Interview de Christian Rodriguez, Directeur général de la Gendarmerie nationale

Interview de Christian Rodriguez, Directeur général de la Gendarmerie nationale
12 juillet 2024 Olivier Debeney

Préparation générale des Jeux

Quels sont les principaux défis auxquels se prépare la gendarmerie à l’approche desJO ?

Christian Rodriguez : Les Jeux Olympiques et paralympiques sont une grande fête sportive et populaire qui participe au rayonnement international de la France. Par leur importance et leur ampleur, ils sont sans commune mesure avec, par exemple, la Coupe du Monde de Rugby. Et même si leur épicentre est à Paris et en Île-de-France, leur empreinte territoriale concerne tout l’Hexagone et même au-delà, puisqu’elle s’étend jusqu’à Tahiti ! Tout le monde est sur le pont : l’ensemble de nos formations et de nos composantes spécialisées, ainsi que nos réservistes. Pour nous, il y a trois grands défis. Nous allons d’abord assurer une manœuvre de projection sur la plaque parisienne et de soutien inédite par ses dimensions, dans le but d’appuyer le dispositif général de sécurité déployé sous l’autorité du préfet de police. En outre, nous allons sécuriser les épreuves qui vont se tenir sur les sites placés sous notre responsabilité. Et en parallèle, une habile compensation va être indispensable partout ailleurs sur le territoire national, dans les départements olympiques comme dans les départements à forte auence estivale, grâce à une forte mobilisation de nos gendarmes départementaux d’active et de réserve. On se prépare donc depuis des mois et des mois, avec la plus grande rigueur, par une planification rigoureuse et en tirant les enseignements d’autres grands événements antérieurs organisés en France ou à l’étranger.

On parle quand même de l’événement le plus suivi au monde, la vigilance sera maximale ! On mobilise un contingent dédié avec lequel on va manœuvrer et que l’on va soutenir et héberger durant toute la durée des Jeux. C’est une véritable manœuvre militaire. Des moyens spécialisés vont être aussi mobilisés, avec un travail de coordination encore plus exigeant qu’à l’accoutumée pour planifier leur emploi, conduire leur mise en œuvre et assurer leur logistique. Nous faisons donc tout pour que les JOP se déroulent dans les meilleures conditions. Et cela va bien sûr mobiliser les grandes qualités humaines des gendarmes. Car on ne doit pas perdre de vue la nécessité absolue de concilier sécurité et convivialité, vigilance et sens de l’accueil, discernement et protection, intelligence des situations et fermeté dans l’exécution de la mission. C’est là un équilibre essentiel à tenir.

Et que reste-t-il à mettre en place pour être définitivement prêt ?

CR : Les premiers renforts de gendarmes mobiles arrivent sur l’Île-de-France depuis le 15 juin. La logistique est prête, qu’il s’agisse de l’hébergement ou de l’approvisionnement quasi finalisé en denrées alimentaires. La projection est organisée et les véhicules supplémentaires dont nous avons besoin sont loués. Surtout, les gendarmes – mobiles ou départementaux – savent sur quelle période et où ils seront employés, en Île-de-France, en province, en outre-mer, etc. Aujourd’hui, en fonction des festivités organisées à Paris qui ne cessent d’évoluer et de l’emploi de nos forces sur d’autres missions, il nous reste à attribuer à chaque escadron de gendarmerie mobile ou à chaque compagnie de marche sa mission propre : transports, sécurisation de site olympique ou touristique. Nous allons aussi entrer dans la phase des inspections de sécurité, avec des fouilles NRBC-E. Plus de 250 gendarmes formés EOR (Explosive Ordnance Reconnaissance), c’est-à-dire à la détection d’explosifs et à la mise en sécurité, vont y participer. La Force nationale NRBC (F2NRBC) est également déployée. A un mois de l’événement, on fait maintenant du travail de précision en allant dans une granularité la plus fine possible.

Les armées ont été sollicitées pour compléter le dispositif de sécurisation des JO Comment préparez-vous la coordination avec votre institution ?

CR : La gendarmerie est une force militaire avec des missions de sécurité intérieure. Nous sommes donc habitués à travailler régulièrement avec nos camarades des Armées. Cette interopérabilité est une dimension essentielle. On l’entretient, de même que nous entretenons sans cesse nos savoir-être et savoir-faire militaires. Nous le faisons dans notre quotidien, à l’entraînement, sur le terrain, sur le territoire national comme à l’étranger, notamment en OPEX. Depuis maintenant plusieurs années, nous avons d’ailleurs durci notre formation initiale et continue pour toujours mieux faire face aux évolutions des risques et menaces. A cet égard, nous venons de renouveler notre protocole d’accord de coopération avec l’armée de Terre pour continuer à simplifier la conduite des opérations conjointes. Concernant les JOP, tout se fait dans le cadre du dialogue civilo-militaire, piloté par une Cellule de Coordination Intérieur- Défense, avec le préfet de police et le gouverneur militaire de Paris pour la région parisienne, avec les préfets de zone de défense et les ociers généraux de zone de défense partout ailleurs. J’ajoute que, sur chaque site dont la responsabilité nous a été confiée, il y aura aussi des patrouilles des armées.

