal. Celui-ci punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende “le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur”, obligations définies par l’article 371-1 du code civil (protéger l’enfant dans “sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement”).
Mais il n’est pas sûr, au regard de ses termes et de la jurisprudence, que l’article 227-17 du code pénal, qui vise le délaissement des enfants par leurs parents, permette de poursuivre les parents à raison des actes criminels ou délictuels de leurs enfants. Le lien causal entre les agissements du mineur et la défaillance parentale serait la plupart du temps difficile à établir. Au demeurant, il ne semble pas que la responsabilité pénale des parents des émeutiers de 2023 ait été beaucoup recherchée et encore moins reconnue.
Aussi convient-il d’expliciter par un texte la responsabilité pénale des parents à raison des actes commis par leurs enfants. Tel était le sens de la proposition de loi “tendant à renforcer la responsabilité pénale des personnes qui exercent l’autorité parentale sur un mineur délinquant” déposée voici une vingtaine d’années par le sénateur centriste Nicolas About. Cette proposition insérait dans le code pénal un article 227-17 bis disposant que “Le fait, pour une personne qui exerce l’autorité parentale sur un mineur, d’avoir laissé ce mineur commettre une infraction pénale, par imprudence, négligence ou manquement grave à ses obligations parentales, est passible des mêmes peines que si elle s’était rendue coupable de complicité”. Mais cette initiative s’est heurtée à un de ces nombreux tabous qui piègent tout débat sur la justice des mineurs.
Le tabou pourrait cette fois être levé si le parti progressiste et le Conseil constitutionnel n’y font pas barrage. Le projet de loi “relatif à la responsabilité parentale et à la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs”, que défendra Eric Dupont Moretti devant le Parlement, sanctionne en effet les parents lorsque leur négligence éducative a conduit leur enfant à commettre plusieurs crimes ou délits.
La peine encourue est de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, sans préjudice d’une peine complémentaire de travail d’intérêt général.
D’autres pays démocratiques, confrontés à la violence des mineurs, ont déjà sauté le pas. C’est le cas des Etats Unis. Ainsi, le code pénal de Californie, Etat progressiste, prévoit un emprisonnement d’un an et une amende de 2.500 $, ou l’imposition d’une période de probation, pour les parents ayant failli à leur devoir en laissant, en connaissance de cause, leur enfant commettre une infraction. Cette défaillance est en effet considérée comme confinant à la complicité ou au défaut grave de surveillance ayant causé aux tiers des dommages corporels ou matériels. L’Etat du Michigan n’est pas en reste : tout récemment (9 avril 2024), la cour criminelle de Pontiac a condamné les deux époux Crumbley à dix à quinze ans de prison, à la suite du quadruple meurtre commis par leur fils, âgé de quinze ans, avec une arme qu’ils lui avaient offerte alors qu’ils connaissaient ses troubles de comportement.
La mise en cause de la responsabilité parentale, au pénal comme au civil, peut donc, dans certaines situations, constituer un élément de réponse à la délinquance des mineurs. Toutefois, compte tenu des caractéristiques actuelles de la violence juvénile, qui sont multifactorielles, il est illusoire d’en faire la panacée que certains voient en elle.
La défaillance de l’autorité explique-t-elle les phénomènes actuels ?
Carence de l’autorité (des parents, des maîtres et de l’Etat) : pour expliquer la montée de la violence chez les mineurs, ce diagnostic est désormais largement partagé. Les événements récents ont décillé beaucoup d’yeux. À Viry-Châtillon, le 18 avril, le Premier ministre fustige la “culture de l’excuse” et reprend son leitmotiv :
“Tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies, défies l’autorité, on t’apprend à la respecter”.
Il y a loin, bien sûr, de ces fortes paroles aux actes et des actes aux résultats. Mais, en attendant, elles marquent une victoire de la lucidité sur le déni. Hier encore, la référence au déficit d’autorité aurait été taxée de fantasme réactionnaire. En 2016, l’actuelle ministre de l’éducation, Nicole Belloubet, raillait “les fariboles sur la restauration de l’autorité ou le port de la blouse”. Il est symptomatique que soit aujourd’hui portée au crédit de Gabriel Attal par la grande majorité de l’opinion une mesure prohibitive – l’interdiction de l’abaya – qui aurait été jugée stigmatisante par tous les bons esprits il y a quelques années. Nous venons de loin.
Toutefois, pour trouver une thérapeutique opérante, il faut aller jusqu’au bout du diagnostic. La nostalgie de l’autorité perdue ne suffira pas à remonter la pente. Pour que l’autorité s’affirme, il faut que la société dote sans réticence son titulaire des moyens effectifs et suffisants (matériels, juridiques, statutaires, psychologiques) d’exercer sa fonction. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et cela donne la mesure de l’effort à accomplir pour restaurer ce qui peut l’être de l’autorité perdue.
La société contemporaine refuse-t-elle au dépositaire de l’autorité les moyens de sa fonction ?
Oui. Prenons le cas du proviseur du lycée Maurice Ravel, à Paris, confronté à l’élève qui refuse de retirer son voile dans l’enceinte de l’établissement. Peut-il, face à ce refus, déclencher des poursuites disciplinaires ? Les circulaires n’évoquent de telles sanctions que d’une plume tremblante, mettant sans cesse en avant la nécessité impérieuse du “dialogue” (avec l’élève, avec les parents). Hier l’élève insolent était consigné et, de surcroît, réprimandé par ses parents. C’était la double peine. Aujourd’hui beaucoup de parents demandent des comptes (lorsqu’ils ne le bousculent pas) au professeur qui ose admonester leur progéniture. Aujourd’hui, une suspension de plusieurs jours pour comportement illicite, agressif ou injurieux impose de réunir un conseil de discipline dont la composition n’est nullement acquise aux responsables scolaires. Dans les quartiers à forte population immigrée, une certaine paranoïa communautaire paralyse les responsables scolaires lorsqu’ils auraient des velléités de sévir.
Et que faire face à une attitude provocatrice caractérisée ? Le proviseur du lycée Maurice Ravel pouvait-il, comme cela aurait paru naturel y a quelques décennies, contraindre physiquement l’élève à ôter son voile ou, à défaut, la saisir par le bras pour la mener à une salle de retenue ou à la porte de l’établissement ? Une telle “contrainte par corps” est ce que le droit administratif classique nomme “privilège d’exécution d’office”. C’est, en théorie, celui de tout détenteur de l’autorité publique confronté à un refus d’obtempérer. Mais il a été implicitement aboli dans les établissements scolaires autant que dans les lieux publics.
Jusque dans les années soixante-dix, les gardiens de square, avec leurs casquettes, leurs houppelandes et leurs sifflets (panoplie des signes visibles et audibles de l’autorité), n’hésitaient pas à agripper un chenapan par l’oreille s’il piétinait une plate bande. Cela ne choquait personne. Aujourd’hui, le gardien de square serait révoqué et poursuivi pénalement s’il osait une telle manifestation d’autorité. Et, aujourd’hui, un policier ou un gendarme qui utilise son arme, même en respectant les conditions d’emploi, sera très souvent poursuivi pour homicide si un drame survient.
Si le proviseur du lycée Maurice Ravel s’était livré au quart de ce dont l’accuse, sur les réseaux sociaux, l’élève voilée, les autorités académiques l’auraient désavoué au motif que le souci de faire respecter la loi ne justifie aucun geste brutal. La doctrine est gravée dans le marbre des bons sentiments humanistes et pédagogistes : il faut toujours privilégier le dialogue sur la coercition lorsque sont en cause des questions aussi délicates que celles intéressant la personnalité et les convictions. Agripper la rebelle voilée par le bras ? Groupes militants et médias crieraient à la maltraitance islamophobe. Dans le contexte non pas multiconfessionnel, mais religieusement homogène, qui est celui de beaucoup de quartiers dont la population est issue du monde musulman (Maghreb, Sahel, Turquie, Caucase, Proche- Orient et Moyen-Orient), une partie significative des élèves verrait une héroïne dans la révoltée et une partie significative des parents, exposés aux discours communautaristes et aux prêches intégristes (l’interdiction du voile est une brimade contre les musulmans), en ferait une martyre. On imagine la suite. Si une simple sommation de respecter la loi a fait pleuvoir des menaces de mort sur le proviseur, le poussant à la démission, on n’ose penser à ce qu’une manifestation d’autorité musclée, banale il y a une cinquantaine d’années, aurait pu provoquer.
Le statut des titulaires de l’autorité doit-il être revu, y compris en dehors du monde enseignant ?
