Allemagne, PPE, ProtectEU : l’Europe renforce ses frontières et sa sécurité

Allemagne, PPE, ProtectEU : l’Europe renforce ses frontières et sa sécurité
11 avril 2025 Olivier Debeney

Allemagne, PPE et ProtectEU : nouvelles approches pour la migration et la sécurité en Europe

L’Allemagne présente les résultats de ses contrôles aux frontières, le PPE détaille son plan pour gérer la migration, et la Commission européenne introduit la stratégie ProtectEU pour renforcer la sécurité intérieure. Ces développements reflètent des efforts concertés pour répondre aux enjeux migratoires et sécuritaires actuels en Europe.
Par Aurélien Jean

L’Allemagne se félicite de sa nouvelle approche en matière de contrôles aux frontières

Alors que le pays vit toujours au rythme des négociations entre CDU et SPD afin d’aboutir à un gouvernement à la suite des élections législatives anticipées du 23 février dernier, la ministre de l’intérieur sortante a présenté le bilan de sa politique migratoire en conférence de presse.

La sociale-démocrate Nancy Faeser attribue la baisse du nombre de demandes d’asile au rétablissement des contrôles aux frontières. Dans le détail, ce chiffre a diminué de 34% entre 2023 et 2024, pour atteindre 213 000 demandes. Pour 2024, la baisse est même de 35% en comparaison de l’année dernière. En parallèle, les douanes ont refusé l’accès au territoire allemand à 50 000 personnes et procédé à l’arrestation d’environ 2 000 passeurs. La ministre s’est satisfaite de ces chiffres, les plus faibles depuis la sortie de la période Covid.

Pour rappel, en octobre 2023, Berlin avait réintroduit les contrôles aux frontières polonaises, tchèques et suisses avant de les élargir au reste des pays voisins en septembre dernier. Cette décision a été présentée comme une exception aux règles de libre circulation régissant les pays membres de l’espace Schengen – qui abolissent en principe ce type de contrôles sauf situation exceptionnelle (comme la France l’a fait valoir suite aux attentats de 2015). La décision allemande était motivée par des critiques récurrentes sur la politique de la coalition de centre-gauche alors au pouvoir, et ce dans la foulée de plusieurs attaques au couteau, notamment à Solingen. Dans plusieurs cas, des demandeurs d’asile avaient été impliqués.

Le prochain gouvernement prévoit de maintenir un ton ferme concernant la politique migratoire, en autorisant la police aux frontières à détenir des migrants devant être expulsés, en agrandissant les centres de détention et en supprimant le regroupement familial pour les demandeurs d’asile. Peu avant la conférence de Mme Faeser, le président de l’agence fédérale pour l’immigration et l’asile avait tout simplement proposé… la suppression du droit individuel à l’asile, provoquant un tollé.

Le PPE précise son approche en matière migratoire

Le Parti Populaire Européen (PPE) compte 188 sièges sur 720 au Parlement européen, et est de ce fait la principale force politique dans l’hémicycle. Il rassemble notamment les Républicains de François-Xavier Bellamy ou la CDU/CSU allemande de Manfred Weber. Il est aussi l’un des grands vainqueurs des élections de 2024 ayant conduit à un net virage à droite – rendant possible une coalition théorique dite « Venezuela » combinant droite, conservateurs et extrême-droite en lieu et place de la traditionnelle alliance droite-centre-sociaux-démocrates-écologistes. Autant dire que sa position sur des thématiques-phares de la nouvelle mandature, comme la migration, sera cruciale pour le devenir des textes présentés.

Dans cette optique, une approche en 9 points a été rendue publique. Intituler « maîtriser la migration : une approche ferme, équitable et tournée vers l’avenir », elle vise à stopper la migration irrégulière afin de ne pas surcharger le système d’accueil et pouvoir ainsi mieux intégrer les migrants légaux. Fruit de différentes visions nationales réunies au sein du PPE, elles combine plusieurs priorités : renforcement des frontières extérieures, protection de l’espace Schengen, lutte intensive contre les passeurs et détermination à contrer l’instrumentalisation des migrants comme armes de guerre hybride. Ce dernier point renvoie à la situation vécue par la Pologne et les pays Baltes, qui subissent une pression migratoire orchestrée par la Russie et la Biélorussie en marge du conflit ukrainien.

