La Maison du barreau a accueilli récemment entre ses murs une conférence de l’UJA intitulée « Avocat(e)s : Remparts des libertés » consacrée au rôle de ces chevaliers en robes noires dans la protection des libertés publiques. L’occasion de voir s’entrechoquer de nombreux témoignages d’avocats acteurs en la matière et de débattre de l’état d’urgence. Une « indispensable matinée » dixit la vice-bâtonnière Dominique Attias.
Les avocats présents, dans la salle comme à la chaire, sont venus discuter de l’état d’urgence, « un vaste débat », souligne Aminata Niakaté, présidente de l’Union des jeunes avocats (UJA) de Paris. Un régime qui s’apprête peut-être à faire son entrée dans la Constitution.
Plaidoyer contre la prorogation de l’état d’urgence
La vice-bâtonnière, Dominique Attias, soucieuse, a rappelé que si l’Ordre a évidemment condamné les actes de terrorisme, il n’en demeure pas moins attentif aux « dérives inacceptables de l’Etat ». Sous prétexte de lutter contre le terrorisme, des voix s’élèvent de toutes parts afin de voter des lois d’exception qui mettent tout un chacun sous surveillance. Celle-ci a tenu à rappeler la position du Conseil national des barreaux (CNB) sur la profession d’avocat qui reste le garant des libertés individuelles et du secret professionnel, une composante fondamentale de la démocratie et de l’Etat de droit. « Interlocuteurs et interlocutrices privilégiés des Pouvoirs publics, nous avons la possibilité, pour ne pas dire le devoir, de nous insurger dès que cette parole est muselée. » Le barreau de Paris est fier de pouvoir dire qu’il est intervenu auprès des politiques chaque fois que les libertés fondamentales ont été menacées. « Comment accepter que le droit du sol soit remis en cause ? qu’il soit porté atteinte à la liberté d’expression ou à celle d’aller et venir ? », assène Dominique Attias, prête à jouter contre ces dérives sécuritaires.
« Il nous appartient de prôner l’affirmation d’une société libre et démocratique, au sein de laquelle toutes et tous doivent vivre en harmonie à chances égales. Y a du boulot ! ». C’est d’ailleurs pour cela que le bâtonnier Frédéric Sicard souhaite faire inscrire dans la Constitution le statut d’indépendance et de liberté de l’avocat, « de nature à faire de nous tous des remparts de liberté ».
Dominique Attias, vice-batonnière, au pupitre
Nicolas Gardères, responsable de la commission Libertés de l’UJA de Paris, a pris le relais en donnant la parole à neuf de ses confrères puis en modérant les débats avec la salle. Et quels débats ! Les échanges ont été nourris et parfois agités. Il en ressort que l’avocat est « un rempart », « un militant », « un chevalier bien souvent seul » pour protéger notre Etat de droit. Mais surtout, que l’institution judiciaire est « en situation de déliquescence », et nos libertés « mises à mal » sous prétexte d’assurer notre sécurité.
Pourtant, certains avaient compris, notamment avec l’incroyable mobilisation citoyenne du dimanche 11 janvier 2015, que les Français ne souhaitent pas changer la société ouverte dans laquelle ils vivent, confie Martin Pradel. L’ancien Secrétaire de la Conférence, qui se qualifie d’avocat militant, membre du groupe d’action judiciaire de la FIDH, directeur des droits de l’Homme de l’Union internationale des avocats, avait participé au concours de la Conférence pour se consacrer à la protection des libertés à l’international, sous l’impulsion du bâtonnat de Christian Charrière Bournazel. S’il avoue que la défense des libertés n’est pas rentable, il revêt tout de même son armure de temps à autre, pour défendre des terroristes notamment.
Tout comme Anne-Sophie Laguens, ancienne Secrétaire de la Conférence, qui dénonce l’effet d’annonce politique de la déchéance de nationalité, mesure « bidon, car la plupart des terroristes sont franco-français ». Le vrai débat, selon elle, est de savoir quoi faire de ces terroristes après la prison. Il faut donc mettre des moyens pour les déradicaliser.
