Retour sur la loi immigration

Retour sur la loi immigration
6 mars 2024 Olivier Debeney

Retour sur la loi immigration

Le projet de loi immigration adopté le mardi 19 décembre par le Parlement, après un parcours chaotique et des dissensions au sein même de la majorité avait été largement remanié pour répondre aux critiques de la droite, ce qui avait provoqué la colère de plusieurs députés de la majorité, avant que le Conseil constitutionnel ne vienne finalement censurer plus du tiers du texte.


Dès avril 2022, le ministère de l’Intérieur travaille sur un projet de loi immigration, s’inscrivant dans la continuité des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Le renforcement des reconduites à la frontière et la sécurisation des travailleurs sans papiers constituent les piliers du texte. Annoncé en grande pompe après la réélection du président, le projet de loi se heurte d’emblée à un climat politique tendu et n’est présenté en Conseil des ministres que le 1er février 2023.

C’est au Sénat, où la droite est majoritaire, que le projet de loi entame son parcours législatif. La droite ne manque pas de l’amender en profondeur, le durcissant considérablement. Suppression de l’Aide médicale d’État, restrictions du regroupement familial, suppression de l’automaticité du droit du sol : les mesures phares du texte initial sont remises en question. La gauche et une partie de la majorité s’y opposent fermement, tandis que le gouvernement tente de maintenir un semblant de cohésion. Finalement, la réforme des retraites provoque un report de l’examen du projet de loi, dans l’attente d’un climat plus clément.

L’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale  s’annonce  comme  un  véritable parcours du combattant. Les familles politiques se divisent et la majorité menace de se fissurer. La situation se cristallise lorsque le 11 décembre 2023, une motion de rejet est adoptée, stoppant net l’examen du texte. C’est la première fois depuis 15 ans qu’une telle motion est utilisée. La crise politique est à son comble.

Face au blocage, le gouvernement convoque une commission mixte paritaire (CMP), composée de 7 députés et 7 sénateurs, pour tenter de trouver un compromis. Après de rapides négociations, un accord est trouvé mais ne satisfait personne. La gauche et une partie de la majorité continuent de dénoncer la “droitisation” du texte, tandis que le RN s’y rallie, y voyant une “victoire idéologique”. La tension est palpable au sein de la majorité présidentielle.

Le 19 décembre 2023, le projet de loi est finalement adopté par l’Assemblée nationale. La majorité est fragilisée et divisée, 20 députés de la majorité ayant voté contre le texte et 17 s’étant abstenus [1]. Le gouvernement est de surcroît fragilisé, le ministre de la Santé démissionne de son poste, d’autres menacent de suivre. Le RN, en soutenant le texte, s’est imposé comme l’un des acteurs incontournables dans la vie politique française, en s’opposant au vote du premier texte, puis en votant celui produit par la CMP (sans son vote, le texte n’aurait pas été adopté) [2].

Acte manqué : Le rapport de la Cour des comptes

Publié le 4 janvier 2024 seulement en raison “d’une volonté de défendre l’impartialité, la neutralité de la Cour et sa réputation”, selon son président Pierre Moscovici, le rapport sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière pourrait se résumer en une phrase :

« Le message du rapport reste totalement d’actualité: en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, il faut avant tout agir de manière plus déterminée et efficace. » [3] 

Le rapport dresse en effet un constat sévère de la politique française de lutte contre l’immigration irrégulière en soulignant que cette politique est inefficace, bien que très couteuse (1,8 milliards d’euros) [4]. Elle ne permet pas de réduire le nombre de franchissements illégaux des frontières en raison de plusieurs causes :

  • Tout d’abord, les contrôles aux frontières extérieures de  l’espace Schengen sont insu sants (problème quantitatif). En effet, les migrants qui souhaitent entrer en France peuvent facilement contourner les opérations de contrôles en passant par d’autres pays de l’espace Schengen ; les contrôles mis en place ne sont pas dissuasifs.
  • Ensuite, les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen sont inefficaces (problème qualitatif). En effet, les migrants peuvent entrer sur les territoires européens par de nombreux biais (notamment l’obtention d’un visa ou d’un titre de voyage). Et ceux qui sont interceptés aux frontières intérieures peuvent facilement être relâchés, faute de places d’hébergement ou de moyens de les expulser. La France a transféré ses frontières à l’espace Schengen où elles ont perdu toute efficacité.

Pour la Cour des comptes, il faudrait engager davantage de moyens humains (actuellement 16 000 fonctionnaires et militaires à temps plein [5]) et revoir la répartition des points de passage frontaliers entre la police aux frontières et les douanes. Également :

  • Recueillir et conserver les données d’identité des étrangers irréguliers,
  • Aligner les pouvoirs d’inspection de la police aux frontières sur le cadre applicable aux douanes en matière d’inspection de véhicules,
  • Renforcer les effectifs des services chargés des étrangers en préfecture,
  • Simplifier le contentieux de l’éloignement,
  • Centraliser la procédure de délivrance de laissez-passer consulaires, sauf pour les préfectures ayant un consulat à proximité,
  • Identifier de manière systématique les obligations de quitter le territoire français prononcées pour troubles à l’ordre public et suivre l’exécution de la mesure d’éloignement.

Le débat public se fonde trop souvent sur des arguments idéologiques, ce qui empêche d’avoir une approche lucide sur un sujet aussi sensible et ayant des conséquences sécuritaires, humaines, sociales et économiques graves [6].

 


Sources

[1] Le Parisien, 20/12/2023

 

[2] Public Sénat, 20/12/2023

 

[3] Ouest France, 18/01/2024

 

[4] Cour des comptes

 

[5] Vie Publique, 08/01/2024

 

[6] Le Figaro, 11/01/2024