Le PPE se félicite aussi de la baisse du nombre d’entrées irrégulières en Europe observée en 2024, et appelle à renforcer le mouvement via une meilleure effectivité des retours forcés et un renforcement du rôle de Frontex pour permettre sa participation aux retours vers les pays tiers. La réduction de la charge administrative (délais, procédures, effets non suspensifs…) fait aussi partie du programme tout comme la surveillance des frontières au moyen de technologies comme l’IA, les drones ou les systèmes biométriques. Se félicitant des premiers résultats en la matière, la poursuite des coopérations avec les pays tiers est aussi envisagée, au besoin en utilisant les armes de l’aide au développement et des visas. Le PPE veut, en outre, solidifier les politiques d’intégration en ce qui concerne l’immigration légale et l’attraction des talents.

Enfin, le parti reconnait que l’Europe doit changer d’approche, en passant de la « sécurité aux frontières » à la « défense des frontières » et en y allouant des ressources suffisantes dans le prochain budget pluriannuel (MFF).

La Cour de Justice de l’UE (CJUE) se prononce sur la remise au Royaume-Uni d’un individu sous mandat d’arrêt

Le 3 avril dernier, la Cour de Luxembourg a statué sur la possibilité d’extrader un individu faisant l’objet d’un mandat d’arrêt vers le Royaume-Uni (en l’espèce, une personne soupçonnée de terrorisme en Irlande du Nord). La question était de savoir si cela était possible, attendu le durcissement des règles de libération conditionnelle intervenu sur le territoire britannique après la commission des faits en cause. Un détenu doit désormais purger les deux tiers de la peine avant de pourvoir espérer bénéficier du dispositif, contre une libération automatique dès la moitié de la peine effectuée dans le système précédent.

La Cour, en Grande chambre (arrêt C-743/24 Alchaster II), a estimé que l’extradition était possible et ne violait pas la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE et, notamment, qu’elle ne contrevenait pas à l’interdiction d’infliger rétroactivement des peines plus fortes que celles applicables au moment de l’infraction. Elle estime dans son raisonnement qu’il faut séparer les notions de « peine » et « d’exécution » de la peine. En outre, le régime britannique continue de prévoir une possibilité de libération conditionnelle et ne conduit pas à un prolongement de la durée totale de détention.

La stratégie ProtectEU dévoilée ou comment la Commission compte revenir au centre du jeu sur la sécurité intérieure

Annoncée à Strasbourg fin mars, cette nouvelle stratégie s’inscrit dans la droite lignée des précédentes initiatives en matière de lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée. Elle reflète aussi les évolutions politiques à l’œuvre depuis déjà plusieurs mois – et singulièrement suite aux dernières élections européennes ayant conduit à un net virage à droite.

ProtectEU affiche de larges ambitions, attendu entre autres le nombre consistant de domaines d’action visés. Sans prétendre à l’exhaustivité, citons : la lutte contre le narcotrafic, la protection des victimes, le renforcement des moyens européens, l’amélioration significative de la coopération entre les autorités nationales (notamment en matière de renseignement), une approche plus efficace du problème de la cybercriminalité ou encore une vision renouvelée de la coopération internationale (avec, sur ce point, une refonte de la directive sur les visas).

De manière concrète, Frontex verra ses moyens humains augmentés à 30 000 agents (contre initialement 10 000 prévus pour 2027). Eurojust se verra aussi mieux dotée en moyens humains et matériels, tout comme Europol ; les deux agences basées à La Haye (Pays-Bas) devant être plus opérationnelles et appuyer plus efficacement les Etats-membres (EM).

Néanmoins, aucun délai n’a été fourni, si ce n’est que les textes seront présentés entre 2025 et 2026. Cela illustre toutes les limites du modèle européen des « stratégies » et autres « plans d’action ». Reposant intrinsèquement sur le bon vouloir des EM sur un sujet dans lequel l’UE n’intervient qu’en appui la Commission ne peut se substituer aux efforts nationaux en matière de coordination. Reste aussi à voir comment tripler les effectifs et, surtout, comment financer ces mesures alors que la négociation du prochain budget européen va commencer et que les autres priorités brûlantes ne manquent pas entre agriculture, industrie et, bien sûr, défense.


Sources

Euractiv, 01/04/2025, “La ministre allemande de l’Intérieur justifie la baisse de l’immigration par les contrôles aux frontières”

EPP Group, 03/04/2025, “Prise de position du groupe PPE sur l’exploitation des migrations”

Agence Europe, 04/04/2025, “La Cour de justice de l’UE se prononce sur les conditions de remise au Royaume-Uni d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt”