« Rapport « Fenech » : La question n’est pas de décloisonner les services »
En temps de crise, une réflexion doit s’imposer sur la chaîne de commandement
Frédéric Gallois est ancien commandant du GIGN, membre du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI) et co-fondateur de la société Gallice.
Une fois le calme revenu, toute organisation de gestion de crise doit chercher à tirer les enseignements des événements survenus, ne serait-ce que pour améliorer l’efficacité des moyens d’intervention. C’est précisément l’objet du travail réalisé par la commission d’enquête parlementaire suite aux attentats du 13 novembre dont les résultats ont été publiés le 5 juillet.
Même s’ils ne mettent pas en évidence d’importants « ratés », les parlementaires ont jugé que notre pays « n’était pas prêt » à affronter des événements d’une telle ampleur. Et si la commission a effectivement dressé un bilan encourageant, il n’est pas uniquement question de déterminer la capacité de nos services à anticiper ces événements tragiques – car le risque zéro est impossible -mais au contraire de savoir si notre pays est structurellement en mesure de secourir et de sauver les plus exposés.
La leçon est sans appel : la France n’a pas su mettre en œuvre les moyens opérationnels à sa disposition.
À la suite d’une attaque terroriste, l’un des principes importants d’une gestion de crise efficace repose sur l’aptitude à élaborer un plan de secours immédiat, et de riposte. Ce schéma d’intervention doit pouvoir, en quelques minutes, mettre en œuvre une organisation à la fois puissante, exceptionnelle et temporaire, permettant de dépasser les limites et les contingences de la gestion du quotidien. Cela implique un bousculement des règles « du temps de paix » pour passer instantanément dans un mode opérationnel correspondant au « temps de crise ».
À ce stade de la réflexion, il faut rappeler que des unités de gestion de crise existent, je pense au GIGN et au RAID, et qu’elles travaillent ensemble depuis plusieurs années. La question n’est donc pas de « décloisonner », comme le préconise le rapport « Fenech », mais de comprendre pourquoi, à chaque crise, ce qui avait été anticipé n’est finalement pas mis en place.
Éviter la crise dans la crise
Les attentats parisiens du 13 novembre, comme ceux du 11 septembre à New York, sont devenus des cas d’école pour travailler sur l’optimisation de la riposte. Lorsque le système n’arrive plus à s’adapter sans conflit à une contrainte extérieure nécessitant des mesures exceptionnelles, il en résulte « une crise dans la crise ». Pourtant, après le 11 septembre, tous les organes de protection des territoires à travers le monde ont proposé des schémas novateurs et opérationnels qui imposaient le décloisonnement des forces et l’optimisation des réponses en cas d’atteinte à la sûreté nationale.
En France, dans le domaine de l’intervention, cela a débouché sur des exercices communs, de nombreuses réorganisations et la création de structures de coordination, mais aussi d’énormes investissements ciblés sur ces unités nationales visant à adapter les moyens de riposte aux menaces les plus extrêmes : citons les exercices communs entre le RAID et le GIGN, dès 2007 au Stade de France ; la création du CPGC (Centre de Planification et de Gestion des Crises), rattaché à la Gendarmerie nationale ; la création de la FIPN (Force d’Intervention de la Police Nationale), puis la mise en place de l’UcoFi, l’Unité de coordination des Forces d’intervention incluant le GIGN et le RAID ; de nombreux nouveaux moyens rares et coûteux ont été investis au profit de ces deux unités.
Dans le même temps, le GIGN a été restructuré, et des exercices ont été menés avec la BRI. On parle ici au total de plus de 600 hommes. Pourtant, près de 10 ans après, sur une opération comme le Bataclan, une question reste en suspens : pourquoi ce qui avait été imaginé par les opérationnels et validé par les hautes autorités pour faire face à des événements majeurs, n’a pas été mis en œuvre ?
En situation exceptionnelle d’atteinte à la sûreté nationale, le déclenchement de dispositifs nationaux est la seule véritable solution.
En effet, on se rend compte qu’en pleine crise majeure, nous n’arrivons toujours pas à éviter les tensions entre logiques et intérêts « territoriaux » et « nationaux », verrouillant ainsi les possibilités de collaboration utile à la gestion de l’événement, notamment par l’engagement des moyens les plus sophistiqués.
Aussi, la défense à tout prix de l’intérêt territorial – celui des outils de gestion de temps de paix et du quotidien -, empêche les organisations de dimension nationale « d’entrer dans la boucle » avec toute la panoplie de moyens spéciaux lourds et d’expertises dont ils disposent. Et c’est en sens que le rapport « Fenech » vise juste.
Les unités nationales n’ont joué qu’un rôle d’appoint alors qu’elles auraient dû prendre le leadership dans les opérations de contre-terrorisme. Si cela n’enlève rien au formidable engagement des hommes de la BRI, et du courage incontestable dont ils ont fait preuve, on peut penser que face à un tel événement il aurait été cohérent et utile d’engager les moyens nationaux – mieux dotés et durcis ne serait-ce qu’en terme d’équipements – et dont la mission n’est plus l’engagement du quotidien mais plutôt celle, justement, de la gestion des situations d’exception (ce qu’on appelle le « contre-terrorisme » à la différence de « l’intervention » qui correspond à la grande criminalité quotidienne).
Dans de nombreux autres pays, lorsque survient un événement d’ordre national, la structure de commandement des unités nationales s’impose aux pouvoirs territoriaux car ces « systèmes de gestion de crise » constituent les forces les mieux préparées à mener des opérations de contre-terrorisme.
Il est donc primordial qu’une chaine de commandement opérationnel national – avec les capacités et expertises qu’elle seule détient – puisse investir immédiatement les trois niveaux décisifs de la gestion de crise : les patrons des unités GIGN /RAID, selon le principe menante/concourante, comme conseillers au niveau politique ministériel, leurs chefs de forces positionnés au niveau territorial avec le soutien des forces locales comme la BRI, et les chefs tactiques de ces unités à la manœuvre au contact de la scène de crime.
La tragédie du Bataclan doit servir de moteur. Non pas aux terroristes djihadistes qui l’ont perpétrée, mais aux autorités françaises pour qu’elles en tirent les leçons. Ces dernières doivent anticiper le déblocage momentané des résistances inhérentes aux temps de paix, sans les remettre en question, mais pouvant s’effacer le temps de la crise. Car cette dernière est une rupture avec le fonctionnement normal des systèmes. Il faut donc en saisir l’ampleur et déclencher les dispositifs adéquats pour l’anéantir, avant de revenir à la normalité.
En ce sens, la crise révèle les zones d’effort à entreprendre pour renforcer le dispositif opérationnel. Malheureusement, nous vivons à une époque où la menace est permanente et protéiforme, sans compter qu’elle peut encore se compliquer. L’heure est donc à la prise de conscience. Nous devons réaliser que, si nous possédons les outils les plus performants au monde, encore faut-il savoir et pouvoir les mettre en cohérence le jour venu.