Rétablir l’autorité, c’est vrai au-delà de l’enseignement, suppose que la collectivité s’en remette beaucoup plus amplement qu’aujourd’hui au dépositaire de l’autorité. Et donc remplir celui-ci de la plénitude de ses prérogatives, y compris des plus traditionnelles d’entre elles, tel le “privilège d’exécution d’office”. Sa latitude décisionnelle doit être sensiblement élargie, ce qui impose de se passer de ces encadrements sourcilleux censés interdire l’arbitraire. Quant au risque d’usage abusif du pouvoir délégué, inhérent à toute large délégation, il peut être combattu par un contrôle a posteriori sensible aux difficultés de la fonction.
A l’inverse, refuser de faire confiance au titulaire de l’autorité, refuser de lui déléguer un pouvoir de contrainte, c’est abdiquer l’essence même de l’autorité. Le législateur, comme les tutelles administratives et juridictionnelles, doivent le comprendre.
Comment la société peut-elle aider les professeurs confrontés, au sein même de leurs classes, à l’indiscipline, à la violence ou à la contestation des enseignements ?
Aide-toi et la société t’aidera. La communauté éducative doit pouvoir compter sur la société, mais elle doit d’abord rassembler et employer ses propres forces.
Des cours d’empathie et d’initiation aux valeurs de la République ne rétabliront pas la sérénité lorsqu’elle est sérieusement atteinte. Seule serait opérante une volonté farouche et solidaire de la communauté éducative de ne plus rien laisser passer en matière de violation des règles de la vie scolaire, qu’il s’agisse d’indiscipline, de harcèlement ou d’atteintes à la laïcité.
Ceci implique le pouvoir hiérarchique donné au proviseur ou au principal de se séparer d’un enseignant ou d’un surveillant hostile aux exigences de cette solidarité ; la fluidité de l’information entre professeurs, proviseurs, rectorat et, au-delà, avec tous les acteurs responsables de l’ordre public au sens large (police, justice, services sociaux) ; l’intervention de la police ou de la justice en direction de la famille ou du milieu pour contrer les représailles communautariste, punir les auteurs de discours de haine sur les réseaux sociaux ou pour mettre en cause, le cas échéant, la responsabilité civile ou pénale des parents ; la présence d’assistants d’éducation (terme symptomatiquement substitué à celui de “surveillants” il y a une vingtaine d’années) aptes moralement et physiquement à inspirer du respect aux élèves ; l’exercice par le dirigeant de l’établissement d’un pouvoir disciplinaire autonome allant jusqu’à la radiation de l’élève ; la remise en vigueur des codes de courtoisie passés (se lever à l’entrée du professeur, se mettre en rangs dans la cour avant de pénétrer en classe, vouvoyer le professeur…) ; l’attribution à chaque élève d’une note de conduite, inscrite à son bulletin ; l’uniforme scolaire ; la symbolique patriotique (distribution des prix, Marseillaise, salut aux couleurs…) ; la multiplication des internats et des placements d’office en internat des élèves qui, dans leur propre intérêt, comme dans celui de la collectivité, doivent être soustraits à leur milieu ; la garde des élèves dans les établissements d’enseignement après les heures de cours (comme le souhaite à juste titre Gabriel Attal) ; le transfert des établissements d’enseignement en dehors des cités problématiques ; l’inscription des élèves renvoyés dans des établissements spécialisés.
A quoi il faut ajouter un allègement de la tutelle juridictionnelle sur les décisions quotidiennement prises par les autorités scolaires, décisions qui, jusqu’à une date récente, étaient considérées comme des “actes d’ordre intérieur” échappant au contrôle du juge.
Programme indigeste ? Impossibilité de faire rentrer le dentifrice dans le tube ? Peut-être. Mais sans un big bang de l’autorité, la violence étendra ses quartiers dans l’univers scolaire. Dire qu’il est “trop tard” est un alibi trop commode pour éluder le changement de paradigme qui s’impose. Rattraper tant d’années de négligence, de lâcheté et de complaisance oblige l’école, et la société tout entière, à émettre aujourd’hui un message net et fort de retour à l’ordre. Il est peut-être trop tard, mais le déraillement est certain si nous ne tentons même pas de changer le cours des choses.
N’est-ce pas prôner le retour à un passé scolaire idéalisé ?
