Au procès Paty, le terrorisme islamiste et ses « dégâts à fragmentation »

Au procès Paty, le terrorisme islamiste et ses « dégâts à fragmentation »
14 décembre 2024 Olivier Debeney

Lafargue Raphael/ABACA

« La charia a frappé un professeur d’histoire-géographie simplement parce qu’il enseignait à nos enfants, à tous nos enfants, quelles sont nos valeurs », a plaidé, vendredi, Me de Montbrial, l’avocat de Mickaëlle Paty, l’une des sœurs de l’enseignant.

RÉCIT – Les avocats des parties civiles ont souligné, vendredi, la douleur et la peur durables des victimes, familles, enseignants et policiers qui, dans cet attentat, ont été happés par l’horreur.


« L’islamisme n’est pas un séparatisme, c’est un processus de conquête visant notamment le pilier numéro un de nos institutions démocratiques : l’école. » Vendredi, jour des plaidoiries des parties civiles au procès de l’assassinat de Samuel Paty, Me de Montbrial a mis les pieds dans le plat judiciaire. L’avocat de Mickaëlle Paty, l’une des sœurs de l’enseignant, a ensuite rappelé qu’en république « l’État de droit a le devoir de se défendre et qu’il doit aussi se perpétuer. C’est le rôle de l’école et c’est pour cela que les islamistes la détestent. »
Les plaidoiries des parties civiles sont toujours un moment particulier dans un procès terroriste. L’exercice en agace certains, et sur tous les bancs. Leur parole serait au mieux attendue, ennuyeuse et larmoyante, au pire redondante avec l’accusation. Le jugement est sévère et pour le moins réducteur. Car qui sont les victimes sinon des êtres happés un jour par le terrorisme ? Les plaidoiries prennent alors un tout autre sens : si, dans la dramaturgie judiciaire, l’accusation représente la société, les parties civiles, certes par l’intermédiaire de leurs avocats, font résonner la parole du citoyen ou du futur citoyen. Celle, dans le cas d’espèce, de l’homme, de la femme, de l’enfant soudain confrontés au fanatisme islamiste. Et à ce titre ils représentent aussi l’ensemble d’une population française qui, demain, pourrait aussi se retrouver devant ce fléau.

« Vive la soumission »

Cette parole prend une double forme, de raison et d’émotion, qui a trouvé son écho dans les propos entendus vendredi. Comme l’a martelé Me Ragot, qui représente avec Me de Montbrial Mickaëlle Paty, un policier municipal et la FENVAC, les parties civiles veulent « d’abord défendre leur droit de cité et leur conviction ». Cette conviction est des plus claires depuis le début du procès : Samuel Paty est mort non pour avoir discriminé des musulmans mais parce qu’il aurait insulté le prophète et parce qu’on l’a désigné comme une cible. « La charia, assène Me de Montbrial, a frappé un professeur d’histoire-géographie simplement parce qu’il enseignait à nos enfants, à tous nos enfants, quelles sont nos valeurs. »

Quelques heures plus tôt, Me Edwige, avocate de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), résumait le leitmotiv des islamistes : « A bas l’éducation, vive la soumission » et expliquait que cet assassinat atroce d’un enseignant était « une chute vertigineuse des Lumières sur le bitume de l’obscurantisme ».
Vendredi, le public, dont des enseignants et anciens enseignants, a aussi entendu l’autre voix des victimes. Celle de la douleur, de la peur, des larmes. Car, pour reprendre la formule de Me de Montbrial, un attentat fait « des dégâts à fragmentation ». On a ainsi entendu Mes Parpex, Guillet et Liénard évoquer ces dégâts chez les policiers municipaux et nationaux primo-intervenants. Avec cette policière toujours très fragile qui, le 16 octobre 2020, a croisé le regard « de Samuel ». Ou avec ce policier qui, après avoir été confronté à l’horreur, se souvient des appels reçus au commissariat : « On va venger notre frère tchétchène. » À chaque fois la peur, la culpabilité…

« RIP le terroriste »

Même écho chez Me Casubolo Ferro représentant seize anciens collègues de Samuel Paty (enseignants, personnel administratif…). L’avocat se fait leur porte-parole : « Non Monsieur Paty, vos collègues ne vous ont pas abandonné, ils ont fait ce qu’ils ont pu. » Là encore, la peur, là encore, la culpabilité. Pour ces enseignants, il y eut l’angoisse d’avant l’attentat puis l’horreur du 16 octobre. Mais aussi le choc de la rentrée. Avec des élèves, détaille l’avocat, dont « la majorité était bouleversée. Mais aussi avec ceux qui avaient jeté des regards haineux (sur le professeur, NDLR), qui l’insultaient. Ceux qui continuaient à regarder et à s’envoyer la photo (de la tête) ». Le jour de la rentrée, un élève s’est « esclaffé » en assurant que la photo « ne l’avait pas choqué ». Un autre, en sixième, a écrit : « RIP le terroriste »…
Il revenait bien sûr aux avocats des Paty de faire la synthèse entre la raison et l’émotion. Me Le Roy, pour les parents et l’une des sœurs de Samuel Paty, rappelle que, quand en pleine tourmente l’enseignant s’est vu proposer de rentrer chez lui, il a répondu : « Ce serait reculer que de rentrer chez moi. » « Il a refusé d’éteindre la lumière de sa classe, poursuit l’avocate, (les islamistes) voulaient tuer cette lumière et ils ont fait entrer le terrorisme à l’école. »
Un crime suscitant « une indignation éternelle », espère Me Le Roy. Un cauchemar que vivent aussi l’ex-compagne et le fils de l’enseignant, représentés par Me Szpiner, qui a pris la parole en fin d’après-midi. On se souvient encore du témoignage de la mère expliquant que les gestes du quotidien, comme celui de placer des couteaux à table, étaient devenus difficiles. En conclusion de cette journée citoyenne, et dans l’attente du réquisitoire et des plaidoiries de la défense, on se souviendra de cette phrase de Mickaëlle Paty, relayée par Me de Montbrial et s’adressant aux institutions, dont la justice : « Ont-ils compris ce qui s’est passé (le 16 octobre 2020) ? »

L’article du Figaro