La Martinique : un pilier stratégique de la souveraineté française

La Martinique : un pilier stratégique de la souveraineté française
15 avril 2025 Olivier Debeney

La Martinique : un territoire stratégique et historique au service de la  souveraineté française

Par Louis Domergue 


Française depuis 1635, bien avant des territoires comme la Franche-Comté (1678) ou encore Nice  et la Savoie (1860), la Martinique s’est imposée dès son intégration comme un levier majeur de la  puissance française. Sa position dans les Caraïbes a permis de sécuriser des routes maritimes vitales  pour le commerce transatlantique et de renforcer durablement l’influence française dans cette  région du monde. En 1946, elle est devenue l’un des premiers territoires d’outre-mer à accéder au  statut de département, consolidant ainsi son intégration à la République et affirmant son rôle  d’avant-poste de souveraineté dans la région.  

Aujourd’hui, la Martinique incarne une pièce maîtresse de la présence française dans la Caraïbe, au  cœur des enjeux sécuritaires, économiques et diplomatiques.  

Un bastion stratégique dans la Caraïbe

Carrefour maritime entre l’Europe, les Amériques et l’Afrique, la Martinique joue un rôle clé de  stabilisateur régional. Les Forces Armées aux Antilles (FAA), déployées en Martinique et en  Guadeloupe, assurent la surveillance d’une zone maritime de 4 millions de km², soit deux fois la  surface de la Méditerranée. Elles mènent des missions variées : lutte contre les trafics de drogue et  d’armes, surveillance des eaux territoriales, assistance humanitaire et intervention rapide dans les  crises régionales.  

Cette position l’expose néanmoins à des menaces croissantes. En 2022, plus de 30 % des  exportations mondiales de cocaïne ont transité par la Caraïbe, alimentant des réseaux criminels qui  fragilisent l’économie locale et exacerbent l’insécurité. À cela s’ajoutent les flux migratoires  clandestins, notamment en provenance d’Haïti, et l’intensification des rivalités internationales : la  Chine investit massivement dans les infrastructures portuaires de la région, la Russie renforce sa  présence diplomatique et économique, tandis que le Venezuela, fragilisé, demeure une source  d’instabilité.  

Dans ce contexte, moderniser les capacités des FAA, renforcer les coopérations avec les États-Unis  et les organisations régionales et adapter les infrastructures logistiques sont des impératifs pour  préserver cette position.  

Par ailleurs, dans un contexte de tensions diplomatiques, la Martinique n’échappe pas aux  stratégies d’influence étrangères. En soutenant des mouvements indépendantistes (comme le  RPPRAC – Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens – dont  le représentant, Rodrigue Petitot, a été condamné à plusieurs reprises pour trafic de drogues et  violence avec arme et ne dispose d’aucune légitimité) par le biais du groupe d’initiative de Bakou,  l’Azerbaïdjan tente d’exacerber les tensions locales et d’affaiblir la position française sous couvert  de discours anti-coloniaux. Cette stratégie, déjà observée en Nouvelle-Calédonie, impose une  réponse diplomatique et sécuritaire ferme ainsi qu’une surveillance accrue pour neutraliser toute  tentative de déstabilisation.  

Un modèle économique à transformer

L’influence régionale de la Martinique repose aussi sur une économie résiliante, essentielle à son  développement et au bien-être de sa population.  

L’un des principaux foyers de tensions en Martinique reste le coût de la vie, qui dépasse en  moyenne de 12 % celui de la Métropole, avec des écarts atteignant 40 % sur certains produits  alimentaires. Si l’insularité explique en partie ce phénomène, la dépendance excessive aux  importations et une fiscalité spécifique, notamment l’octroi de mer, y contribuent largement. Ce  dernier, principale ressource des collectivités, alourdit les importations et alimente une inflation  structurelle via des budgets publics déséquilibrés.  

À cela s’ajoute la forte proportion de fonctionnaires (plus de 40 % des emplois salariés), dont les  primes, bien que compensatoires, entretiennent cette dynamique inflationniste en tirant vers le  haut les prix du logement et des biens de consommation, accentuant les écarts de pouvoir d’achat  avec le secteur privé.  

Au-delà des chiffres, la vie chère reflète une fragilité économique persistante, amplifiée par un tissu  productif limité et une fiscalité contraignante. Une refonte progressive des prélèvements locaux,  limitant leur effet inflationniste, et un soutien accru à l’investissement productif sont essentiels pour  préserver le pouvoir d’achat et garantir la résilience budgétaire du territoire. La réduction des  surcoûts logistiques, le soutien aux filières locales, l’insertion régionale et une transparence accrue  sur la formation des prix devront accompagner cette transformation.  

L’adhésion de la Martinique à la CARICOM (Communauté Caribéenne) le 20 février 2025 est une  avancée significative vers une intégration régionale accrue. Cette affiliation ouvre des perspectives  économiques nouvelles, facilitant les échanges avec les 21 États membres et associés. Elle permet  également d’ancrer davantage la Martinique dans un espace géopolitique structurant.  

Cependant, cette intégration impose une vigilance accrue. La gestion des flux commerciaux et la  protection des filières locales face aux importations à bas coûts en provenance des autres Etats  membres doivent être encadrées rigoureusement. Une harmonisation fiscale et douanière avec la  Métropole sera nécessaire. De plus l’ouverture économique impliquera d’encadrer les flux  migratoires qui pourraient se trouver facilités. L’objectif est de garantir à la Martinique, par une  stratégie équilibrée, les bénéfices de son double ancrage caribéen et français.  

Des annonces techniques, sans réponse structurelle

Le projet de loi contre la vie chère, annoncé en mars 2025 par le ministre des Outre-mer, vise à  renforcer le contrôle des prix et de la concurrence, à instaurer un suivi sectoriel plus strict, et à  soutenir les acteurs économiques affectés par les tensions sociales. La réforme de l’octroi de mer a  été évoquée, mais sans échéancier ni orientation claire.  

Ces annonces, largement dictées par l’urgence sociale de fin 2024 et la pression politique du  RPPRAC, ne sauraient tenir lieu de stratégie de transformation. L’architecture fiscale locale, fondée  sur l’octroi de mer, renchérit mécaniquement les produits importés, alimente les budgets publics  sans incitation à l’efficience, et accentue les inégalités entre secteur public et privé. Une réglementation dense, des aides mal ciblées et l’absence de leviers pour la production locale sont  au cœur du problème.  

Cibler les distributeurs et renforcer la régulation peut répondre à une pression politique  immédiate, mais ne produit pas de transformation durable. Une réforme utile supposerait de  réduire les surcoûts logistiques, de simplifier le cadre fiscal, et de construire un environnement  économique réellement incitatif pour produire, investir et recruter localement.  

Un socle culturel à intégrer dans l’action publique

La culture martiniquaise ne se limite pas à une vitrine identitaire : elle constitue un système vivant  d’organisation sociale, de reconnaissance mutuelle et d’expression collective. Trois temps forts  structurent notamment l’année et mobilisent l’ensemble du territoire : les Chanté Nwèl, le Carnaval  et le Tour des Yoles.  

Les Chanté Nwèl, qui débutent dès la mi-novembre, sont bien plus que des veillées de chants  religieux en créole. Ce sont des rassemblements communautaires où la musique, la cuisine  (boudin, schrubb, pâtés), la mémoire et la convivialité s’entrelacent. Organisés par des associations,  des mairies, des entreprises ou des familles, ils réactivent les solidarités locales à une période  charnière du calendrier.  

Le Carnaval, au cœur du mois de février, est un exutoire collectif à la fois festif et subversif, où la  rue devient espace de transgression ritualisée. Par ses vidé, ses jours thématiques (Mariage  burlesque, Mercredi des Cendres), ses reines et ses groupes à pied, il permet une mise en scène  codifiée des tensions sociales, des formes de satire politique, mais aussi une respiration nécessaire  dans le rythme de l’année.  

Le Tour des Yoles, dont la prochaine édition aura lieu du 27 juillet au 3 août 2025, est un  événement unique dans la Caraïbe. Il associe sport de haut niveau, transmission d’un savoir-faire  maritime ancestral, et mobilisation populaire à grande échelle. Chaque étape redessine une carte  affective du littoral, chaque yole incarne une commune, une équipe, une histoire. Ce n’est pas un  simple spectacle nautique, c’est une mise en mouvement du territoire.  

Autour de ces grands moments gravitent d’autres pratiques tout aussi structurantes : les fêtes  patronales, les soirées bèlè, les commémorations de l’abolition de l’esclavage, les concours de  cuisine, la Toussaint vécue comme une célébration. Toutes participent d’un rapport à la  transmission, à l’espace public, à la mémoire.  

Comprendre ces formes culturelles, ce n’est pas “faire local” : c’est prendre acte de ce qui fonde les  équilibres sociaux, les dynamiques d’adhésion ou de rejet, les représentations de la légitimité. Une  politique publique sérieuse ne peut s’y soustraire.  

Freiner l’exode des jeunes : une urgence sociale et économique

Chaque année, environ 4 000 Martiniquais quittent l’île pour la Métropole, attirés par des  opportunités éducatives et professionnelles plus favorables. Cet exode, amplifié par un chômage  

structurel (15 % en moyenne, 40 % chez les jeunes), prive la Martinique de ses forces vives et  affaiblit son tissu économique.  