Restaurer l’autorité à l’école, c’est en effet reconstruire l’estrade malencontreusement supprimée après 1968. C’est revenir à Jules Ferry : replacer l’enseignant en surplomb, refaire de lui “celui qui institue”.
L’enseignant doit tirer l’élève vers le haut, en faire un être rationnel et un citoyen. Il doit l’intégrer au monde des adultes, le connecter à tout ce que la nation tisse entre nous de commune appartenance, à commencer par ce “riche legs de souvenirs” et cette “volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis” dont parlait Ernest Renan dans “Qu’est-ce qu’une nation ?”. L’enseignant doit transmettre des connaissances, une mémoire et des valeurs, avec ce que cette fonction de transmission implique d’unilatéralisme.
L’enseignant doit redevenir le “maître”, dans les deux sens du terme.
Cela ne doit pas le conduire bien sûr à délaisser la pédagogie ou à négliger le sentiment de l’enfant. Mais ce n’est pas à l’enfant de piloter sa propre éducation.
Pendant le temps éducatif, le monde adulte, en la personne du maître, doit tenir la barre, afin de pouvoir un jour la confier à l’élève devenu adulte. Tenir la barre, c’est faire œuvre de capitaine, et donc conduire, animer et inspirer. Mais aussi, le cas échéant, prévenir ou mâter des mutineries. Tout ne peut reposer sur le charisme personnel de l’enseignant. Aussi l’école doit-elle réapprendre à punir. Outre qu’elle garantit à tous les conditions d’une bonne transmission des connaissances, la sanction a, par elle-même, une vertu éducative sur l’élève fautif. On a trop confondu, pendant des années, autorité et autoritarisme.
S’il y a un domaine où on peut dire, sans gros risque de se tromper, que “c’était mieux avant”, c’est celui de l’éducation publique.
Quelle est la part de l’immigration dans la montée de la violence juvénile ?
L’immigration n’explique pas toute la violence juvénile, mais elle y contribue substantiellement. On le voit bien avec les mineurs isolés étrangers. On l’observe dans les quartiers à forte population immigrée avec le trafic de drogue, les règlements de comptes, le vandalisme, les agressions sexuelles et les rodéos. On l’a constaté lors des émeutes urbaines de 2023, même s’il se trouvait en effet des Kevin et Matteo parmi les casseurs et les pillards.
C’est vrai aussi à l’école. Beaucoup de faits récents de violence survenus dans l’univers scolaire ou sa périphérie ont des connotations ethno-religieuses : enseignants agressés dans les salles de classe pour des propos jugés impies, passages à tabac d’élèves trop bien intégrés, remise en cause véhémente des enseignements et des règles de la vie scolaire. Y sont impliqués non seulement des élèves, mais leurs familles.
Un des traits communs de ces évènements est de révéler combien les cultures d’origine des populations nouvellement établies sur notre sol entretiennent avec l’Etat une relation différente de celle de la population native. Ces cultures d’origine considèrent généralement que l’Etat n’a pas à interférer avec la norme familiale et religieuse. Elles estiment, souvent en toute candeur, que la règle religieuse et communautaire prévaut sur la loi française, laquelle est fréquemment ignorée ou mal comprise par les familles immigrées. Elles récusent pour cette raison le recours à la justice légale et se défient d’institutions nationales qu’elles perçoivent comme mystérieuses ou hostiles.
Qui plus est, contrairement à la société d’accueil, la plupart des cultures d’origine n’ont pas répudié le recours à la violence privée et en sacralisent même certaines formes, que ce soit pour des motifs religieux (guerre sainte, châtiment des blasphémateurs et des apostats) ou pour se conformer à des codes claniques (crimes d’honneur et vendettas). Ajoutons-y la jalousie d’adolescents étouffés par un carcan familial, communautaire et religieux à l’égard de celui (et surtout de celle) qui s’affranchit des interdits tribaux en adoptant les mœurs de la société d’accueil. Cette jalousie semble être à l’origine des agressions subies par Samara à Montpellier et par Shamseddine à Viry-Châtillon. Le crime du “miroir d’eau” à Bordeaux, le 10 avril, pourrait être de la même veine : des musulmans trinquant avec des kouffars à la fin du ramadan ont pu apparaître, aux yeux du jeune Afghan intégriste qui les a poignardés, comme des renégats lui inspirant une haine ambivalente à base de répulsion et d’attirance. Comprenons aussi que le refoulement sexuel des jeunes gens élevés dans un milieu musulman rigoriste, induit par l’inaccessibilité des partenaires féminins (a fortiori parmi les jeunes hommes célibataires qui composent une forte proportion des demandeurs d’asile), est une source de violence, notamment à l’égard des femmes.