« L’urgence est partout aujourd’hui », dénonce Stéphane Brabant, avocat responsable du groupe Afrique du cabinet Herbert Smith Freehills, co-responsable du groupe RSE et Droits de l’Homme du cabinet, membre du comité scientifique de Transparency international France et co-chairman du groupe de travail RSE de l’International bar association. « Bien sûr il faut que la sécurité soit préservée, mais pas aux dépens de la liberté », s’exclame-t-il. Tous les avocats présents semblent d’accord. Stéphane Brabant développe un point de vue intéressant selon lequel si le rôle de l’état est important, celui des entreprises « qui doivent prendre leurs responsabilités », l’est tout autant. Celles-ci ne devraient pas uniquement se contenter de payer l’impôt, elles doivent aussi veiller au respect des droits de l’Homme. Aujourd’hui, les sociétés font face à de nouveaux juges et de nouvelles sanctions : celles des ONG, des arbitres, des clients…ce qui réduit considérablement leur bouclier.
Stéphane Brabant s’interroge : Quel est le sens du droit aujourd’hui pour la population française ? « C’est terrifiant de voir comme les gens sont perdus. » Pourquoi le chef de l’état est-il en contradiction avec sa ministre de la Justice? Pourquoi passer du juge judiciaire au juge administratif inquiète alors que ces juges sont les garants de nos libertés ? Où est le droit qui va faire que les justiciables se sentent protégés ?
Thibault de Montbrial, le « bad boy fréquentable » dixit Nicolas Garderes, avocat qui écrit des articles avec le juge Trévidic et a créé le Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, a fait dissonance. Non pas sur le fond de protection du système démocratique, mais sur la forme, car il souhaite que des lois et des actes de violence légitimes aient lieu. Son discours ultra-pessimiste a inquiété l’auditoire. Fer de lance d’une politique sécuritaire, il appelle à « un changement de psychologie » face à la guerre contre les terroristes, parce que nous vivons dans « une société qui a perdu la notion de se défendre ». Il valide les paroles du Procureur Général disant que « notre démocratie n’est pas prête pour ce qui nous arrive ».
Emmanuel Daoud, membre du conseil de l’ordre ayant rédigé un rapport sur l’état d’urgence, est très inquiet. « Sur le plan symbolique, le message porté à travers le monde est désastreux : la France, patrie des droits de l’homme, demande la suspension de l’application pleine et entière de la CEDH… Quelle défaite ! », propos tenus sur son blog intitulé « Oh my code ! », qu’il réitère devant ses confrères.
D’autres avocats soulèvent le problème du manque de moyens financiers et humains dans cette lutte. Eric Bernard, secrétaire général de l’Alliance des avocats pour les droits de l’Homme, confirme que l’Etat n’a plus assez de moyens financiers pour agir contre le terrorisme et faire respecter les libertés fondamentales. « Notre Etat de droit a failli », déplore-t-il. Thibault de Montbrial estime qu’il faudrait au minimum doubler le budget du ministère de la Justice, doubler le nombre de magistrats antiterroristes et recruter massivement des OPJ. « Malheureusement, ce n’est pas envisageable car nous sommes au bord d’une crise économique. » Ce dernier rappelle que l’état d’urgence est « un régime d’exception qu’il ne faut absolument pas pérenniser ».
Tewfik Boouzenoune confirme en s’érigeant contre le projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence « car il écarte les avocats et les droits ». Toutefois, ce dernier estime que la France a une des législations les plus abouties concernant la lutte contre le terrorisme et ne souhaite pas qu’un régime sécuritaire s’instaure.
Richard Sedillot, vice-président de la commission Affaires européennes et internationales du CNB, dénonce le fait que la loi est prise uniquement pour rassurer la population. Il faudrait en réalité lutter contre les paradis fiscaux, car c’est avec l’argent que le terrorisme est puissant, souligne ce dernier.