Pour inverser cette tendance, il est indispensable de structurer des filières porteuses d’avenir. Le  numérique, l’énergie (valorisation du solaire et de la géothermie pour plus d’autonomie,  intégration d’un smart grid pour compenser l’intermittence), l’agrotransformation et les circuits  courts offrent des perspectives prometteuses.  

Des programmes d’investissement ciblés et des mesures favorisant le retour des talents expatriés,  soutenus par des incitations fiscales spécifiques, pourraient renforcer l’attractivité économique  locale. En parallèle, des partenariats plus étroits entre les entreprises locales et les établissements  d’enseignement supérieur en Métropole et dans la Caraïbe contribueraient à limiter la fuite des  compétences tout en valorisant les jeunes talents martiniquais.  

Valoriser pleinement les atouts économiques

Malgré ses fragilités, la Martinique dispose d’atouts uniques qui pourraient constituer les  fondements d’un développement économique plus résilient. Le rhum agricole, seul au monde à  bénéficier d’une AOC, génère environ 100 millions d’euros par an et représente 40 % des  exportations agricoles de l’île. Ce produit emblématique pourrait être davantage valorisé par le  développement du “spiritourisme”, sur le modèle des circuits écossais autour du whisky, attirant  des visiteurs tout en dynamisant l’économie locale.  

Le tourisme, bien qu’identifié comme un levier économique, reste un secteur fragile et les  stratégies passées n’ont pas permis de structurer une filière durable et compétitive. En 2023, la  Martinique a franchi le seuil symbolique du million de visiteurs, générant plus de 500 millions  d’euros de retombées économiques. Si cette progression est encourageante, elle masque une  réalité plus préoccupante : l’île reste à la traîne par rapport à ses voisins. Sainte-Lucie attire  davantage avec trois fois moins d’habitants, et la République dominicaine enregistre onze millions  de visiteurs.  

Face à cette concurrence, la Martinique ne peut viser l’augmentation mécanique des flux et doit  engager une stratégie de différenciation. L’enjeu est de construire une offre touristique plus lisible,  qualitative, ancrée dans les circuits économiques locaux. Spiritourisme, écotourisme, tourisme de  séjour long et accueil de nomades digitaux doivent structurer un repositionnement ambitieux,  fondé sur la valeur plutôt que sur la masse.  

Le développement économique de la Martinique doit se faire par un choix clair des filières à  privilégier, dont la viabilité réelle et la longévité sont démontrées. Les stratégies généralistes  doivent être évitées pour privilégier les secteurs avec un avantage comparatif certain.  

Conclusion : un levier stratégique pour la France

La Martinique ne peut être pensée comme une simple périphérie française, mais comme un levier  stratégique au service de la puissance nationale. Trois axes majeurs doivent guider son avenir :  

  • Faire de la Martinique une position stratégique avancée, par la modernisation et le renfort  des FAA, le développement des alliances régionales et la consolidation du rôle sécuritaire du  territoire.  
  • Stimuler un développement autonome et compétitif par la réduction de la dépendance aux  importations, la structuration de filières d’avenir et le soutien au retour des jeunes talents.  
  • Inscrire son développement dans une intégration régionale maîtrisée, par la préservation des  intérêts locaux et le maintien de liens solides avec la Métropole.  

À l’horizon 2040, la Martinique doit devenir un modèle d’innovation et de stabilité. Elle peut et doit  s’imposer comme un acteur clé de la souveraineté sécuritaire et diplomatique française dans la  Caraïbe et en Amérique latine. Avec les investissements adéquats, elle pourra se transformer en  modèle d’autonomie régionale et d’innovation.  

La France renforcera non seulement son rayonnement, mais également sa capacité à s’adapter aux  défis stratégiques, économiques et énergétiques du XXIe siècle. 


Sources

Opinion Internationale, 24/10/2024 “Marcellin Nadeau à Bakou pour décoloniser la Martinique : trahison d’État ? L’édito de Michel Taube”

Marianne, 12/12/2023 “Les voyages tous frais payés de 2 députés ultra-marins en Azerbaïdjan pour dénoncer le colonialisme français”

France Info, 30/10/2024 “Outre-mer, terres d’ingérences ?”

Le Monde, 05/05/2024 “Outre-mer : des indépendantistes attaqués par l’exécutif sur leurs liens avec l’Azerbaïdjan”

Le Figaro, 13/11/2024 “Ingérence de l’Azerbaïdjan en Martinique : la France ne doit pas tendre l’autre joue”

Le Nouvel Obs, 21/11/2024 “Pourquoi l’Azerbaïdjan veut en découdre avec la France”

Le Point, 07/06/2024 “l’Azerbaïdjan accentue sa campagne contre le néocolonialisme de la France”

France Antilles, 10/02/2025 “Marcellin Nadeau, Je ne crois pas à la concurrence libre et non faussée en Martinique”