Cette violence latente, de nature culturelle, a un effet inhibiteur sur l’exercice de l’autorité à l’école. Le scénario conduisant à l’assassinat de Samuel Paty est dans toutes les têtes. Il s’agit non d’une crainte isolée, mais d’une peur collective et permanente : comme le révèle une enquête du syndicat national des directions de l’Education nationale, un principal de collège ou proviseur du lycée sur quatre a vu l’enseignement dispensé dans son établissement ou les règles de vie de son établissement contestés au nom de l’islam. Dans ce lourd contexte, toute intimidation, devant être prise au sérieux, est susceptible de conduire à l’autocensure.
Par culpabilité post-coloniale, par peur de stigmatiser et d’amalgamer, par paresse, par lâcheté ou par embarras, la République a pratiqué jusqu’ici un irénisme préjudiciable tant à l’équilibre de la société française qu’à la bonne intégration des nouveaux venus. Il faut désormais non plus seulement cesser de pousser la poussière sous le tapis, non plus seulement accompagner psychologiquement nos enseignants, non plus seulement diffuser des guides de vivre ensemble et des vademecum sur la laïcité, mais encore couper les têtes de l’hydre islamiste plus vite qu’elles ne repoussent.
Combat régalien, mais aussi culturel et social. Il faut être intraitable à l’égard des activistes, mais aussi améliorer les conditions de vie et conquérir les cœurs de ceux qu’ils cherchent à rallier. L’école ne pourra redevenir cette fabrique de citoyens qu’évoquait Jean Jaurès dans sa lettre aux instituteurs de 1888 que si elle redevient un ascenseur social et si elle donne un contenu positif et attractif aux idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
La France doit apprendre à se faire aimer de ses nouveaux enfants. Mais il faut, pour cela, qu’elle réapprenne à s’aimer elle-même. C’est ici que le bât blesse. Que peut faire l’éducation nationale si, pour un tiers d’entre eux (comme cela semble être le cas), les jeunes enseignants adhèrent au gauchisme woke, souscrivent à la vulgate décoloniale, dénigrent le récit national et voient dans la laïcité un pavillon de complaisance de la xénophobie ?
En tout état de cause, la nation doit répliquer avec plus de détermination aux provocations de l’islamisme. Il aura fallu attendre quinze ans, entre l’affaire des foulards de Creil de 1989 et la loi de 2004, pour que la République ose interdire le port de signes religieux ostentatoires dans l’enseignement public. Il aura fallu des années de tergiversations et de disputes institutionnelles internes pour qu’elle prohibe l’occultation du visage dans l’espace public. Des délais de réponse aussi longs, de pareils états d’âme, la préparent mal aux batailles à venir.
En quoi un changement de la politique migratoire pourrait-il changer la donne ?
Un demi-million d’étrangers d’origine extra-européenne s’installent en France chaque année à divers titres (arrivées légales, asile, entrées clandestines).
Un afflux de cette ampleur compromet l’intégration de ceux qui s’entassent déjà sur son territoire.
Dans l’état du monde contemporain, avec la conquête du monde musulman par l’islamisme comme phénomène géopolitique durable et l’explosion démographique en Afrique, une immigration massive en provenance d’outre Méditerranée est ingérable. A court terme, elle déborde nos dispositifs d’accueil ; à moyen terme, elle compromet l’assimilation ; à plus long terme, elle expose la société française à de graves déchirements.
Bien sûr, une partie de ce flux s’intégrera, et parfois très bien. Mais notre devoir à l’égard des générations futures est de regarder en face les évidences quantitatives et la prégnance des facteurs culturels. La conduite exemplaire d’un Mamoudou Gossama (ce jeune malien sans papier qui sauva en 2018 un petit garçon suspendu à une fenêtre, en escaladant quatre étages à mains nues) ne doit pas être l’arbre héroïque cachant la forêt des ghettos et des fermentations toxiques dont ils sont le chaudron. Nombre d’enseignants professent aujourd’hui devant des classes composées exclusivement d’enfants de famille musulmane. Il est autrement plus difficile de “faire France” dans ces conditions que lorsque les petits Ali côtoient les petits Alain.
