TRIBUNE : 200 antennes satellites Starlink à Mayotte : menace pour l’indépendance de la France ?

TRIBUNE : 200 antennes satellites Starlink à Mayotte : menace pour l’indépendance de la France ?
10 janvier 2025 Olivier Debeney

TRIBUNE : 200 antennes satellites Starlink à Mayotte : menace pour l’indépendance de la France ?

Par Bruno Mathieux


Dans une note précédente du CRSI [1], nous avions souligné les progrès de la société SpaceX sur le marché des lanceurs de fusées, avec le déploiement notable de la constellation Starlink et le risque qu’elle constitue pour notre souveraineté dans le domaine spatial.  

Une annonce anodine du gouvernement, faite dans l’indifférence générale pendant la  trêve des confiseurs, est venue renforcer ces craintes, car elle illustre les transformations majeures du marché des télécommunications auxquelles la France et l’Europe en  général devront faire face dans les prochaines années, au risque de perdre leur autonomie stratégique dans un domaine d’importance vitale pour le fonctionnement de notre économie et de notre société. 

Entre Noël et le jour de l’an, le premier ministre François Bayrou annonçait le déploiement de 200 antennes satellites Starlink pour parer à l’urgence créée par les dégâts considérables du cyclone Chido. La moitié aurait été offerte par Elon Musk avec un abonnement gratuit de 3 mois. 100 autres seraient achetés par l’État français. 

Une annonce dommageable pour l’image des opérateurs nationaux 

Cette mesure prise par le gouvernement a provoqué l’agacement des opérateurs télécoms présents sur l’Île de Mayotte, qui n’avaient pourtant pas démérité en  rétablissant les communications essentielles dans des délais extrêmement courts. Au moment de l’annonce du premier ministre, les équipes des opérateurs télécom (Orange, SFR et Only, filiale du groupe Iliad) s’employaient à rétablir les infrastructures de communication considérablement endommagées par le passage du cyclone. Le 30 décembre, jour de l’annonce de François Bayrou, l’opérateur Orange avait déjà réparé 16 antennes du réseau mobile de Mayotte, permettant ainsi de rétablir le service pour 75 % de la population. Le 6 janvier, 34 antennes sur les 54 présentes sur l’île étaient opérationnelles, permettant ainsi à 90 % de la population de l’île de Mayotte d’être de nouveau connectée. À la même date, les équipements Starlink n’étaient pas encore arrivés sur l’Île de Mayotte et la solution pour les déployer n’était pas encore trouvée. 

Dans le même temps, pour renforcer les moyens de communications essentiels, le groupe Orange acheminait et déployait sept « Safety Case », une solution télécom compacte et autonome, déployable sur le terrain en 30 minutes, permettant de rétablir en urgence une connectivité en situation de crise. Cette solution a permis de répondre au besoin des services de secours à la recherche de moyens de communication dans les  zones reculées ou sinistrées comme c’est le cas à Mayotte depuis le passage du cyclone [2].

Starlink, un service internet par satellite disponible en France 

Starlink ne pouvait rêver d’une meilleure publicité pour Noël. Rappelons que Starlink est un fournisseur d’accès internet de la société SpaceX, propriété d’Elon Musk. Le réseau Starlink fonctionne grâce à ses nombreux satellites de télécommunications. Ils sont placés sur une orbite terrestre basse, tournant au-dessus de nos têtes à 500 km d’altitude, à l’inverse de la majorité des autres satellites, dit géostationnaires, situés à 36  000 km de distance. Fin 2024, Starlink revendiquait plus de 4 millions de clients internet dans le monde pour environ 7000 satellites déployés à ce jour, soit environ la moitié de l’objectif affiché de 14 000 satellites. 

Depuis 2021, à la suite d’une décision de l’ARCEP, autorité administrative indépendante (AAI) en charge du secteur des télécommunications, Starlink a obtenu les autorisations nécessaires pour proposer ses services internet par satellite en France. Pour un abonnement de 40 € par mois et un coût d’installation de 350€ correspondant au prix de l’équipement (une parabole installée sur votre terrasse ou sur le toit de votre résidence), Starlink propose une connexion internet haut débit, partout en France, avec des performances de l’ordre de 100 Mbps. C’est moins que la fibre optique, mais beaucoup mieux que l’ADSL. 

Ces services ont même été renforcés à la suite du déblocage par l’ARCEP d’une nouvelle bande de fréquences utilisable, afin de permettre à celui-ci d’utiliser la totalité de ses satellites déjà envoyés dans l’espace [3].  