Des forces venant d’autres pays sont attendues. Comment la coordination va-t-elle s’organiser ?

CR : Il y aura des renforts de deux types : d’une part, des “patrouilleurs linguistiques” qui, aux côtés des forces de l’ordre françaises, vont participer aux missions de sécurité publique générale, et la coordination se fera directement sur le terrain ; d’autre part, des spécialistes qui seront intégrés aux équipes spécialisées, essentiellement dans les unités cynophiles et dans les équipes chargées de la détection des explosifs. Les moyens spécialisés sont en fait demandés par les préfectures responsables, en l’occurrence la préfecture de police à Paris.

Les forces de gendarmerie ont-elles reçu des formations spécifiques en vue des JO ?

CR : Oui, tout à fait. À titre d’exemple, c’est le cas des gendarmes qui vont participer au renforcement de la sécurité dans les transports en commun. Une formation complémentaire leur a été dispensée en lien avec la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) de la préfecture de police et les opérateurs de transport, SNCF et RATP. Les gendarmes savent s’adapter aux diérentes missions qu’on leur confie comme aux diérents environnements dans lesquels ils interviennent. On les y prépare tout au long de leur carrière et on l’a encore fait ici dans le cas présent. L’objectif, c’est d’orir à la population un service public de la sécurité le plus ecace possible.

Faire face à la menace

Quelles sont les différents types de menaces auxquelles se prépare la gendarmerie ?

CR : L’étude des menaces, la préparation pour y répondre, c’est une action permanente de la gendarmerie, aux côtés des services de renseignement et de l’ensemble des acteurs ministériels et interministériels. Les menaces à l’approche des JO sont diuses et polymorphes. Elles sont suivies depuis plusieurs années et analysées spécifiquement par le Centre de renseignement olympique (CRO) qui produit une synthèse précise à partir de l’analyse de tous les services. Une “analyse nationale du risque” est ainsi actualisée régulièrement pour lister et hiérarchiser les principaux risques et menaces pesant sur les JOP. Sans entrer dans les détails, la menace terroriste est prioritaire et fait l’objet d’un travail intense dans la profondeur et dans la durée. La gendarmerie contribue également à la lutte contre le risque cyber, lequel peut revêtir de multiples formes et avoir des origines très diverses : de l’individu isolé à l’acteur étatique, de l’attaque en déni de service à l’espionnage, en passant bien sûr par la lutte contre les faux sites de billetterie. La mobilisation de près de 200 cyber-patrouilleurs de la gendarmerie a ainsi permis de recenser 338 sites frauduleux depuis mars 2023. Notre préparation s’est aussi axée sur les modalités de ces menaces. Sans être exhaustif, je peux citer la lutte contre les drones pilotée par les armées, la réponse à une menace NRBC ou bien la détection d’explosifs au sein d’une foule.

Comment sera concilié l’important dispositif des forces de l’ordre pour les sites de compétition et la capitale, avec le maintien d’une sécurité efficace en province ?

CR : La période des Jeux est exceptionnelle pour le pays. Elle implique donc une mobilisation de la gendarmerie qui soit tout aussi exceptionnelle, c’est-à-dire à la hauteur. Durant toute la période des JOP, tous nos eectifs seront mobilisés. De très nombreux réservistes parmi les 34.000 que l’on compte dans nos rangs seront également employés. Cet eort est déjà à l’œuvre. Depuis le 15 juin et jusqu’au 15 septembre, les congés sont fortement restreints. Grâce à cette mobilisation totale, le niveau d’engagement des gendarmes au cours de l’été et dans chaque département est même supérieur à ce qu’il a pu être à l’été 2023. Comme je l’ai dit, c’est donc bien toute la capacité de la gendarmerie qui est engagée dans une manœuvre inédite pour répondre aux demandes directement liées aux Jeux, tant dans la capitale que sur les autres sites – notamment à Tahiti, qui est dans notre zone de compétence – mais aussi pour maintenir un haut niveau de sécurité dans notre zone de compétence et renforcer la sécurité des zones touristiques estivales.