Donner ses chances à l’intégration impose de réduire significativement la pression migratoire. Pour prendre une image triviale, un plombier ne peut déboucher un lavabo s’il n’a pas d’abord fermé le robinet.
Cela suppose des révisions que la bien-pensance jugera, comme à l’accoutumée, “faire le jeu de l’extrême droite”, alors que ce serait lui ôter le monopole de l’expression du sentiment populaire.
Les mesures à prendre sont sans mystère : limitation des visas et du regroupement familial, évaluation sérieuse des capacités d’intégration lors de la première délivrance d’un titre de séjour, suppression de l’automaticité du renouvellement de la carte de résident, simplification de la procédure de reconduite à la frontière pour rendre celle-ci plus effective, pression accrue sur les pays d’origine pour coopérer au rapatriement de leurs ressortissants, expulsion de tout étranger présentant une menace pour l’ordre public, déchéance de nationalité pour les binationaux ayant manifesté leur haine de la France, limitation de l’attractivité sociale de notre pays. En matière d’asile, il nous faut prendre beaucoup mieux en compte le risque qu’incarnent, pour l’ordre public, non seulement ceux qui ont commis ou participé à des actes terroristes, mais également ceux qui adhèrent à l’idéologie qui en constitue le terreau. Il faut imposer, dans tous les cas d’accès à la nationalité, une vérification rigoureuse de l’assimilation. Enfin, il faut instituer un service national obligatoire pour les jeunes des deux sexes de manière à reproduire, sur le plan social et culturel, le brassage que l’ancien service militaire réalisait sur le plan social.
Un tel programme est un Himalaya à gravir, dira-t-on non sans raison.
L’instauration d’un service national obligatoire pose à lui seul une montagne de problèmes logistiques et financiers. Par ailleurs, une politique migratoire aussi ferme que celle évoquée ci-dessus nous mettrait en délicatesse avec la doxa. Elle serait en contradiction avec le lénifiant pacte migratoire européen, en voie de conclusion, qui n’aura pas pour effet, et n’a d’ailleurs pas véritablement pour objet, de réduire l’immigration. Un tel programme nous exposerait à de sérieuses difficultés diplomatiques, à des sanctions européennes et à une campagne dénonçant un virage illibéral de la France.
Et que dire des modifications juridiques ici proposées ? Elles se heurtent aujourd’hui à des obstacles constitutionnels ou conventionnels qui, pour être de nature souvent jurisprudentielle, n’en sont pas moins formidables. Nos cinq cours suprêmes, trois nationales (Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat et Cour de cassation) et deux européennes (Cour de justice de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme), convergent, au titre de leurs divers chefs de compétence et sur divers terrains juridiques, pour entraver toute fermeté des pouvoirs publics en la matière. Au nom d’une vision abstraite et absolutiste des droits de l’homme, les droits de l’immigrant, cet “Autre” magnifié, prévalent sur les intérêts de la collectivité. C’est la revanche d’Antigone sur Créon. On l’a vu, tout récemment encore, avec le Conseil constitutionnel pour la loi immigration et pour l’initiative référendaire (RIP) des parlementaires LR. Ou avec la Cour de justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat pour le refoulement des irréguliers à la frontière franco-italienne. Ou avec la Cour européenne des droits de l’homme pour l’expulsion des islamistes caucasiens et pour le retour en France des femmes de nationalité française parties rejoindre Daech.
Franchir ces impressionnants obstacles est cependant vital pour l’identité, la sécurité et la souveraineté nationales. Il ne faut pas s’interdire de “renverser la table” par des “lits de justice” ou par la résistance aux jurisprudences inacceptables des cours supranationales. Un traité se renégocie ou se dénonce. La Constitution se révise. Il faut rétablir la primauté de la loi nationale lorsque le législateur, en toute conscience et en toute connaissance de cause, entend déroger au traité. Il faut instaurer un “dernier mot parlementaire” contre les jurisprudences incompatibles avec les intérêts supérieurs de la nation.
Le Royaume-Uni compose avec le communautarisme depuis longtemps. Pourquoi la France n’agirait-elle pas de même ?
