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L’État face aux défis sécuritaires dans les Outre-mer : Rapport d’information du Sénat « L’action de l’Etat Outre-Mer : pour un choc régalien » par les sénateurs Philippe Bas (LR) et Victorin Lurel (SER)
Les territoires d’Outre-mer sont confrontés à des défis sécuritaires d’une ampleur inédite. Avec 2,16 millions d’habitants, les territoires d’Outre-mer comprennent 4 % de la population française.
Une insécurité endémique et croissante
La violence constitue une menace majeure dans les Outre-mer. Depuis 2016, les coups et blessures volontaires intrafamiliaux ont augmenté de 13,8%, avec une nette ascendance de 18,8% entre 2022 et 2023. Sur cette même année, les homicides y ont augmenté de 14,1% et l’usage de stupéfiants de 37,3 %. A titre de comparaison, en proportion pour 1000 habitants, les DROM comptabilisent deux fois plus de coups et blessures volontaires, et les COM cinq fois plus (8/1 000 habitants dans les DROM, 22,2/1 000 habitants dans les COM, contre 4,9/1 000 habitants pour le territoire national). De plus, en 2023, les territoires d’Outre-mer représentent 30% des homicides (et tentatives), 50% des agressions de gendarmes et 11% des féminicides. La priorité est claire : s’attaquer à la violence du quotidien pour rassurer l’opinion publique.
En ce qui concerne les dégâts matériels, depuis mai 2024, 700 entreprises ont été détruites en Nouvelle-Calédonie et 142 ont été pillées ou incendiées en Martinique.
En réponse à ces chiffres alarmants, le rapport émet plusieurs recommandations telles que l’augmentation des brigades locales, la mise à disposition de plus d’équipements, le renforcement des actions conjointes entre police et justice, ainsi que la construction de plus de places de prison. Toujours selon ce rapport, la décentralisation doit porter ses fruits, et les préfets ayant autorité sur ces territoires doivent avoir la possibilité de déroger en modifiant des règlements (comme l’article 73 de la Constitution).
Les Outre-mer, plaque tournante du narcotrafic
La situation géographique des Outre-mer en fait une porte d’entrée stratégique pour le trafic de drogue. Par exemple, les autorités martiniquaises ont saisi 30 tonnes de cocaïne en 2024. La route Antilles-Guyane est emprunté par les réseaux de narcotrafic : 50% de la cocaïne saisie en France l’a été sur cette route. Les Outre-mer ont enregistrés des records en termes de saisie, tels que la prise de 1.8 tonnes à Saint-Martin en mars 2024 et 9 tonnes en Martinique en janvier 2025.
Dès lors, le rapport suggère de renforcer les contrôles aériens, notamment en scannant 100% des bagages en Guyane, et de doter les Outre-mer d’une police scientifique et technique spécialisée pour mieux lutter contre ce fléau.
Un système judiciaire sous-doté
Alors que la criminalité explose, les moyens judiciaires en Outre-mer restent insuffisants. Sur 118 îles en Polynésie, seulement 16 ont des services de l’Etat permanents. En moyenne, 30% du contentieux pénal concernent les faits de violence, contre 18% en métropole. Pourtant, les Outre-mer ne comptent que 4,8 % des magistrats français, ce qui ralentit les procédures et entraine l’inefficacité de la justice. Les magistrats des Outre-mer sont très mobiles, engendrant également un fort taux de rotation et d’absentéisme.
La situation carcérale est tout aussi préoccupante. Preuve du véritable échec du Plan 15 000, le taux moyen d’occupation des prisons d’Outre-mer est de 143%, atteignant même 270 % à Mayotte, contre 126% sur le territoire métropolitain. L’accès à la justice y est plus long, plus complexe et plus coûteux qu’en métropole.
Alors, le rapport recommande la création d’une Cour d’appel à Mayotte et d’un tribunal judiciaire à Saint-Martin, ainsi que le renforcement du nombre de magistrats et la mise en place d’une chambre correctionnelle permanente à Cayenne.
L’immigration irrégulière sous tension
Les Outre-mer sont en première ligne face à la pression migratoire, notamment à Mayotte, où un tiers de la population est en situation irrégulière (100 000 personnes) et 48% des élèves scolarisés sont issus de l’immigration clandestine. En Guyane, les demandes d’asile ont été multipliées par trois en deux ans, illustrant l’intensification des flux migratoires.
Pour contrer ce phénomène, le rapport propose d’augmenter les moyens de surveillance, en déployant des bases nautiques et des bâtiments militaires quasi-permanents aux Comores, de renforcer les expulsions, ou encore de justifier les transferts d’argent vers les Comores. Il suggère également de revoir la réforme de 2018 sur l’acquisition de la nationalité française, en durcissant les critères de résidence pour les parents étrangers.
Souveraineté et ingérences étrangères
Les Outre-mer ne sont pas seulement confrontés à des défis sécuritaires et migratoires, mais aussi à des tentatives d’ingérence étrangères. En Guyane, 7 200 orpailleurs clandestins extraient illégalement entre 7 et 10 tonnes d’or par an, tandis que sa zone économique exclusive (ZEE) subit une pêche illégale massive.
Au-delà des problématiques économiques et environnementales, certaines puissances étrangères exploitent le narratif anticolonialiste pour affaiblir l’influence française dans ces territoires. A titre d’exemples, la Conférence de Bakou en juillet 2024, tenue en Azerbaïdjan, a été marquée par une campagne numérique hostile visant les Outre-mer ; la présence chinoise croissante en Indo-Pacifique pose la question de la souveraineté française dans cette région stratégique.
Pour répondre à ces menaces, le rapport demande la création d’une « Force aux frontières » ultramarine (sous autorité du préfet), la modernisation des moyens de surveillance, la coopération de la police et de la justice avec les Etats frontaliers, l’augmentation des moyens financiers et le développement d’une diplomatie spécifique aux Outre-mer.