Projection sur les menaces potentielles aux JOP
Ce travail a été réalisé à partir du mémoire de six élèves-officiers de la promotion Capitaine Goupil de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (ESM2) “Sécurisation des JOP 2024”, Pôle études politiques de défense de la Direction des études de l’académie militaire de Saint-Cyr (AMSCC), sous la direction de MM. Ronan Doaré, directeur général de l’enseignement et de la recherche (AMSCC), et Stéphane Baudens, directeur du Centre de recherche de Coëtquidan (CReC Saint-Cyr) avec la contribution de Jérémy Rouault, stagiaire.
Les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 se dérouleront du 26 juillet au 9 septembre et s’imposent comme un défi majeur pour les forces de sécurité intérieure (FSI) et les forces armées françaises, en raison d’un afflux massif de touristes, de supporters et de délégations étrangères sur le territoire national (TN). Tant la publicité exceptionnelle faite à l’événement que le contexte géopolitique mondial contribuent à braquer les projecteurs sur ce grand événement. En effet, la tentation est forte, pour différentes puissances étrangères, de profiter de cette occasion pour tenter de “gâcher la fête”. Sur la base d’un travail de recherche conduit par six élèves-officiers de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (ESM2), quatre scénarios impliquant, notamment, des menaces cyber, terroristes, mais aussi des mouvements sociaux corrélés, le cas échéant, à une augmentation de la petite délinquance, ont été identifiés.
Un premier scénario, dont le niveau de menace est faible pour la population, avec une forte probabilité de survenir, repose sur une saturation des réseaux de transports (routiers, ferroviaires, lignes de métros) et des installations sportives, en raison de l’afflux très important de supporters et touristes aux abords des lieux d’épreuves, mais aussi de possibles mouvements sociaux. Des épisodes de canicule, à l’instar des étés précédents, ne pourront qu’aggraver la situation. Ces différents facteurs vont inévitablement causer l’exaspération des automobilistes et des usagers des services de transports en raison de retards importants, de rames RER ou de bus surchargés et d’une chaleur assommante, mais aussi des supporters empêchés de rejoindre les lieux de compétition sportive. Bien évidemment, les éléments de sécurité, préparés à un tel scénario, seront, cependant, mis à rude épreuve avec des conditions d’exercice de leurs fonctions difficiles (chaleur, poids de l’équipement et préoccupations logistiques qui pourraient générer des difficultés d’approvisionnement en eau, ainsi qu’une impossibilité pour la relève ou des renforts d’arriver en raison des embouteillages). Le risque de petite délinquance est alors important et les forces de sécurité ne pourront y répondre efficacement puisqu’elles seront occupées à éviter de possibles débordements ou mouvements de foule qui pourraient s’avérer catastrophiques pour les personnes les plus vulnérables (piétinements, malaises, voire infractions volontaires ou involontaires). Les ministères de l’Intérieur et des Armées ont développé des formations et mobilisé des moyens supplémentaires pour pallier ce genre d’événements notamment par l’emploi d’agents de sociétés privées en renfort des forces conventionnelles. Les sorties de crises de ce genre de scénario sont essentiellement des délais d’attente longs voire très longs, mais une fin heureuse (dommages physiques et matériels éventuels, mais modérés) pour les supporters, touristes et athlètes présents pour les Jeux. Il ne faut cependant pas négliger de possibles troubles à l’ordre public générés par l’agacement croissant des participants et de nombreuses opportunités pour que prospère la petite délinquance.
Ces désagréments latents conduisent, avec des événements cumulatifs, au scénario n°2 qui s’intéresse à la multiplication de manifestations à Paris. Les JOP 2024 s’imposent comme un cadre exceptionnel propice aux revendications de tous ordres. Revendications salariales, contestations liées aux résultats, quels qu’ils soient, des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, peuvent très rapidement se développer avant, pendant et à l’issue des Jeux Olympiques. Ces mouvements sociaux se traduiront par des happenings, des blocages dans les rues de Paris et la petite Couronne. Les revendications associées peuvent être multiples, associées ou non aux JOP (conditions de travail notamment dans les secteurs de la construction, de la logistique ou de la restauration, environnementales en raison de l’impact des Jeux Olympiques, ou encore de l’agacement de riverains au regard des nuisances inhérentes à l’événement, protestations politiques). Ces manifestations, bien qu’en général pacifiques, nécessitent une sécurisation tout au long de leur parcours. De plus, les actions de black blocks (groupes de casseurs) en marge des cortèges ajouteraient une pression non-négligeable sur les forces de police et de sécurité intérieure pour les contenir. Enfin, les dégradations sur voie publique qui en résulteraient (atteintes aux biens publics et privés) augmenteraient le danger en cas de foule importante. Afin d’anticiper ce scénario, les pouvoirs publics ont ouvert des négociations avec les syndicats en amont. Enfin, les forces de l’ordre, primo-répondantes sur ce type d’interventions, seront pré-positionnées au plus près des lieux de rassemblements afin d’augmenter la réactivité et permettre d’endiguer le phénomène le plus rapidement possible.