Le défi se situe ainsi dans la réorganisation de notre droit pour combattre le terrorisme, sans renier les droits de l’Homme. Ce n’est pas une mince affaire…
Avocat pénaliste : un véritable sacerdoce
La présidente de l’Observatoire international des prisons (OIP), Delphine Boesel, avocate depuis 16 ans, admet que le droit pénitentiaire ou de l’application des peines n’est pas très rentable, « je vivote ». Pour autant, celle-ci trouve ça essentiel que l’avocat porte la voix de ses clients sur ce qui ne va pas dans le fonctionnement d’une institution.
« Nous sommes tous militants lorsque nous sommes avocats pénalistes », s’exclame Tewfik Bouzenoune. L’avocat de nombreuses ONG, dont le STRASS et ANTICOR, défend son rôle de plaidoyer et de lobbyiste car trouve intéressant de lier une pratique contentieuse à une pratique politique. « Notre barreau doit s’enorgueillir de pouvoir influer sur la rédaction de la loi. » Eric Bernard, le seul affairiste et non pénaliste du panel, secrétaire général de l’Alliance des avocats pour les Droits de l’Homme, est fier de faire « du lobbying acharné ». L’avocat est souvent seul à agir auprès des politiques dans la défense des droits fondamentaux selon lui.
Richard Sedillot, administrateur de l’association Ensemble Contre la Peine de Mort, a une expérience notable des dossiers qui remontent en haut lieu (Rwanda, Mauritanie, Serge Atlaoui…). Celui qui a plaidé deux dossiers de peine de mort, « des moments très forts », sait bien que l’avocat est un porte-parole majeur des droits de l’Homme.
Anne-Sophie Laguens estime quant à elle que l’avocat pénaliste « lutte contre l’automaticité des peines et contre le ‘bon sens’ de certains ».
Emmanuel Daoud a, quant à lui, abordé le risque « grave » de conflits d’intérêts lorsqu’un pénaliste fait du pro bono. « Notre déontologie est là pour nous inciter à prendre les bonnes décisions. » Il rappelle aussi aux jeunes avocats dans la salle qu’on ne peut pas vivre du pro bono en France, et qu’il faut donc accepter de prendre des dossiers lucratifs afin de pouvoir consacrer 10 % de son activité à la défense des droits de l’Homme.
Une inquiétude palpable chez les avocats
Lors des échanges avec la salle en fin de conférence, l’inquiétude est palpable dans l’auditoire. Entre les jeunes avocats qui souhaitent participer à la défense des droits mais ne savent absolument pas comment faire, les plus avertis qui s’inquiètent de la déliquescence de l’Etat de droit français, et ceux qui savent que le parquet antiterroriste est sous l’eau, l’ambiance est lourde.
Les questions et interventions sont pesantes. Les jeunes ont l’air assez désemparés face à une pratique du métier qu’ils ont fantasmé et qu’ils ne peuvent pas véritablement exercer, par manque de moyens financiers. Emmanuel Daoud a répondu à cette sorte d’« appel au secours », en invitant les plus jeunes à s’engager auprès d’associations, avant d’annoncer qu’un pôle de l’ordre sur la responsabilité sociétale de l’avocat s’ouvrirait prochainement.
Beaucoup d’avocats se demandent quels sont les moyens de la France pour lutter efficacement contre le terrorisme et comment rationaliser notre économie.
D’autres s’inquiètent du recul des droits et libertés pour certaines personnes comme les migrants et les femmes. Ainsi, Claudette Eleini, éminente avocate en défense des droits des femmes, est revenue sur les événements ayant eu lieu à Cologne et d’autres métropoles lors de la Saint Sylvestre qui l’ont profondément choqué. « La femme est et reste le dernier maillon dans la chaîne des opprimés. »
Le débat a fini par prendre un virage davantage politique, avec des dérapages et amalgames entre réfugiés, migrants, violeurs et terroristes. Heureusement, la majorité d’avocats présents s’est soulevée face à de tels amalgames. Le barreau semble à l’image de notre société…