Néanmoins, ces décisions de l’ARCEP interrogent, au regard de la réticence des nombreux acteurs du secteurs qui se sont exprimés lors d’une consultation publique, soulignant les problèmes de distorsion de la concurrence que pose l’offre de Starlink, à plusieurs titres : 

  • En autorisant l’exploitation de plus de satellites en France, la domination de SpaceX sur le territoire français sera inégalée, créant de fait une situation de quasi monopole dans le domaine des communications par satellite à orbite basse  (LEO),
  • D’autre part, l’absorption des ressources orbitales disponibles, va saturer  l’espace, limité par nature, des orbites basses devant être partagées entre  opérateurs de satellites non géostationnaire, empêchant ainsi d’autres constellations de satellites de se déployer dans l’espace.
  • Enfin, la taille de la station terrienne proposée par Starlink, pour recevoir le signal en provenance de la constellation, comparable à celle d’un PC portable, rend de  plus en plus floue la frontière entre service fixe, nomade et mobile. 

La décision de l’ARCEP démontre une fois de plus la difficulté pour une Autorité Administrative Indépendante de faire converger la défense des intérêts nationaux et de l’indépendance stratégique de la France en matière de télécommunications [4], et ceux des consommateurs. Cette difficulté est encore plus flagrante, quand dans le même temps, Orange se voit infligé une amende de 26 millions d’Euros pour non-respect de ses engagements dans le déploiement de la fibre, alors que la France est le pays d’Europe le mieux desservi en fibre optique et qu’une offre de service par satellite existe depuis 2023  pour fournir une alternative crédible dans les zones les plus mal desservies [5]. 

Une menace pour le secteur des télécom en Europe 

Nous sommes seulement au début de la déferlante Starlink en Europe. L’objectif d’Elon Musk est de proposer des services de connectivité à très haut débit, en s’affranchissant des câbles sous-marins qui constituent l’ossature du réseau Internet mondial. Chaque lancement de fusée SpaceX nous rapproche de l’objectif. Avec les satellites de nouvelle génération, les services Starlink pourront dépasser le gigabit par seconde, (contre  100Mbps constatés aujourd’hui) avec des temps de latence réduits à 20 ms, (quand l’oCre de satellite d’Orange, basée sur les satellites géostationnaires d’Eutelsat, gravitant  à 36 000 km de distance, se situe plutôt autour des 600 ms). C’est mieux que la latence d’un câble transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis. 

Les services Starlink sont aujourd’hui limités aux services fixes par satellite. Depuis 2024, Starlink a démontré sa capacité de capter directement le signal de la constellation depuis un Smartphone. Des premiers tests ont été menés avec succès aux États-Unis, en partenariat avec l’opérateur T-Mobile. D’autres partenariats sont en discussion avec des opérateurs en Suisse, au Canada, en Nouvelle Zélande, au Japon et en Amérique du Sud (Chili, Pérou). A plus long terme, rien n’empêchera Starlink de proposer des services de  téléphonie mobile, partout dans le monde (la constellation de satellites n’a pas de  frontière), sans pour autant investir dans des réseaux spécifiques par pays, comme c’est le cas aujourd’hui. Il suffira d’acheter une licence 6G dans les pays concernés. 

L’annonce de François Bayrou ne fait que souligner le retard pris par la France et l’Europe en matière de communications par satellites et l’urgence d’avancer dans le déploiement du programme IRIS, une constellation de satellites à orbite basse comparable au réseau de Starlink, qui devrait permettre de connecter les zones mal desservies tout en  garantissant des services sûrs pour les gouvernements et les citoyens européens. Ce réseau, prévu pour un déploiement à partir de 2030 au mieux, est la condition d’une autonomie stratégique européenne dans le domaine des communications par satellite.

 


[1] Voir la note publiée sur notre site le 8 juillet 2024 https://www.crsi-paris.fr/lindustrie-spaciale-un secteur-concurrentiel/ 

[2] Par exemple, l’une des Safety Case a été mise au service de l’hôpital de campagne de Cavani.

[3] https://www.arcep.fr/uploads/tx_gsavis/24-2687.pdf 

[4] Faut-il encore rappeler que l’état est toujours actionnaire principal d’Orange en détenant directement ou  indirectement environ 23 % du capital ?

[5] Orange a également sollicité une autorisation à l’Arcep d’utilisation de fréquences pour établir et  exploiter un réseau de service fixe par satellite à destination de la clientèle Entreprises.