Un troisième scénario, d’une toute autre nature, est, quant à lui, fort plausible avec un risque grandissant ces dernières semaines, en raison du positionnement des puissances occidentales, et plus particulièrement de la France, vis-à-vis du conflit russo-ukrainien. La Russie ne sera pas présente aux Jeux sur décision du Comité International Olympique et mène, en réponse, une campagne de désinformation massive contre ce dernier, l’organisation des JOP ou encore l’Exécutif français. Cette troisième menace évolue dans le cyberespace et pourrait s’appuyer sur deux opérations distinctes : tout d’abord, la création et le relais massif de fausses informations, générées par une intelligence artificielle (IA) ou détournées d’événements antérieurs, mais aussi, ensuite, par des cyberattaques visant à paralyser les services organisationnels ou de sécurité intérieure. Ces attaques pourraient avoir de graves conséquences sur le bon déroulement des épreuves sportives mais aussi sur l’image de la France avant, pendant et après les JOP. Des attaques efficaces menées dans le champ informationnel pourraient consister à diffuser une vidéo de violences policières purement fictives, en marge de mouvements de contestation, fortement relayée sur les réseaux sociaux par de faux comptes reprenant parfois la charte graphique d’institutions publiques (ministère de l’Intérieur, services interministériels) ou de médias traditionnels comme cela a été observé lors de la campagne de désinformation russe nommée “Doppelgänger” conduite en juin 2023. Le dépôt de cinq cercueils de taille réelle recouverts d’un drapeau français, devant la tour Eiffel le 1er juin 2024, ou encore les tags de mains rouges devant le mémorial de la Shoah le 14 mai dernier, avec des photos ensuite partagées extensivement sur X ou Instagram témoignent d’une volonté de déstabiliser par des actions choc. Pour contrer ce phénomène, qui n’est malheureusement pas nouveau (212 millions de cyberattaques durant les JO de Londres en 2012), mais fortement exacerbé (le nombre de cyberattaques sera multiplié par dix selon de nombreux experts de la cybersécurité), les pouvoirs publics ont renforcé les capacités cyber du pays notamment via le service interministériel chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ou le ministère des Armées. Ce dernier a révélé, en 2019, sa doctrine de lutte informatique d’influence (L2I) qui vise à contrer les actions d’instabilité menées sur le champ informationnel par des acteurs belligérants et a renforcé ses effectifs au sein du Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER). Ces différentes attaques peuvent porter atteinte à la réputation des forces de sécurité, mais aussi entraver leurs actions par des coupures de communications, l’impossibilité d’accès aux services de cartographie ou de gestion des personnels.
Ce genre d’incidents entraînerait alors des conséquences catastrophiques dans le cas du scénario n°4 qui s’intéresse aux menaces terroristes qui demeurent à un niveau très élevé presque dix ans après les événements du Bataclan et du Stade de France (13 novembre 2015). Un terrorisme de masse perpétré de manière classique (bombe ou arme de guerre), ou en mobilisant des drones équipés de charges explosives, dans l’Hexagone, reste une inquiétude bien présente, notamment au regard du développement d’un nouvel acteur, l’État Islamique Khorassan (EI-K), responsable de l’attentat de Kaboul en août 2021 (cent soixante-treize morts dont treize soldats américains morts), mais aussi de l’attentat du Crocus City Hall de Moscou le 22 mars dernier (cent quarante-cinq morts et plus de cinq-cents blessés). De plus, le terrorisme d’ultra-droite (attentats d’Oslo, Christchurch ou Buffalo respectivement en 2011, 2019 et 2022) s’est en parallèle renforcé et constituerait tout autant une menace que le djihadisme radical. La France, bien consciente de la menace, a largement renforcé ses capacités en matière de contre-terrorisme par l’augmentation de la coopération entre services de renseignement, la formation et le déploiement massif de troupes (vingt mille militaires) dans le cadre de l’opération Sentinelle, mais aussi une consolidation de notre modèle de sécurité civile. Le dispositif de sécurisation des JOP a bien évidemment été adapté au niveau de la menace afin de protéger les sportifs, les supporters, mais aussi la population. Il s’appuie sur différents dispositifs : périmètres de sécurité, accès à certaines zones étendues contrôlé, forces de sécurité intérieure, militaires déployés sur le TN dans la cadre d’une réquisition, agents de sécurité privée, mobilisation de drones pour des missions spécifiques d’appui, de protection des espaces aérien et maritime et de lutte anti-drones.