“La durée de la menace terroriste, que chacun s’accorde à évaluer en années, impose de repenser notre sécurité et d’intégrer dans notre réflexion un rôle accru de la sécurité privée, notamment une sécurité privée armée.” C’est ce qu’estime Thibault de Montbrial, dans une interview à AEF. “Il faut créer une catégorie distincte d’agent privé armé”, plaide l’avocat au barreau de Paris, également président d’une association, le Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (lire sur AEF). “Ces agents pourraient s’acquitter de deux types de missions, d’une part la protection de périmètre et d’autre part la fonction d’accompagnement et de protection des personnes.” Thibault de Montbrial a publié, en juin 2015, “Le sursaut ou le chaos” chez Plon (photo ci-contre) (lire sur AEF).
AEF : Quel est votre regard sur les réflexions en cours en vue de créer un nouveau statut d’agent de sécurité renforcé armé ?
Thibault de Montbrial : Tout d’abord, il faut faire un constat lié au contexte terroriste. Il y a aujourd’hui une unanimité à considérer que les services régaliens ne sont pas en mesure d’assurer de façon satisfaisante, au regard des problèmes d’effectifs ou d’entraînement, une sécurité optimale sur tous les endroits sensibles sur le territoire. La durée de la menace, que chacun s’accorde à évaluer en années, impose de repenser notre sécurité et intégrer dans notre réflexion un rôle accru de la sécurité privée, notamment une sécurité privée armée.
Un premier pas a été franchi avec Charlie hebdo, protégé par une société privée armée, LPN Group (lire sur AEF). Mais il y a également les sites industriels Seveso : aujourd’hui, les agents qui sécurisent ces périmètres ne sont pas armés, ce qui rend ces sites hautement vulnérables à une attaque en force avec des conséquences désastreuses. Un procureur m’a ainsi confié qu’un attentat sur un site sensible de son ressort pourrait aboutir, à peu de coûts, à la mort de 50 000 personnes en fonction de la direction du vent. L’État ne peut pas être partout tout le temps. Il faut permettre aux acteurs économiques privés de se protéger, à leurs frais, soit en embauchant des agents dévolus à ces tâches de sécurité, soit en ayant recours à des sociétés spécialisées. Chacun doit prendre sa part de charge pour sa sécurité.
AEF : Les sociétés privées de sécurité sont-elles prêtes à armer leurs agents ?
Thibault de Montbrial : C’est une interrogation cruciale : il n’est évidemment pas questiond’envisager, sans aucun critère, d’autoriser toutes les sociétés de sécurité privée à armer leurs agents. Il faut ainsi créer une catégorie distincte d’agent privé armé. Ces agents pourraient s’acquitter de deux types de missions, d’une part la protection de périmètre, ce qui existe déjà avecCharlie hebdo, et d’autre part la fonction d’accompagnement et de protection des personnes. Dans une circulaire récente, le directeur général de la police nationale Jean-Marc Falcone souligne l’augmentation significative de personnes directement ou indirectement menacées (lire sur AEF). Là encore, il n’est pas incongru d’imaginer que certaines personnes puissent organiser elles-mêmes leur sécurité, avec l’accord de l’État, à leurs frais, par l’emploi d’agents armés. Je pense par exemple aux grands patrons d’industrie, aux chefs d’entreprises sensibles.
Mais il faut que tout cela puisse être contrôlé par l’État, avec des critères. Dans le même temps, il faut un pragmatisme dans l’élaboration de ces critères. J’ai suivi le dossier de LPN Group pourCharlie hebdo, et nous avons vu concrètement une impréparation totale de l’administration à cette nouvelle donne. Ce n’est pas un reproche : ce n’était jamais arrivé ! Il a été compliqué de déterminer à qui les armes devaient être attribuées, de savoir si c’était une mission définie par un périmètre avec une interdiction de dépasser une limite spatiale… Il a fallu défricher et le défrichage n’est pas fini. Il faut pérenniser tout cela, avec peut-être des textes réglementaires.
Il y a enfin une dimension de formation technique. C’est un nouveau marché qui s’adresse avant tout de façon assez naturelle aux anciens des services de l’État – police, armée, gendarmerie — et qui va créer des emplois. Ce marché peut également être ouvert à des personnes qui n’ont jamais servi sous un uniforme, mais avec une formation qui soit validée. Je ne pense pas qu’il s’agisse de formations très complexes : il y a aujourd’hui des associations, dont l’Enit (École nationale d’instruction de tir), qui peuvent former des agents à l’utilisation d’une arme. Il existe donc des solutions de formation qui peuvent être externalisées, mais il faut aussi une formation juridique.
J’ai ainsi créé, à la fin 2015, la première formation juridique à la légitime défense opérationnelle, “survivre et rester libre”. Cette formation a vocation à parler de la légitime défense de façon extrêmement concrète, avec des mises en situation simulées et traduites en jurisprudence. Dans la formation des sociétés privées à venir, il faut d’évidence une dimension juridique, mais celle-ci doit être adaptée et opérationnelle. Vous ne pouvez pas faire un cours de droit magistral pur. J’ai ainsi formé les équipes de LPN Group, et quelques sociétés sont également intéressées par la question de la légitime défense, hors arme à feu, la problématique restant la même. Aujourd’hui, il y a une augmentation de la violence, notamment par arme à feu, et chacun en est conscient.
AEF : Le transport de fonds, Charlie hebdo : l’armement privé est déjà possible. Faut-il alors vraiment de nouveaux textes réglementaires ?
Thibault de Montbrial : Les transporteurs de fonds ont des textes spécifiques, tandis que Charlie hebdo a bénéficié d’une décision administrative, mais nous sommes plus dans le pragmatisme que dans le droit. Il faut organiser tout cela mais sans s’enfermer dans un métier. Cela peut être à la fois de la protection de sites ou la protection de personnes. Je ne pense pas qu’il faille plusieurs textes : il faut un texte global qui, contrairement à celui des transporteurs de fonds, soit applicable à toutes sortes de missions, avec des critères de formation et de compétences pragmatiques, et des contrôles.
Nous sommes sur une évolution : le besoin est déjà analysé. Compte tenu de l’ampleur de la menace, de sa durée prévisible, des capacités et des limites propres de l’État, il est inéluctable de trouver des solutions complémentaires. Il faut changer l’état d’esprit. C’est une extension du régalien, pas un abandon, et c’est la recherche de partenaires de haut niveau. Cela permettra enfin de libérer des unités actuellement dévolues à ces tâches et qui ont d’autres missions à réaliser.