Le Royaume-Uni compose en effet depuis longtemps avec le communautarisme, sans être épargné pour autant par la violence islamiste. Et ces accommodements produisent des résultats qui n’ont rien de raisonnable : importation du droit coranique en matière de relations familiales, banalisation des accoutrements religieux jusque dans la police, manifestations pro-palestiniennes imposantes scandant des slogans antisémites, impunité des “grooming gangs” (bandes de violeurs d’origine pakistanaise) pour cause de political correctness. Cerise sur le gâteau : un premier ministre écossais islamo-woke qui fait voter une loi réprimant non seulement l’incitation à la haine, mais tout propos, même tenu en privé, susceptible d’être ressenti comme offensant par une minorité. La liberté d’expression menacée sur les terres qui l’ont vu naître : Robert Burns, David Hume, Adam Smith et Thomas Reid doivent se retourner dans leurs tombes. Pendant ce temps, le Danemark réinvente le délit de blasphème. Et, dans les communes bruxelloises à fortes populations turque et marocaine, travaillées par la propagande frériste, les autorités municipales, pour acheter la paix civile et être réélues, se plient à tous les désidératas communautaires. C’est toute l’Europe qui risque de se renier au nom du vivre ensemble. La bigoterie islamo-woke fait régresser l’Occident.
Nous n’en sommes pas arrivés là en France, mais, par endroits, nous glissons sur cette pente. Il faut la remonter. Pour ne pas “éteindre les Lumières”, il ne faut transiger avec le communautarisme ni à l’école, ni dans les autres services publics, ni dans l’espace public. Aucune société ne peut vivre sans un ordre symbolique. Nous devons réapprendre à faire respecter le nôtre. Y compris dans nos entreprises et nos associations. Il faut soutenir celles d’entre elles qui prennent des règlements intérieurs pour soumettre leur personnel à des obligations de neutralité. A cet effet, il faut donner sa pleine portée à l’article L. 1321-2-1 introduit dans le Code du travail par la loi El Khomri (“Le règlement intérieur (de l’entreprise) peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché”), sans le limiter aux personnels en rapport direct avec le public (ce qui est la tendance du juge judiciaire, comme l’illustre l’arrêt Camaïeu du 14 avril 2021 de la chambre sociale de la Cour de cassation).
La bonne nouvelle est que les imams éclairés existent, et que leur apport théologique pourrait inspirer un islam de France compatible avec la laïcité à la française, laquelle a une dimension non seulement juridique mais aussi coutumière. La mauvaise nouvelle est que les imams éclairés n’ont guère d’influence sur toute une partie des jeunes issus de l’immigration. Ceux-ci importent des idées théologiques du moyen âge parce qu’ils sont dans une logique d’affrontement manichéen avec la société française et qu’ils font de l’islam guerrier et de la lecture littérale du Coran leur oriflamme identitaire. Cette réalité est niée par les idiots utiles de l’islamisme, mais les imams éclairés, eux, en ont douloureusement conscience.
Que faire, en résumé, pour ne pas injurier l’avenir ?
Face à la montée de la violence en général et à celle des mineurs en particulier, face au fanatisme qui séduit si souvent la jeunesse, nous ne pouvons plus nous bercer de mots et nous contenter de demi-mesures. Il nous faut un “choc d’autorité”. Il nous faut aussi revoir de fond en comble plusieurs de nos politiques publiques et non des moindres : logement social, politique de la ville, immigration, sécurité intérieure (s’agissant non seulement de la lutte contre le terrorisme, mais encore de la prévention et de la répression de ce “djihadisme d’atmosphère” dont parle Gilles Kepel). Il nous faut enfin rééquilibrer nos mécanismes institutionnels dans le sens de la restauration de la souveraineté nationale et populaire, qu’il s’agisse des relations entre droit national et droit européen, de la place de la justice ou de la séparation des pouvoirs.
La contention de la violence est au fondement du pacte social. Si, en cette matière, cruciale pour l’avenir du pays, nous renonçons aux moyens de nos fins, il ne faudra plus larmoyer sur l’état de décivilisation dans lequel il s’enfonce.
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A propos de l’auteur
Jean-Éric Schoettl est un haut fonctionnaire français et constitutionnaliste de renom, principalement connu pour avoir été le secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007.
Jean-Éric Schoettl est l’auteur de La Démocratie au péril des prétoires (Gallimard, « Le Débat », 2022) et publie régulièrement des articles dans la presse.
Enfin, il est Commandeur de la Légion d’honneur.