TRIBUNE : Quels outils numériques pour les polices municipales au sein du continuum de sécurité français ?

TRIBUNE : Quels outils numériques pour les polices municipales au sein du continuum de sécurité français ?
2 septembre 2024 Olivier Debeney

 

Benoît Fayet, consultant Défense & Sécurité Sopra Steria Next et membre du comité stratégique du CRSI

Quentin Huleux, consultant Défense & Sécurité Sopra Steria Next

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rôle et le poids des polices municipales en tant que police de proximité et du quotidien, se renforcent en France depuis plusieurs années. Pour répondre aux enjeux actuels prégnants de sécurité et pour améliorer l’efficacité de leurs actions, ces polices municipales doivent pouvoir s’appuyer sur des outils numériques adaptés.

 

Dans un contexte sécuritaire dégradé en France, les polices municipales font face à un point de bascule : leur montée en puissance quantitative avec plus de 24 000 policiers municipaux à ce jour, et leur rôle bien souvent de primo-intervenants au quotidien devant une délinquance de masse permettent à l’État de les considérer aujourd’hui comme un pilier de la coproduction de sécurité en France. À ce titre, un “Beauvau des polices municipales” a été lancé en avril pour traiter notamment des missions des polices municipales. Dans ce cadre, le levier du numérique pour affirmer le rôle de ces polices municipales doit être appréhendé dans sa globalité. En effet, des besoins forts sont exprimés par les collectivités locales pour accélérer le déploiement en équipements numériques (vidéosurveillance, etc.) ou pour renforcer la digitalisation des polices municipales (partage d’information avec la police ou gendarmerie nationales, consultation de fichiers, etc.).

Vidéosurveillance et sécurité publique, l’usage de la donnée pour mieux “faire face”

La vidéosurveillance est devenue un équipement numérique incontournable pour les collectivités locales, sur lesquels des polices municipales peuvent s’appuyer pour
renforcer la sécurité d’un territoire. En 2024, plus de 6 000 communes en France sont ainsi équipées de caméras de vidéosurveillance (soit +20% de communes en 10 ans). La vidéosurveillance est un outil qui dispose de nombreux atouts. Elle est d’abord très efficace pour la verbalisation (détection de déchets ou d’objets abandonnés, traitement d’infractions routières ou de stationnement, etc.). Par ailleurs, elle offre une aide indispensable à l’élucidation de faits et permet d’optimiser la présence des agents sur le terrain. Enfin, elle permet d’anticiper tous types d’événements, d’obtenir une connaissance plus fine d’une situation et de piloter plus efficacement des opérations sur un territoire donné.

Un usage “augmenté” de la vidéosurveillance pourrait être encouragé pour aller plus loin en termes de valorisation et exploitation de données issues des centres de supervision urbains (CSU) mais aussi de partage de données en temps réel entre forces de sécurité locales et nationales sur le terrain ou à un niveau de commandement (déport d’images ou de vidéos issues des CSU, de données issues de caméras piétons, etc.). Cet usage augmenté de la vidéosurveillance devrait se faire dans un cadre juridique clarifié et renforcé (durée minimale légale de stockage des données, etc.).

Dans ce contexte, l’usage de l’intelligence artificielle dans le traitement des données issues de la vidéosurveillance pourrait aussi être étudié, dans un cadre juridique strict à appréhender, pour permettre par exemple des recoupages d’informations et des analyses qui augmenteraient considérablement les capacités des acteurs producteurs de sécurité localement. Ainsi, l’exploitation de bandes vidéo d’une zone géographique définie dans le cadre d’une enquête sur des faits de cambriolage, nécessite aujourd’hui une revue humaine de l’ensemble des données, opération chronophage et laborieuse qui serait minimisée par un recours à l’intelligence artificielle.

Au cœur de la coproduction de sécurité, le partage d’information

L’interopérabilité est un autre levier numérique majeur. Le partage de l’information constitue en effet une pratique clé dans l’accomplissement des missions attribuées aux polices municipales, du fait de leur statut de police de proximité. Si le projet Réseau Radio du Futur aspire à offrir une infrastructure réseau accessible à l’ensemble des acteurs de sécurité et de secours, cette dynamique d’interopérabilité devra se convertir en des outils adaptés.

La projection des données sur des outils cartographiques partagés par les forces municipales et étatiques est à ce titre un enjeu crucial pour assurer la mise en cohérence de l’ensemble de ces forces. Cette mise à disposition de systèmes d’information collaboratifs permettrait d’obtenir des tableaux de bord centralisés des données sur la délinquance, ainsi que des outils de supervision unique permettant une représentation dans le temps et l’espace et une mise à disposition des données à l’ensemble des acteurs concernés par la sécurité d’un même territoire. L’interopérabilité entre ces acteurs via le
numérique serait un changement de paradigme qui pourrait garantir un véritable “continuum de sécurité” au niveau local face à un fonctionnement actuel plutôt en silo.

Une meilleure intégration des polices municipales par l’accès aux données

Parallèlement, il conviendrait d’améliorer l’accès des polices municipales à certaines données issues de fichiers informatiques consultés par les forces de sécurité intérieure “étatiques”. En écho à des besoins forts exprimés par les pouvoirs locaux et à une demande plus forte de protection de la part de nos concitoyens, le Parlementappelle ainsi à améliorer les possibilités d’accès à certains fichiers informatiques de police (notamment FPR, TAJ et Docvérif) via un outillage adapté à la voie publique répondant strictement au cadre d’emploi de ces fichiers et aux critères de sécurité informatique du ministère de l’Intérieur.

Cette dynamique de montée en compétences et d’outillage numérique des polices municipales doit aussi s’appréhender à l’aune des enjeux posés en 2023 par la Loi
d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) de mettre “plus de bleu” dans la rue et de faire de la présence sur la voie publique la norme et en unité, l’exception.

Une réflexion doit ainsi être menée pour renforcer les capacités d’action des policiers municipaux sur le terrain via des prérogatives judiciaires étendues (verbalisation d’amende forfaitaire pour un délit, etc.) qui seraient rendues possibles par un outillage numérique adapté dans l’affirmation d’un continuum de sécurité abouti faisant des polices municipales la véritable police de proximité et du quotidien.